• Ce samedi là, Erwan se leva comme tous les jours à 7 heures. C'était une habitude, prise dès le début de son mariage avec Rozenn trois ans auparavant ; il ne voulait pas perdre son temps à traîner au lit alors que les jours passent si vite et qu'on a tellement de choses à faire avant de s'apercevoir que nos cheveux commencent à grisonner et nos articulations à se coincer. Elle, par contre, aimait rester un bon moment sous les draps à rêvasser, pour le rejoindre plus tard dans le séjour où l'attendait son petit déjeuner.

    Elle était rentrée tard la veille au soir, à l'issue d'un dîner avec des collègues de bureau, alors qu'il dormait déjà. En passant dans le hall pour brancher la cafetière dans la cuisine, Erwan accrocha le sac à main de sa femme déposé sans précaution à côté du téléphone. Il tomba, déversant sur le sol un fatras d'objets divers qu'il se mit à ramasser avec un léger sourire, se rappelant ce qu'il disait souvent avec ironie sur le contenu des sacs de femme. Il avait à peine commencé que son visage se figea à la vue d'un objet en latex qui n'aurait pas dû se trouver là, dont la présence le paralysa quelques secondes.

    L'esprit en ébullition, il se mit alors à inventorier méthodiquement le contenu du sac. Il hésita un moment avant d'ouvrir le portefeuille de sa femme : c'était là une ligne rouge qu'il hésitait à franchir, car même dans une relation de confiance totale il est des lieux et des moments d'intimité qui doivent rester inaccessibles à qui que ce soit. Mais il ne pouvait rester dans l'incertitude. Aussi est-ce avec une frénésie déraisonnable qu'il examina l'un après l'autre les papiers qui gonflaient le cuir, jusqu'à ce qu'il tombât sur une facturette d'hôtel daté de la veille au soir. Non, ce n'était pas la note du restaurant, l'indication sur le ticket ne laissait pas de place au doute : « Hôtel Mercure – Room service - chambre 202 ». Il imagina un instant que le « dîner entre collègues » pouvait avoir eu lieu dans une chambre pour être plus libres de rire et de parler fort, mais il élimina de suite cette hypothèse farfelue, à moins d'enlever le pluriel de « collègues », ce qui, par restriction mentale, faisait que, d'une certaine façon, elle lui avait dit la vérité.

    Après l'abattement et la surprise vint la fureur, une colère froide, presque raisonnée, distanciée. Il se releva, laissant éparpillé le contenu du sac, et entra dans la chambre le ticket et l'objet à la main. Rozenn était en train de s'éveiller. Elle s'étirait en soupirant d'aise, et lorsqu'il apparut elle lui jeta un regard alangui, les yeux mi-clos, d'une manière qu'il aurait considéré comme une invite dans d'autres circonstances.

    Il s'assit sur le lit, à bonne distance, et repoussa la main qu'elle tendait vers lui. Ce n'était pas habituel, et avec le visage fermé qu'il arborait, elle se douta que quelque chose n'allait pas. Il prit la parole, d'un ton qu'il voulait neutre.

    • Peux-tu m'expliquer la présence de cela dans ton sac ? dit-il en exhibant ce qu'il avait trouvé.

    Prise par surprise, elle pâlit, mais trouva aussitôt la parade. Il est bien connu que la meilleure défense, c'est l'attaque.

    • Tu te permets maintenant de fouiller dans mon sac ? C'est incroyable ! Intolérable ! Que dirais-tu si je faisais la même chose ? Rends moi ça et fiche moi la paix !

    Bien qu'il fût conscient qu'il ne fallait pas tomber dans son jeu, il ne put s'empêcher de commencer par se justifier.

    • Ton sac est tombé, c'est tout, je l'ai ramassé, je n'ai pas fouillé. Ne détourne pas la conversation. Pourquoi as-tu besoin d'un préservatif dans ton sac ? Et cet en-cas pris dans une chambre du Mercure, alors que tu étais censée dîner avec des collègues ? Explique moi s'il te plaît, je ne demande qu'à te croire, mais ça va être dur, je te préviens.

