• La "boum"

    Pierre ouvrit la porte, derrière laquelle il entendait une musique tonitruante. Il fut ébahi par le spectacle qui s’offrit à lui.

    On était samedi, sa fille et son gendre étaient partis visiter des appartements en centre-ville, dans l’espoir de trouver la perle rare à acheter, c’est-à-dire un logement qui soit à la fois superbe, pas cher, sans travaux additionnels, proche des moyens de transport, etc etc. Pierre avait souri en entendant cela, mais n’avait rien dit et avait accepté de passer chez eux dans l’après-midi pour vérifier que tout allait bien. En effet, ses deux petits-enfants, dix ans pour Guillaume et quatorze pour Virginie, ne devaient pas quitter les lieux, la fille terminant ses devoirs pour être tranquille le dimanche, et le garçon ayant invité deux copains pour jouer avec eux dans sa chambre.

    Une demi-douzaine de jeunes adolescents, garçons et filles, occupaient le séjour, deux d’entre eux affalés sur le canapé, canettes de coca à la main, les autres au centre de la pièce, s’agitant en tous sens au son d’un morceau de hard rock ne méritant aucunement le qualificatif de musique. Il y en avait d’autres dans la cuisine attenante, qui parlaient très fort. Sur la table basse trônaient des assiettes encore garnies de quelques chips, des verres vides debout ou renversés, un paquet de cigarettes et deux cendriers pleins de mégots ; sur le plancher de la salle à manger, une bouteille de whisky renversée entourée de serviettes en papier hâtivement jetées là pour absorber le liquide ayant coulé. Sur les chaises et la table, blousons et pulls éparpillés, et même par terre quelques chaussures.

    Pierre respira profondément, s’avança dans la pièce, coupa le son de la chaîne Hi-Fi et claqua dans ses mains. En le voyant les danseurs s’arrêtèrent, les buveurs du canapé se levèrent d’un bond. Attirés par le silence soudain, les occupants de la cuisine firent leur apparition, et parmi eux Virginie. En apercevant son grand-père, elle devint fébrile, et tenta immédiatement de se justifier :

    - Papy, ce n’est pas ce que tu crois, je…

    - Stop ! dit Pierre. On s’expliquera plus tard.

    Haussant le ton il ajouta :

    - Vous tous, vous allez dégager les lieux, mais auparavant vous allez me ranger tout ce désordre. Vous avez dix minutes.

    Il se posta près de la porte et regarda les jeunes gens se mettre à débarrasser la vaisselle, essuyer le plancher, frotter les tables, enlever les miettes. Ils avaient l’air maussade, mais aucun ne se rebella, tout au plus certains grommelèrent pour manifester leur mécontentement. Pierre les regarda faire, l’air rébarbatif, mais intérieurement un peu amusé malgré un fond de colère. Il avait connu ça, dans le passé pas si lointain de sa jeunesse, et savait à l’avance ce que sa petite fille allait lui dire, quelque chose comme « j’en ai invité deux, mais ils sont venus avec des copains ; il y a une boum chez Virginie, on y va tous… » Néanmoins, il vérifia attentivement dans les cendriers l’absence de cannabis, et se promit de demander à sa petite fille d’où venait le whisky. Puis il alla voir dans la chambre de Guillaume, il n’y avait personne. Virginie, l’air contrit, lui dit que le bruit les gênait pour jouer, qu’ils étaient donc partis ailleurs, chez l’un d’entre eux, qu’il rentrerait vers cinq heures.

    Quand tout fut à peu près rangé, il les laissa partir. Puis il se tourna vers elle et lui dit :

    - A nous deux maintenant !

    Avant de la laisser s’asseoir sur le canapé, Pierre ferma la porte.

    22/11/2023

     


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