• Vacances de rêve

    Gilles était dans le pétrin. Il avait été dans le pétrin tout l’été, depuis que sa femme l’avait quitté, début juin. Jusqu’à ces derniers temps, quelques jours avant de reprendre ses cours au lycée, Gilles n’avait pas eu besoin d’une nounou. La nounou c’était lui. Tous les jours et toutes les nuits, il s’était occupé des enfants. Leur mère, leur avait-il dit, était partie pour un long voyage.

    En fait de voyage, elle s’était tirée avec Jules, un collègue en fin de carrière récemment arrivé au lycée, avec qui il s’était lié d’amitié à la dernière rentrée, qu’il avait cornaqué pour l’aider à trouver sa place dans un établissement où les profs se connaissaient depuis longtemps et regardaient les nouveaux arrivants avec une certaine méfiance. Il aurait mieux fait de les imiter, au moins sa femme serait peut-être encore là au lieu de se trouver dans les bras et le lit de Jules, il ne savait trop où. Le pire, c’est qu’il avait été coincé pendant trois mois avec les deux gamins sur les bras, et cela lui avait complètement gâché ses vacances.

    Car il le savait bien, cela devait arriver un jour, avec Blandine ça ne gazait plus trop depuis quelque temps. Mais ce qui le mettait en rage, c’est qu’il s’était fait avoir dans les belles largeurs, il n’avait rien vu venir, elle l’avait devancé au sprint d’une manière qui enflammait son amour-propre. En effet, lui-même fréquentait depuis quelques mois Mirabelle, la serveuse du café voisin du lycée où il se rendait régulièrement. Il lui avait fait du gringue juste pour rigoler, mais cela avait marché tout de suite au-delà de ce qu’il croyait possible. Ils se rencontraient régulièrement dans son studio pour des bacchanales endiablées, et après les périodes de repos qui suivaient leurs étreintes sportives, ils avaient commencé à faire des projets pour passer une partie de l’été ensemble. Cela s’était avéré difficile à organiser, surtout que Gilles ne souhaitait pas, du moins dans l’immédiat, que Blandine le sache.

    Mais elle l’avait su, il aurait bien aimé savoir comment, et elle s’était bien débrouillée pour lui couper l’herbe sous le pied. Un soir de juin, à sa rentrée du lycée, elle l’attendait dans le salon, sa valise à ses pieds et lui avait dit en souriant d’un air angélique :

    - Mon chéri, j’ai bien réfléchi, une petite séparation va nous faire du bien. Tu n’as rien prévu pour nos vacances avec les enfants cet été, alors moi je m’en vais dès ce soir passer quelque temps avec Jules, j’en rêve depuis des semaines. Ne t’inquiète pas, je reviendrai, et je sais que tu t’occuperas bien des gamins en attendant. D’ailleurs, ta copine pourra t’aider, c’est sûrement une fille bien. Le frigo est plein, tu pourras attendre un peu avant de faire les courses, tu vois j’ai pensé à toi !

    Il en était resté muet de surprise, à un point tel qu’il n’avait même pas réagi quand elle avait eu le culot de lui faire la bise avant de prendre sa valise et de se tirer quand elle avait entendu arriver la voiture de Jules. Qu’elle puisse abandonner ainsi ses deux garçons de deux et quatre ans lui paraissait inconcevable, elle les aimait trop ! Et partir avec Jules, qui avait presque deux fois son âge !

    Ensuite, tout était allé de travers. Mise au courant de la situation, Mirabelle avait très mal pris la chose. Pas question de rester en ville à jouer le rôle de mère remplaçante au lieu d’aller comme prévu en voyage avec Gilles. Elle l’avait donc elle aussi laissé tomber, et il s’était retrouvé seul pour faire le ménage, la lessive, les repas, changer les langes des enfants et les distraire tant bien que mal. Il avait cherché une nounou pour l’aider dans ces tâches domestiques indignes d’un intellectuel tel que lui, mais personne ne s’était présenté : même les nounous sont en vacances pendant l’été…Quant à ses parents, ils étaient trop vieux, trop loin, même pas la peine d’y penser.

    Il avait donc passé trois mois exécrables, dans une ville déserte, brûlée par le soleil. Le seul événement positif était venu de sa voisine, Mariette, une femme d’une cinquantaine d’années, avec qui Blandine et lui entretenaient de bonnes relations de voisinage. Elle avait compati à son malheur, et avait accepté de s’occuper des enfants jusqu’à la fin du mois de juin, pendant ses heures de cours pour finir l’année scolaire. Puis elle était partie, mais lui téléphonait de manière régulière ou passait le voir pour prendre de ses nouvelles.

    Quant à Blandine, pas un signe de vie, à croire qu’elle avait perdu son instinct maternel. Il avait bien tenté de la joindre sur son téléphone portable, mais dès le deuxième appel elle avait changé son annonce d’accueil, qui disait maintenant : « Je ne suis pas joignable en ce moment. Veuillez ne pas laisser de message, il ne sera pas lu. » La fin du mois d’août approchait, les cours allaient reprendre dans quelques jours, et ce salopard de Jules serait bien obligé de revenir, en principe avec Blandine. Il ne savait que faire et passait de mauvaises nuits dans l’indécision, à ronger son frein. Mariette passait le voir chaque jour maintenant, et tentait de lui remonter le moral en lui rendant de menus services.

    Deux jours avant la rentrée, il était sorti faire des courses pendant que Mariette gardait les enfants. A son retour, son cœur fit un bond dans sa poitrine : devant sa porte était garée la voiture de Jules ! Ils étaient donc rentrés, mais pourquoi Jules était-il là ? Il devait se douter qu’il ne serait pas le bienvenu, que Gilles lui casserait la figure à la première occasion. Il ouvrit la porte avec rage pour découvrir alors un spectacle qu’il eut du mal à comprendre : Blandine dans le canapé, rayonnante, s’amusait avec les enfants qui riaient aux éclats sous les chatouilles et les baisers de leur maman. Dans le fauteuil, Jules, souriant, était assis avec Mariette sur ses genoux…Gilles ne comprenait plus rien, mais son visage fermé n’augurait rien de bon. Voyant cela, Mariette se leva précipitamment, et s’interposa pour lui dire :

    - Gilles, ne t’énerve pas, je vais t’expliquer. Jules, c’est mon compagnon depuis mai dernier, pas celui de Blandine. Mais on vit chacun chez soi. Blandine elle n’a personne dans sa vie, à part toi et les enfants. Et si elle est partie en te le faisant croire, c’est qu’elle était en colère, pour se venger, en quelque sorte, et il y avait de quoi, quand elle s’est aperçue de ton histoire avec la serveuse. Elle a passé tout l’été chez ses parents dans le midi ; les enfants lui manquaient beaucoup, mais elle savait que tu t’en occuperais bien. Et moi je lui donnais des nouvelles régulièrement, tu aurais dû quand même te douter qu’elle n’aurait pas laissé tomber les petits pour aller courir le guilledou avec un petit vieux (regards ironiques mais tendres vers Jules).

    Bon, maintenant on va vous laisser, vous avez sûrement plein de choses à vous dire…

    29/03/2023

     

     


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