    Voyant que son stratagème ne fonctionnait pas, elle changea de tactique, s'assit dans le lit, le visage grave, et des larmes perlèrent dans ses yeux :

    • Le préservatif, tu ne vas pas me croire, mais c'est la vérité. Tu ne veux pas d'enfant et je ne prends pas la pilule. C'était au cas où on aurait eu une envie soudaine, dehors. C'était pour toi, on n'aurait pas eu besoin d'attendre d'être de retour à la maison...
    • Bien sûr... ! Elle est bonne celle-là ! Tu as raison, c'est dur à avaler, si je puis dire. Tu n'as pas une meilleure excuse ? Je sais que je te prends au dépourvu, et ça se voit. Trouve une meilleure explication s'il te plaît.

    Puis, changeant de ton, il poursuivit, ironique et rageur à la fois :

    • Mais admettons que tu sois sincère. Explique moi alors cette facture. C'était pour moi aussi ? Tu m'aurais téléphoné de la chambre 202 pour me dire de te rejoindre ? Je dormais et je n'ai pas décroché ? C'est ma faute, quoi ? Alors, avec qui étais-tu ? N'essaye pas de mentir encore une fois, ce n'est plus la peine.

    Rozenn pleurait maintenant. Elle essaya encore de lui prendre la main et de se rapprocher de lui, mais il se leva, la dominant du haut de son mètre 80. Elle baissa la tête et expliqua, sur un rythme haché :

    • C'est vrai, j'ai fait quelque chose de pas bien. Mais ce n'est pas ce que tu crois, c'est toi que j'aime, toi avec qui je veux vivre, et aussi...

    Il l'interrompit.

    • Pas la peine d'aller plus loin, tu m'en as assez dit, je n'ai pas besoin d'en savoir plus. Pas de détails sordides s'il te plaît. Je n'ai même pas envie de savoir qui c'est. Après, je verrai.
    • Mais justement, c'est ça qui est important. Son nom est Camille.

    Après un silence, baissant les yeux, elle ajouta d'une petite voix :

    • C'est une femme.

    Erwan qui s'apprêtait à sortir fit demi-tour et se rassit lentement sur le lit, abasourdi.

    • Une femme ? Mais enfin...Je ne comprends pas !... Quand même, tu n'es pas lesbienne !... Je m'en serais aperçu !... Qu'est-ce qui s'est passé ? Et ça dure depuis longtemps ?

    Elle sourit timidement à travers ses larmes qui se tarissaient :

    • Non, je ne suis pas lesbienne ! Et c'est la première fois. J'étais juste curieuse, et celle-là me tournait autour depuis un moment, alors je me suis dit... Et je savais bien qu'il n'était pas question de t'en parler, j'imaginais ta réaction...

    Elle ajouta, devant son air dépassé :

    • Sans entrer dans des détails sordides comme tu dis, sache que cela a été plutôt un fiasco. On ne peut pas dire que je t'ai trompé, tu sais... Définitivement, je n'aime pas les femmes, tu peux en être sûr. C'est pourquoi, ce matin, j'aurais bien aimé...pour me faire pardonner....

    Toujours incrédule, il lui jeta un regard mauvais puis il se leva, lui tourna le dos et se dirigea vers la cuisine où elle l'entendit remuer des ustensiles.

    Plus tard, elle le rejoignit. Il était debout devant la cafetière, pensif, regardant au loin. Elle lui passa avec précaution les bras autour de la poitrine, appuyant sa joue contre son dos, le serrant fort contre elle.

    Il ne la repoussa pas.

     


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  • (amusement de vacances)

    Quand j'étais jeune, je faisais partie d'une petite bande dont l'activité principale consistait à ne rien faire, ou alors des choses peu recommandables. Je me demande comment j'ai pu m'associer à tous ces individus, tous plus bizarres les uns que les autres, sauf moi, bien sûr. Certains étaient de vrais cas pathologiques, ils s'en vantaient d'ailleurs, c'est pourquoi par dérision nous nous surnommions « la bande des cas ».

