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Par Jean-Jacques le 27 Novembre 2023 à 18:13
Quand la caissière lui eut rendu la monnaie de son billet de cinquante euros, Georges Duroy sortit du restaurant, pas très rassuré. Que se passait-il dans cet endroit qui lui donnait ainsi la chair de poule ?
Cette année-là, celle de ses quarante ans, il avait décidé de passer la moitié de ses vacances à cheminer en solitaire sur les sentiers de grande randonnée qui conduisent de Poitiers aux Sables d'Olonne. Il voyait là l'occasion de réfléchir en toute quiétude à ce que serait le deuxième versant de sa vie qui commençait, tout en profitant de la beauté des paysages et en testant sans indulgence sa fortitude, ou dit plus simplement, son endurance devant ce qui s'annonçait, dès le début, comme une épreuve physique et mentale difficile.
Le troisième jour, après avoir plié dès l'aube sa petite tente et emballé son paquetage dans le sac à dos, il s’était mis en marche dans une brume épaisse. Après deux heures d’avance au ralenti, le sentier à peine visible qu’il suivait avait rejoint un chemin communal goudronné, et un peu plus loin il avait vu émerger de la grisaille un panneau indiquant le lieu-dit « La Tavelière », commune d'Augé. Il était dix heures, le brouillard était toujours là, et il avait froid. Passant devant l'enseigne d'un café bizarrement présent dans ce lieu écarté, il avait décidé de s'accorder une pause et un chocolat chaud.
Il avait poussé la porte de l'estaminet et y était entré. Accoudés au bar se trouvaient six hommes, grands et gros, en treillis kaki, rangers et casquettes, cheveux en brosse et trognes d'alcooliques, qui buvaient de la bière en discutant d'une voix forte. Lorsqu'ils le virent, ils se turent. Un silence pesant avait envahi les lieux pendant qu'ils l'examinaient de la tête aux pieds. Il avait l’impression d'être accueilli comme un intrus indésirable, et pourtant digne d’une attention qu’il trouva perverse. Il avait murmuré un « bonjour » peu audible, auquel personne n’avait répondu.
Il avait mis son sac à ses pieds et s’était assis à une table recouverte d'une toile cirée graisseuse et usée. Quittant son comptoir, la tenancière était venue prendre sa commande. Elle n’avait rien à envier aux autres occupants du lieu ; elle avait la face rougeaude, pesait au moins cent kilos et respirait la bêtise et la cupidité. Il vit les autres s'esclaffer lorsqu’il demanda un chocolat, et entendit distinctement dans leurs échanges les mots de « bobo » et « pédé ». Il comprit de suite qu'ils parlaient de lui, puisqu’il était le seul à ne pas boire une boisson de « vrais » hommes, aussi décida-t-il d'abréger sa pause. Il vida rapidement son bol, reprit son harnachement et, avec sagesse vida les lieux. Ce n'est pas qu’il avait peur, non, mais il n'était pas vraiment à l'aise devant ces trognes patibulaires équipées de fusils de gros calibre, et avait décidé de les semer au cas où il leur viendrait l'idée de le suivre.
D’un pas rapide il s’enfonça dans les broussailles par un GR peu visible repéré sur la carte. Cette randonnée d'introspection avait changé de nature. Sans que cela soit clairement formulé dans son esprit, il craignait d'être désormais le gibier d'une chasse qui n'avait rien de psychologique. Il se mit à courir.
29/05/2023
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Par Jean-Jacques le 27 Novembre 2023 à 15:25
Ô toi l’amant, ô toi la belle
Bientôt mari, bientôt mariée !
Elle est tienne, à toi le mâle,
Il est tien, à toi la mante
Aime-la, aime-le !
Ensemble elle et toi,
Ensemble toi en elle !
Maintenant câlins sont licites !
Comme la liane cerne le tronc
Mec et nana se mêleront
Eros est là, tirant son arc
Amants atteints clameront fort
Tels le ramier et la merlette
Mots et caresses celés en l’ombre
Le clair matin remettra ça
Merci Tristan réclamera,
Iseut jamais ne le voudra.
Ses intentions il bramera,
Son innocence elle clamera
D’émoi le lit éclatera
Puis à la fin…
Se rassasier nécessité sera !
