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L'affaire Sandrine Bonnard
Rennes, 8 janvier 2024
Monsieur le Président
Cour d’assises d’Ille et Vilaine
Place du Parlement de Bretagne
35064 RENNES
DESTREMEAUX Julie
Avocate
8 rue Saint Martin
35000 Rennes
Monsieur le Président,
J’ai été commise d’office pour la défense de Sandrine Bonnard, dont vous avez fixé l’ouverture du procès au 24 janvier 2024. Je vous informe par la présente que je renonce à défendre cette personne, et je reste à votre disposition pour transmettre le dossier à l’avocat que vous aurez désigné pour me remplacer.
Compte tenu de la date tardive vous informant de ma décision, je me permets de vous préciser ci-dessous les raisons de ce retrait, qui s’accompagne de la cessation définitive de mes activités dans le domaine judiciaire.
J’ai rencontré à plusieurs reprises Madame Bonnard dans le cadre de l’instruction de cette douloureuse affaire. J’ai tout d’abord été saisie d’une grande compassion pour cette femme, devant les difficultés de ses conditions de vie, les exigences de son époux et sa fragilité mentale, obstacles qu’elle a pu surmonter avec courage durant plusieurs années avant de s’écrouler sous l’effet dévastateur de ce qu’on nomme aujourd’hui un « burn-out » aux conséquences que l’on connaît.
Je sais fort bien qu’un avocat de la défense doit savoir prendre du recul pour trouver de manière aussi efficace que possible les arguments qui convaincront les jurés de faire preuve de mansuétude envers l’accusé. Mais on ne peut mettre ainsi en veilleuse ses propres réactions devant l’horreur d’un tel drame si on ne peut se convaincre soi-même de la recevabilité des excuses qu’on invoque. Ceci m’a conduite à un dilemme insurmontable entre la compréhension, voire la compassion, éprouvées pour cette femme, et l’incompréhension des meurtres qu’elle a commis pour faire cesser ses souffrances. J’aurais compris qu’elle se retourne contre son mari ou contre elle pour fuir son calvaire quotidien, mais il m’est tout à fait impossible de défendre de quelque manière que ce soit une personne ayant pu donner la mort à trois de ses enfants, quels qu’en soient les motifs. On ne tue pas les êtres qu’on a mis au monde, qui ne sont en rien responsables de ce qui arrive à leur mère. Pour ces raisons, je me trouve donc dans l’incapacité personnelle d’assurer la défense de Madame Bonnard.
Au-delà de cette affaire, j’ai pris conscience du fait que ce cas pourrait se reproduire au cours de ma carrière d’avocate, qui ne fait que débuter, et je ne saurais, pas plus qu’aujourd’hui, sortir moi-même indemne de ces situations tout en défendant mal mes clients. En bref, il s’avère que ma personnalité est incompatible avec ce métier et la déontologie qui l’accompagne. En conséquence j’ai décidé de ne plus l’exercer.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’assurance de ma grande considération
Copie à l’ordre des avocats du Barreau de Rennes
6 rue Hoche 35000 Rennes
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