    Parmi eux, il y en avait deux que j'aimais bien. Le Gall était un bon copain, un garçon le cœur sur la main. Doté d'un accent breton assez rugueux, on comprenait « Le Call » quand il se présentait. Lorsque notre groupe faisait des bêtises, il était le premier à avouer, endossait les fautes des autres, il était donc puni. Comme à côté de ça il aimait le fromage, on avait pris l'habitude, quand une nouvelle bêtise était découverte par un surveillant furieux, de lui passer un camembert en catimini, en lui glissant à l'oreille : « Le Call, endosse ! »...

    Le Bars était un autre ami, qui avait la particularité de ne pas vouloir porter de slip. C'était vraiment un cas, ce gars. On l'appelait le cas Lebars.

    On avait d'autres gars curieux dans le groupe. C'étaient vraiment des cas, tous. Il y avait :

    • Calais, moche comme un pou. En plus, il habitait le Nord.
    • Un autre, qui était juif et trouvait tout trop cher. On l'avait surnommé le Cas Cher. Son meilleur copain, juif aussi, très religieux, voulait devenir médecin. Ses délires mystiques nous l'avaient fait appeler le cas rabbin.
    • Viard, qui ne mangeait que des bonnes choses parce qu'il en avait les moyens et ne partageait avec personne. C'était le cas Viard.
    • Un allemand, têtu comme une mule. C'était le cas Boche
    • Bernhet, un tourangeau porté sur le rosé, crédule comme pas deux. Ah ! J'y pense encore, quel cas, Bernhet !
    • Et d'autres que je vous passe

    Si, j'oubliais, il y en avait un qui était littéraire et portait Kafka aux nues. Il ne lisait que lui, souvent dans les toilettes, au point qu'on était inquiet, car il se prenait pour l'arpenteur K, le héros du « Château ». Son cas était très grave sur la fin, c'était vraiment le Cas K.

    On formait une bonne bande, un peu déjantée, mais on riait bien.

     

    Aujourd'hui, le groupe n'existe plus et je n'ai plus de copains, mis à part un chat, qui est très drôle et se met sur mes genoux chaque fois que je veux lire. Je l'ai donc appelé Chapitre.

    Mon voisin en a un aussi, mais très vilain, la queue cassée et qui marche de travers, comme un marin sur un bateau qui roule. C'est pour ça qu'il l'a nommé Chaloupé.

     

    Voilà. Je vous ai tout dit sur mes fréquentations de jeunesse...

     


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  • Ce jour-là, le repas de midi au carré des officiers du "Redoutable" avait commencé dans un silence de plomb. Six personnes y participaient. Les autres, dont le Commandant, avaient préféré le service de 11 heures. Le Capitaine de frégate B..., Commandant en second présidait. Parmi les convives figuraient le lieutenant de vaisseau R..., ingénieur mécanicien chef du service « Sécurité-Plongée », et le lieutenant de Vaisseau P..., Chef du service « Missiles », qui venaient tous deux de terminer leur quart. Ce sont ces trois personnages qui nous intéressent dans cette histoire que je vais maintenant vous raconter, les autres n'étant pas ou peu intervenus, le nez à quelques centimètres du fond de leur assiette.

    Dans un sous-marin où les gens sont obligés de cohabiter pendant deux mois, il n'est pas anormal que de temps à autres il puisse y avoir des échanges de propos aigres-doux. C'est rare, mais il y en a. Et ce n'est pas forcément dû à l'exiguïté des lieux, le plus souvent cela provient du heurt de personnalités antinomiques qui finissent par sortir du cadre des convenances, voire de la bienséance. La proximité forcée ne fait que faciliter la mise au jour du caractère réel de certains lors de l'apparition de situations conflictuelles.

    Une précision cependant : dans la Marine, la parole est très libre. Lorsqu'il s'agit de questions de service touchant au navire, la hiérarchie militaire est présente et nul ne la conteste. Inutile même d'élever la voix. Lorsqu'il s'agit d'autre chose, d'exprimer par exemple une opinion sur des sujets d'ordre général, chacun parle sans trop se préoccuper du grade ou de la qualité des interlocuteurs. Ceci est encore plus vrai dans un sous-marin, où tout le monde se connaît, où tout le monde est habillé de la même façon, du matelot au Commandant, sans insignes de grade, où le sérieux du travail implique rarement la nécessité d'une parole cassante ou d'attitudes stéréotypées, comme saluer les supérieurs quand on les croise ou se mettre au garde-à-vous chaque fois que l'un d'eux vous adresse la parole. A tous les niveaux règne une certaine familiarité de bon aloi, qui normalement ne dépasse pas les bornes tacitement admises. Sauf exception...