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Par Jean-Jacques le 26 Novembre 2023 à 17:54
Jamais Adam n’avait cru en ces histoires de bonne femme, comme quoi il fallait toujours faire attention à ce qu’on faisait ou à ce qui se passait au cours des vendredi 13, ces journées à la réputation maléfique. A son âge, des vendredis 13 il en avait vécu des dizaines, et jamais rien de fâcheux n’était arrivé. Enfin, il n’avait pas fait le compte, mais c’était évident. D’abord, c’est quoi un événement « fâcheux » ? Il doit y avoir autant de définitions qu’il y a de personnes sur Terre…Et c’est certainement très approximatif. Tiens, s’il regardait ça de plus près, ça occuperait cet après-midi pluvieux au cours duquel il s’ennuyait ferme après que sa femme l’ait bassiné avec ses recommandations d’être prudent parce qu’on ne sait jamais, et que ça ne coûtait rien puisqu’en moyenne ça n’arrive qu’une ou deux fois par an ! Elle avait même eu le culot de comparer ce genre de principe de précaution au pari de Pascal ! Sacrilège !
Il alluma son ordinateur et se mit à écumer Internet pour chercher d’où venait cette superstition. Il ne fut pas déçu, cela confirmait son idée initiale, il y avait des dizaines d’explications. D’abord, le nom « vendredi », transformation chrétienne de l’appellation romaine « Venus Die », jour de Vénus. Il ne chercha pas beaucoup à aller plus loin, cette étymologie lui convenait parfaitement : le jour de Vénus, jour de la femme, ne pouvait pas porter chance aux hommes ! Il était en effet persuadé depuis longtemps que la fréquentation excessive de la gent féminine ne pouvait qu’être source d’ennuis…Même si, reconnaissait-il en son for intérieur, il y avait quand même de bons moments dans cette fréquentation. Poursuivant ses réflexions dans la même direction, il finit par se convaincre tout seul que désigner le vendredi, jour de Vénus, comme jour dangereux, revenait à conseiller de ne pas fréquenter les femmes ce jour-là pour son bien-être psychologique, tout comme manger du poisson un vendredi était bon pour la santé. Un genre de jeûne, ou d’abstinence hebdomadaire, pour se faire du bien…Cette explication le ravit, et il décida de la faire sienne désormais, d’autant qu’il ne l’avait pas trouvée sur le réseau, c’était SA trouvaille à lui tout seul.
Quant au chiffre 13, c’était encore pire en nombre d’inventions farfelues. D’abord, la numérologie, et les pouvoirs attribués, on ne sait trop pourquoi, à certains chiffres. Le 7, le 11, le 13, tous nombres premiers. Mais pas le 2, pourtant seul nombre pair qui soit premier. Curieux. Toutes les explications qu’il trouva étaient en général de mauvais augure, ce qui rend d’autant plus bizarre le fait de jouer au loto le 13 du mois pour avoir plus de chances de gagner le gros lot. Quoique devenir millionnaire du jour au lendemain ne soit pas forcément un bienfait…Tout est relatif, comme disait Einstein, très pertinent, même si sa théorie n'avait rien à voir avec le loto. Il trouva aussi très critiquable la justification par le fait que le 13 suit le 12, qu’il y avait 12 apôtres, donc 13 personnes avec le Christ, dont un traître, et que la crucifixion avait eu lieu un vendredi. C’est bien beau tout ça, mais dans la Cène, il n’y a que des hommes, et pas de femmes ; aujourd’hui il y aurait un quota obligatoire, preuve que cette interprétation majeure du vendredi 13 n’est pas universelle et dépend de l’époque.
Il continua encore un certain temps, puis ces cogitations foireuses ajoutées à la fatigue visuelle de son écran, se mirent à l’ennuyer. Il éteignit sa machine, en pensant qu’il devrait aussi songer à calculer combien de kWh il venait de consommer et de kg de CO² il avait émis en recherches inutiles, puisque de toutes façons il n’avait pas changé d’avis sur l’inefficacité maléfique du vendredi 13.
19/04/2023
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Par Jean-Jacques le 26 Novembre 2023 à 17:50
Je suis un drôle de mec ! C’est ce que je me dis souvent lorsque je me regarde dans la glace quand je suis tout seul. Drôle n’est pas vraiment le qualificatif qui convient, parce que ce n’est pas drôle de mesurer à peine mètre cinquante malgré les talonnettes que je porte depuis que je suis adulte et que je ne grandis plus. Quand il n’y a personne avec moi, ça va, car il n’y a pas de point de comparaison possible avec tous ceux qui se prennent pour des géants en me regardant de haut. Alors, j’admire ma taille fine, mon ventre plat, mes cheveux noirs bouclés qui mettent en valeur mes yeux presque bleus, mon visage avenant, juste un peu poupin, mon petit nez pointé vers le ciel. Je me trouve beau. Forcément, pour voir les visages des autres je suis obligé de me tenir très droit, très cambré en arrière, cela m’occasionne des douleurs permanentes dans le cou et le haut du dos et me rend de méchante humeur.
