• Au soleil des loups

    Qui sait ce qui pourrait me passer par la tête à la prochaine lune ? La prochaine pleine lune, bien sûr, de manière à y voir quelque chose, car la clarté minuscule venant des étoiles ne suffit pas, sauf à voir dans le noir, comme les chats, mais je ne suis pas un chat, ou porter des lunettes de vision infrarouge, que je n’ai pas.

    Hier soir, la lune était à son éclat maximum, et sur le coup de minuit, après que les lampadaires de la ville se soient éteints, je suis sorti pour la contempler et rêver un moment. Je ne me suis pas contenté de rester sur le pas de ma porte, j’ai commencé une petite promenade, mes pieds nus dans la fraîcheur de l’herbe. L’air était doux, une toute petite brise agitait par moment ma chemisette, il faisait bon et j’étais heureux, sans raison particulière, simplement par le fait d’être là, attentif aux sensations du moment. Le silence régnait, peuplé néanmoins des multiples petits bruits qui habitent la vie nocturne, auxquels on ne prête pas attention quand la clarté du jour abolit le mystère : chuchotement des insectes dans les buissons, froissement des feuilles du grand frêne au passage d’un souffle d’air, friselis du ruisseau derrière la maison, murmure lointain d’une automobile, parfois.

    Au fond du jardin, un banc de pierre tourne le dos à la forêt de chênes qui commence au-delà. Je m’y assieds souvent dans la journée, quand les arbres étendent leur ombre jusqu’à lui, mais cela n’a rien à voir avec ce que je ressens au cœur de la nuit, lorsque la clarté de la lune donne à tous les objets un aspect fantastique. Tout ce qui m’entoure semble soudain vivant, d’une vie cachée qui se manifeste uniquement quand on ne regarde pas, un mouvement de lisière qu’on arrive pourtant à deviner du coin de l’œil, qui se fige quand on veut le saisir en face. Sous le soleil des loups, les objets prennent vie d’une manière dissimulée, vaguement menaçante, parce que cet univers nocturne n’est pas celui du jour, celui où les humains vivent d’ordinaire, et parce que nous y sommes comme des intrus.

    Ce soir, je m’y sens pourtant comme chez moi. Il arrive en effet que la nuit accueille parfois favorablement mes intrusions, car elle est sensible à ce que pensent les promeneurs nocturnes, ou plutôt à ce qu’ils ressentent, comme si nous devenions tous, êtres vivants et objets, soudain capables de communiquer entre esprits, sans phrases ni mots, au sein d’une entité unique qui rassemblerait tout ce qui existe sur terre, sous l’influence extraordinaire de l’astre des loups.


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