    Théoriquement, selon les traditions de la Marine, il revenait à B de lancer le premier la conversation sur un sujet quelconque. Comme à son habitude, il n'en fit rien, ses centres d'intérêt se limitant aux détails du service à bord et aux questions religieuses. Car B, homme de 42 ans, de taille moyenne, un peu corpulent, doté d'une coiffure en brosse et d'un visage commun difficile à mémoriser, est un catholique intégriste. Il a fait toutes ses études chez les jésuites, et cela se voit comme le nez au milieu de la figure. Il n'est pas très populaire, même parmi les croyants du bord. Il n'élève jamais la voix, parle d'un ton doucereux où perce sa conviction que par sa bouche sort la parole de Dieu, quel que soit le sujet. Mais il n'a pas pour autant la parole facile, il cherche ses mots, il bafouille parfois. Quand il parle à quelqu'un, il ne le regarde jamais en face, si bien que personne ne connaît la couleur de ses yeux...

    Au bout de quelques minutes, entre l'avocat aux crevettes servi par le maître d'hôtel, et le rôti de boeuf qui attendait dans l'office, R prit la parole pour meubler le silence pesant, évoquant un souvenir concernant une question technique.

    • Cet après-midi, il va falloir que j'aille inspecter la batterie, les relevés semblent indiquer une élévation du dégagement d'hydrogène sur certains éléments, je vais vérifier également qu'il n'y a pas de gaz toxiques, comme ce fut le cas sur la « Sirène ».

    R est un officier mécanicien sorti du rang. À 37 ans, il est plus âgé que ceux qui sont passés par l'Ecole Navale, et sait que sa carrière dans la Marine sera limitée. C'est un ingénieur très sérieux, d'une grande compétence technique, qui s'implique fortement à la tête de son service, le plus important du bord. Physiquement, c'est le contraire de B : grand, mince, les traits acérés, la chevelure très brune, les yeux mobiles, il est sans cesse en mouvement d'un bout à l'autre du navire. C'est un homme pragmatique et réaliste, qui sait écouter et argumenter, mais qui ne revient pas sur ses décisions, ce qui le fait apparaître parfois comme une personnalité butée lorsqu'il est contesté. Il était précédemment l'ingénieur en charge de l'armement de la Sirène, un petit sous-marin diesel de la classe des 800 tonnes

    Malheureusement, il n'avait pas choisi le bon sujet. D'un ton uni, B lui rétorqua aussitôt, sans que l'on sache s'il connaissait l'affectation précédente de R  :

    • La « Sirène »...Oui, c'est ce navire qui a refusé d'embarquer sa batterie sous prétexte qu'elle émettait des gaz soi-disant dangereux. On a dû ainsi retarder son lancement de 3 mois, et commander une nouvelle batterie. Quel gâchis ! La batterie refusée a été ensuite embarquée sur le Gymnote, dont j'étais le Commandant, et elle fonctionnait très bien.

    On vit les traits de R se creuser sous l'affront, mais il se contint.

    • Je vous garantis que cette batterie était défectueuse, près de la moitié des éléments ne répondant pas aux spécifications techniques. Elle est retournée en usine, des réparations ont été effectuées, et c'est cette batterie rénovée que vous avez embarquée. Pas étonnant qu'elle ait bien fonctionné. C'est moi qui ai signé le PV de refus, je peux vous raconter cette histoire dans le détail. Je connais tout de même mon métier, bon sang !

    • Et moi, j'en ai discuté avec l'Ingénieur d'armement chargé du programme des 800 tonnes. Il m'a dit qu'on avait perdu beaucoup d'argent à cause de gens tatillons comme vous, et j'ai plutôt tendance à le croire.