Je suis un drôle de mec, oui ! Toujours à cause de cette satanée taille, je souffre d’un complexe d’infériorité, mais j’en suis parfaitement conscient et je le maîtrise si bien que je l’ai transformé en avantage concurrentiel. On m’a tellement fait comprendre depuis toujours que si j’étais une demi-portion sur le plan physique, je devais l’être aussi sur le plan intellectuel. Aussi, pour leur démontrer le contraire, depuis mon entrée à l’école j’ai travaillé comme un fou pour être le premier de ma classe, premier aux concours que j’ai passés, jusqu’à ce que je sois aujourd’hui à la tête de cette entreprise que je dirige d’une main de fer après avoir éliminé tous ces grands benêts qui me sous-estimaient. Petite la main, mais dure et impitoyable. D’ailleurs tout le monde me craint, et cela me procure une joie ineffable, surtout quand je vois trembler devant moi de grandes carcasses dont je n’aperçois que le dessous du menton…
Je suis un drôle de mec, d’une autre façon ! Car il y a un domaine où, malgré tout et quoi que je fasse, rien ne marche comme je le voudrais. C’est bien sûr celui de mes relations avec les femmes. Je n’ai jamais osé les approcher, je suis tétanisé, trop lucide pour les aborder en conquérant comme si je mesurais trente centimètres de plus, interprétant à mon corps défendant le moindre signe ou le moindre mot de leur part comme une moquerie ou une allusion cachée. Et je suis trop fier pour faire appel aux services de professionnelles, cela a toujours résonné dans mon esprit comme un aveu d’échec, et je fuis. Pour ne pas y penser, j’ai pris le parti de n’embaucher que des laiderons, c’est devenu un critère majeur de sélection ; je me dis que c’est aussi ma façon d’être bon sans arrières pensées.
Je suis donc un drôle de mec, pour toutes ces raisons ! Ma petite taille a orienté toute mon existence. Elle a forgé et aigri mon caractère, m’a rendu méchant et intolérant, m’a procuré de l’argent et la puissance nuisible qui va avec, m’a éloigné de l’amour, bref m’a empêché de vivre normalement. A quels infimes détails tient le déroulement de toute une existence ? Comment aurait été ma vie si j’avais eu quelques centimètres de plus ?
Je suis peut-être un drôle de mec, mais le bon Dieu aussi. Tout ça c’est de sa faute.
12/04/2023
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Par Jean-Jacques le 26 Novembre 2023 à 17:42
Gilles était dans le pétrin. Il avait été dans le pétrin tout l’été, depuis que sa femme l’avait quitté, début juin. Jusqu’à ces derniers temps, quelques jours avant de reprendre ses cours au lycée, Gilles n’avait pas eu besoin d’une nounou. La nounou c’était lui. Tous les jours et toutes les nuits, il s’était occupé des enfants. Leur mère, leur avait-il dit, était partie pour un long voyage.
En fait de voyage, elle s’était tirée avec Jules, un collègue en fin de carrière récemment arrivé au lycée, avec qui il s’était lié d’amitié à la dernière rentrée, qu’il avait cornaqué pour l’aider à trouver sa place dans un établissement où les profs se connaissaient depuis longtemps et regardaient les nouveaux arrivants avec une certaine méfiance. Il aurait mieux fait de les imiter, au moins sa femme serait peut-être encore là au lieu de se trouver dans les bras et le lit de Jules, il ne savait trop où. Le pire, c’est qu’il avait été coincé pendant trois mois avec les deux gamins sur les bras, et cela lui avait complètement gâché ses vacances.
Car il le savait bien, cela devait arriver un jour, avec Blandine ça ne gazait plus trop depuis quelque temps. Mais ce qui le mettait en rage, c’est qu’il s’était fait avoir dans les belles largeurs, il n’avait rien vu venir, elle l’avait devancé au sprint d’une manière qui enflammait son amour-propre. En effet, lui-même fréquentait depuis quelques mois Mirabelle, la serveuse du café voisin du lycée où il se rendait régulièrement. Il lui avait fait du gringue juste pour rigoler, mais cela avait marché tout de suite au-delà de ce qu’il croyait possible. Ils se rencontraient régulièrement dans son studio pour des bacchanales endiablées, et après les périodes de repos qui suivaient leurs étreintes sportives, ils avaient commencé à faire des projets pour passer une partie de l’été ensemble. Cela s’était avéré difficile à organiser, surtout que Gilles ne souhaitait pas, du moins dans l’immédiat, que Blandine le sache.
