• Le Petit Silence Illustré

    Dans ma cave se trouvent de nombreux cartons pleins de paperasses conservées depuis des années. Pas de raison précise pour cela, je les garde « …au cas où… » (sans me dire ce que pourrait être ce « cas où »), ou encore « à trier plus tard » (sans que ce plus tard ait jamais été précisé). Mais je m’y suis mis, et j’ai ainsi fait plusieurs découvertes, dont celle-ci.

    Dans un vieux carton ayant autrefois servi à transporter mon Saint-Emilion préféré, éclusé depuis longtemps, j’ai ainsi retrouvé des « fanzines » ronéotypés des années cinquante, écrits par des quasi-inconnus proches du mouvement surréaliste, qui s’amusaient à écrire n’importe quoi n’importe comment, juste pour jouer avec le langage, horrifier le bourgeois et dézinguer la littérature bien-pensante. Cela s’appelait « Le Petit Silence Illustré », et je me suis souvenu avoir acheté quelques exemplaires de ce fatras de potaches à la librairie « L’Atome », rue de Seine à Paris, entre deux trains me conduisant des Andelys à Strasbourg.

    Le numéro 1-2, daté de 1957, se présente sous la forme d’une dizaine de pages de plusieurs couleurs, non agrafées, pliées en deux dans le sens de la longueur. Sur la couverture (si on peut appeler ça comme ça), de couleur rouge, il y a la photo d’un téléphone pendu à une potence : le silence, c’est la parole suspendue… Au-dessous, en une seule phrase, figure la ligne éditoriale : « La seule revue qui n’ait strictement rien à dire ». Cette profession de foi est précisée à la page suivante : « à part le fait qu’elle coûte 100 frs, (le prix du silence) elle est absolument gratuite. Son seul but est de ne pas avoir de but ». Puis, les auteurs s’en donnent à cœur joie dans l’absurde, l’insolite, le stupide assumé, la provocation, les citations détournées d’écrivains connus, et quelques histoires sans queue ni tête. L’initiateur de ce « machin » a cependant fait ensuite son chemin, il s’agit de Jacques Sternberg.

    Voici quelques courts échantillons de cette publication confidentielle :

    • Si le papier était comestible, le mot « culture » aurait enfin un sens
    • Calendrier littéraire du mois :
      • 2 mars : Sacha Guitry a éternué deux fois
      • 5 mars : Adamov s’est lavé les pieds
      • 17 mars : la nouvelle était fausse, Adamov ne s’est jamais lavé les pieds
      • 28 mars : Camus a biffé un mot de son dernier roman : « alors »
    • Une maison d’édition signale qu’elle va publier l’étonnant manuscrit d’un fœtus. En effet, un nouveau-né serait sorti récemment du ventre de sa mère en exhibant le texte complet de ses mémoires.
    • Tous les matins, devant le caveau de Molière, on trouve une bouteille de lait. Le soir, elle est vide.

    J’ai en ma possession encore une demi-douzaine de numéros, tous plus absurdes les uns que les autres, décalés, complètement « autres ». Et je m’interroge aujourd’hui sur ce qui me les a fait acheter alors que j’avais à peine plus de quinze ans, un âge où ce n’est pas ce genre choses qui captivent un adolescent


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