    Donc, il savait que R était à l'origine de cette affaire, et sa remarque était voulue. R devint rouge de colère sous l'accusation même pas voilée.

    • Ça alors ! On voit bien que vous n'y connaissez rien. Toutes vos informations sont de deuxième main.

    A ces mots, ce fut au tour de B de se redresser d'un air offusqué. Elevant la voix, R ajouta :

    • Vous préférez croire ce que vous dit un polytechnicien enfermé dans son bureau toute la journée plutôt qu'un ingénieur soucieux de la sécurité du personnel et sur la brèche en permanence ! D'abord, les normes ont été faites par des gens comme lui, et la moindre des choses est de les respecter. Moi je n'ai rien inventé, j'applique les règlements, vous avez quelque chose à dire à ce sujet ?

    Alors qu'il aurait dû calmer le jeu, puisque c'est le rôle du Second de soutenir le moral des troupes et d'aplanir les conflits, R répliqua d'une voix douce :

    • Il n'y a pas photo entre un Ingénieur de l'armement diplômé de l'X et un officier mécanicien sorti du rang.

    Cette fois, cela en fut trop pour R, qui fusilla B du regard.

    • Pour vous donc, il n'y a que le diplôme qui fait la compétence. Vous venez de me traiter d'incapable juste parce que je n'ai pas fait l'Ecole Navale, c'est bien ça ? Moi, j'aimerais bien voir votre polytechnicien venir faire le quart à l'arrière ou détecter ce qui ne va pas sans quitter sa chambre. Et, désolé de vous le dire, des incompétents, j'en vois au moins un autre à cette table !

    Il repoussa son assiette, jeta sa serviette et quitta la table.

    En entendant cela, les autres officiers présents firent la grimace, s'attendant à une repartie en forme de représailles de B. Mais celui-ci ne dit rien, un vague sourire figé sur son visage, gardant son regard fixé sur son assiette où la viande venait d'être servie juste avant cet échange assez inhabituel par sa violence.

    Pendant quelques instants, on n'entendit que le bruit des mâchoires, puis P prit à son tour la parole. Il avait suivi l'échange précédent d'un air goguenard, mais n'avait pas voulu intervenir malgré son envie visible de soutenir R.

    P, jeune et brillant officier, est sorti dans les premiers de l'Ecole Navale. Comme R, il est grand, svelte, brun, mais porte une courte barbe et son regard vous transperce. Il est célibataire. A 29 ans, il est déjà responsable des missiles et de leur système de lancement, il est conscient de sa valeur et n'oublie pas de le faire savoir. Sa principale caractéristique, dont on s'aperçoit immédiatement, c'est d'être un orateur né, un débatteur hors pair, doté d'une culture phénoménale. La rapidité de son esprit est assez extraordinaire. Malheureusement, il a aussi les défauts de ses qualités : il parle trop, il écoute peu, il étale ses connaissances, il utilise des mots recherchés ou peu usités, il apparaît froid, hautain et même parfois méprisant, il manque de chaleur humaine. Bien qu'ayant fait ses études chez les jésuites, comme B, c'est un athée affiché et revendiqué, prêt à « bouffer du curé » à tout bout de champ.

    • Bon, dit-il, je ne suis pas non plus polytechnicien, ni mécanicien, aussi je n'ai rien à dire sur cette histoire de batterie que je ne connaissais pas. Je vous propose donc de changer de sujet et d'évoquer avec vous quelque chose qui m'intéresse beaucoup plus, le Moyen-Âge. En effet, même si je ne suis ni croyant ni sorti de l'école des beaux arts, j'apprécie énormément les bâtisseurs de cathédrales et l'art roman. Avez-vous vu les fresques dans la crypte de l'église de Tavant ? Elles sont merveilleuses, je vais y retourner pendant les vacances qui nous attendent dans moins d'un mois.