Mais elle l’avait su, il aurait bien aimé savoir comment, et elle s’était bien débrouillée pour lui couper l’herbe sous le pied. Un soir de juin, à sa rentrée du lycée, elle l’attendait dans le salon, sa valise à ses pieds et lui avait dit en souriant d’un air angélique :
- Mon chéri, j’ai bien réfléchi, une petite séparation va nous faire du bien. Tu n’as rien prévu pour nos vacances avec les enfants cet été, alors moi je m’en vais dès ce soir passer quelque temps avec Jules, j’en rêve depuis des semaines. Ne t’inquiète pas, je reviendrai, et je sais que tu t’occuperas bien des gamins en attendant. D’ailleurs, ta copine pourra t’aider, c’est sûrement une fille bien. Le frigo est plein, tu pourras attendre un peu avant de faire les courses, tu vois j’ai pensé à toi !
Il en était resté muet de surprise, à un point tel qu’il n’avait même pas réagi quand elle avait eu le culot de lui faire la bise avant de prendre sa valise et de se tirer quand elle avait entendu arriver la voiture de Jules. Qu’elle puisse abandonner ainsi ses deux garçons de deux et quatre ans lui paraissait inconcevable, elle les aimait trop ! Et partir avec Jules, qui avait presque deux fois son âge !
Ensuite, tout était allé de travers. Mise au courant de la situation, Mirabelle avait très mal pris la chose. Pas question de rester en ville à jouer le rôle de mère remplaçante au lieu d’aller comme prévu en voyage avec Gilles. Elle l’avait donc elle aussi laissé tomber, et il s’était retrouvé seul pour faire le ménage, la lessive, les repas, changer les langes des enfants et les distraire tant bien que mal. Il avait cherché une nounou pour l’aider dans ces tâches domestiques indignes d’un intellectuel tel que lui, mais personne ne s’était présenté : même les nounous sont en vacances pendant l’été…Quant à ses parents, ils étaient trop vieux, trop loin, même pas la peine d’y penser.
Il avait donc passé trois mois exécrables, dans une ville déserte, brûlée par le soleil. Le seul événement positif était venu de sa voisine, Mariette, une femme d’une cinquantaine d’années, avec qui Blandine et lui entretenaient de bonnes relations de voisinage. Elle avait compati à son malheur, et avait accepté de s’occuper des enfants jusqu’à la fin du mois de juin, pendant ses heures de cours pour finir l’année scolaire. Puis elle était partie, mais lui téléphonait de manière régulière ou passait le voir pour prendre de ses nouvelles.
Quant à Blandine, pas un signe de vie, à croire qu’elle avait perdu son instinct maternel. Il avait bien tenté de la joindre sur son téléphone portable, mais dès le deuxième appel elle avait changé son annonce d’accueil, qui disait maintenant : « Je ne suis pas joignable en ce moment. Veuillez ne pas laisser de message, il ne sera pas lu. » La fin du mois d’août approchait, les cours allaient reprendre dans quelques jours, et ce salopard de Jules serait bien obligé de revenir, en principe avec Blandine. Il ne savait que faire et passait de mauvaises nuits dans l’indécision, à ronger son frein. Mariette passait le voir chaque jour maintenant, et tentait de lui remonter le moral en lui rendant de menus services.
Deux jours avant la rentrée, il était sorti faire des courses pendant que Mariette gardait les enfants. A son retour, son cœur fit un bond dans sa poitrine : devant sa porte était garée la voiture de Jules ! Ils étaient donc rentrés, mais pourquoi Jules était-il là ? Il devait se douter qu’il ne serait pas le bienvenu, que Gilles lui casserait la figure à la première occasion. Il ouvrit la porte avec rage pour découvrir alors un spectacle qu’il eut du mal à comprendre : Blandine dans le canapé, rayonnante, s’amusait avec les enfants qui riaient aux éclats sous les chatouilles et les baisers de leur maman. Dans le fauteuil, Jules, souriant, était assis avec Mariette sur ses genoux…Gilles ne comprenait plus rien, mais son visage fermé n’augurait rien de bon. Voyant cela, Mariette se leva précipitamment, et s’interposa pour lui dire :
- Gilles, ne t’énerve pas, je vais t’expliquer. Jules, c’est mon compagnon depuis mai dernier, pas celui de Blandine. Mais on vit chacun chez soi. Blandine elle n’a personne dans sa vie, à part toi et les enfants. Et si elle est partie en te le faisant croire, c’est qu’elle était en colère, pour se venger, en quelque sorte, et il y avait de quoi, quand elle s’est aperçue de ton histoire avec la serveuse. Elle a passé tout l’été chez ses parents dans le midi ; les enfants lui manquaient beaucoup, mais elle savait que tu t’en occuperais bien. Et moi je lui donnais des nouvelles régulièrement, tu aurais dû quand même te douter qu’elle n’aurait pas laissé tomber les petits pour aller courir le guilledou avec un petit vieux (regards ironiques mais tendres vers Jules).
Bon, maintenant on va vous laisser, vous avez sûrement plein de choses à vous dire…
29/03/2023
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