    Avec un certain soulagement, les nez se relevèrent, et la tablée embraya à sa suite, même si dans les faits P monopolisait la parole. Il a enchaîné par des considérations sur l'architecture du Périgord, sa région d'origine, puis cela s'est étendu à l'art primitif et préhistorique en Europe et ailleurs, puis à la pensée de l'homme, plutôt philosophique et religieuse, pour se stabiliser définitivement sur la religion, comme de juste...P discourait, et tout le monde l'écoutait, même B, mais sans intervenir. Habilement, P entraînait l'assistance vers les questions religieuses, son sujet de prédilection, se préparant à sortir son épée étincelante dès que B entrerait dans la joute, afin de pouvoir l'écraser dans une bataille oratoire dont il était sûr de sortir vainqueur.

    P a commencé à exposer son point de vue sur l'éducation des enfants, qu'il voudrait aussi libre que possible afin de laisser s'exprimer les capacités innées de chacun. Puis il continua en critiquant l'institution du mariage, insistant sur les valeurs de l'union libre et la liberté de choix de la femme sur son corps. Nous étions à cette époque en pleine discussion sur le droit à l'avortement, et Simone Veil préparait sa loi.

    Évidemment, B ne pouvait pas rester muet sur un tel sujet, ne partageant aucune de ces idées hérétiques, et à sa manière pateline, il exposa quelques unes de ses convictions. Sa pensée est simple et maintes fois ressassée : hors des préceptes de l'Eglise, point de salut ; la vérité est une pour tous les hommes, et c'est celle du Christ ; le mode de vie et de pensée préconisé dans les textes religieux (à partir d'Aristote puis de Thomas d'Aquin) est le meilleur qui puisse exister et le seul valable ; il s'applique à tous les hommes, qu'ils soient d'origine, de couleur, de cultures différentes. Bref, B c'est le catholicisme bulldozer : droit devant en suivant le dogme sans jamais le remettre en question, surtout pas, garder le regard à l'infini, sans se préoccuper de ce qu'il y a à droite ou à gauche, ni de ce qu'on écrase en avançant.

    La transposition pratique de ces idées fait frémir : il élève ses six enfants, nous dit-il avec fierté, à l'écart des autres et ne leur permet de fréquenter que ceux qu'il a choisis après enquête préalable sur leurs antécédents, leur fréquentation d'écoles religieuses ou non, le niveau social de leurs parents. Il considère que le mariage est une institution de portée universelle qu'il faudrait imposer à tous. Bien sûr, il est contre l'avortement librement choisi, trouve que c'est une aberration et se demande bien comment des gens peuvent simplement y penser. Enfin, il souhaite de tout cœur que la Terre entière puisse obéir à ces principes, si besoin par la contrainte, car les peuples s'apercevraient vite que là réside le vrai bonheur.

    Inutile de dire qu'à ces professions de foi P répliqua du tac au tac, dans des reparties brillantes et rapides laissant sans voix le pauvre B qui cherchait ses mots et ses arguments, plus besogneux que jamais. Car en fait d'arguments, il n'en avait pas, en dehors de sa croyance s'appuyant sur les textes sacrés. Que n'a t-on entendu, de la part de P, sur les curés en soutane, le denier du culte extorqué aux pauvres, les caresses douteuses des religieux pédophiles, le lavage de cerveau des gens crédules, l'absence d'intelligence de gens instruits gobant les sornettes des écritures ! Le summum fut atteint quand P lança, en guise d'estocade finale :

    • Ce ne sont pas des miracles à quatre sous comme ceux faits par un petit juif ayant des visions allant chercher quelques bouteilles de vin frelaté dans une noce et piquer du pain dans une boutique, qui me feront croire à l'universalité et à la vérité de la religion catholique.

    Sur ce, il appela le maître d'hôtel :

    • Corfdir, remplissez donc mon verre s'il reste encore du vin, sinon je compte sur vous pour faire un miracle !

    Cette fois, c'est B qui quitta la table, sans rien dire, souhaitant à tous d'une voix égale une bonne après-midi, le visage malgré tout congestionné, mais on ne saura jamais si c'était à cause de l'excellent dessert qui avait suivi le fromage, ou pour des raisons de divergences sur la réalité divine...

     


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  • Ecrire un texte en y introduisant les mots : fou, aviné, compassion,allaitement, fugue,cercueil, bénédicité, pureté, avenir de la France.

    Au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit

    Mes biens chères sœurs, mes biens chers frères,

    En ce jour de Carême, je voudrais essayer de vous persuader que dans votre vie, il est bon de temps en temps de jeûner, non pas comme le font les fous de Dieu au cours du Ramadan, qui se goinfrent dès le crépuscule, mais en songeant avec compassion à tous ceux qui n’ont pas de quoi emplir leur assiette, à tous ces pauvres qui hantent les quartiers des riches où, trop souvent, résonnent les voix avinées des nantis qui chantent, et qui continuent de chanter quand ils sont repus, et qui chanteraient encore s’ils le pouvaient dans leur cercueil de chêne massif, alors qu’ils n’ont jamais dit le moindre bénédicité avant d’entamer leurs festins honteux.

    En vérité je vous le dis, ceux qui pensent que l’allaitement des enfants des pauvres gens par leurs mères est quelque chose d’inutile parce que la racaille ne doit pas se reproduire, ceux là se trompent ! Et tous ces riches qui mangent à leur faim tous les jours et qui ne viennent à l’église que pour écouter une cantate ou une fugue de Bach au lieu de méditer sur la parole divine, ceux-là ne méritent pas d’être accueillis dans la pureté du Paradis, auprès de la Vierge Marie et des pauvres qui, eux, seront récompensés par Notre Seigneur.

    Je n’irai pas plus loin dans ce sermon : réfléchissez bien à cette seule idée qu’il contient et qui est vitale, et souvenez vous en à chaque fois que vous mangerez plus qu’il n’est nécessaire. Louez le Seigneur Jésus Christ, et en sortant tout à l’heure de cette église, essayez de penser d’abord aux pauvres et au royaume des cieux plutôt qu’à la TVA à10 % dans les restaurants et à l’avenir de la France par la finance ! Et priez Dieu dans la frugalité requise par le Carême.

    Méditez ces paroles et allez en paix !

    Amen.

     


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  • L'humanité éternelle

    par Gérard Smale

    Récit de science-fiction


    Quatrième de couverture

    L'auteur

    Venu très tard à la littérature, Gérard Smale a eu une vie mouvementée avant de se mettre à écrire des essais et des romans de science-fiction.

    Mis en pension dans une école de jésuites dès l’âge de dix ans, il y fera de brillantes études et commencera une courte carrière technique dans l'aviation qui l’emmènera dans de nombreux pays. Il prolongera cette vie de voyageur par un travail d’ingénieur itinérant pour une grande société de centrales électriques. Après une quinzaine d'années, changeant complètement de vie, il sera gestionnaire d’une pêcherie en Indonésie pendant cinq ans, avant de revenir en France pour se consacrer à l'écriture.

    Célibataire, Gérard Smale vit aujourd’hui en ermite dans un chalet du Jura où, en dehors des heures qu’il passe à écrire, il produit lui-même presque tout ce qui lui est nécessaire pour vivre.

    Grand amateur de science-fiction, il mêle avec bonheur dans ses deux premiers romans les fruits de son imagination et les souvenirs des pays exotiques qu’il a réellement visités, pour inventer des paysages de planètes a priori improbables et des civilisations magnifiquement différentes.

    Synopsis

    Le récit se fonde sur une idée de nature philosophique particulièrement excitante : l’humanité toute entière n’est qu’une seule entité transcendant l’espace et le temps. Un seul individu, s’il pouvait garder sa mémoire au-delà de la mort, se souviendrait des vies de tous les êtres qui ont existé et qui existeront dans l’univers, car en réalité tous ne font qu’un.

    Sur cette base, Gérard Smale a construit un roman racontant comment Damien Versipe, le héros, accède par accident et par bribes à la mémoire collective de l’humanité et se souvient d’avoir été, comme tout le monde, l’empereur Auguste mais aussi le lépreux de la cour des miracles, Einstein mais aussi une belle esclave de Cléopâtre, sans oublier Cléopâtre elle-même, et bien sûr quelques personnalités marquantes du futur…

    Tour à tour cocasse et grave, le livre conduit le lecteur vers une réflexion sur le sens de la vie, question qui est transposée ici de l’individu prisonnier du temps à l’humanité qui s’en serait affranchie.


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