• Il fait nuit. J'ai réservé une couchette dans ce train qui doit me conduire à Nice, où j'arriverai dans la matinée du lendemain. La locomotive fait « Tchu Tchu Tchu », interminablement, comme un dragon endormi, et l'air sent le charbon et le soufre. J'entre dans le compartiment de troisième, où se trouvent déjà deux personnes assises sur les sièges de moleskine verte rabattus pour faire literie, à côté des couvertures qu'elles déploieront bientôt et du mince oreiller. Il y a un homme et une femme, ils attendent le départ du train et le passage du contrôleur pour se coucher. Ils répondent à peine au salut que je leur adresse. La femme, jeune, brune à cheveux longs, plutôt jolie, lit une revue, sans doute pour se donner une contenance. Elle porte une robe évasée vers le bas, à la mode de la fin de ces années cinquante, et des ballerines. L'homme est quelconque, petit, la cinquantaine, une grosse moustache et des yeux fuyants. Il ne fait rien, il attend. Je pose ma valise sous la couchette du bas, et je ressors dans le couloir. Je regarde les gens qui déambulent sur le quai, mais il y a peu de monde. Une secousse ébranle le wagon, une sirène hulule, c'est la bête qui se réveille, le « Tchu Tchu » s'accélère, le train démarre, à grands renforts de sifflements et de crissements. Des jets de vapeur sortent de la locomotive, que j'aperçois en me penchant un peu par la fenêtre, au-dessus de la plaque « E pericoloso sporgersi », le conseil de prudence pour ne pas faire justement ce que je suis en train de faire. D'ailleurs je le regrette, car je prends de suite, comme pour me punir, une escarbille dans l'oeil. Avec la manivelle, je remonte la vitre et je regagne mon compartiment.

    Apparemment, sur les six couchettes, seules trois sont occupées, nous serons plus tranquilles et cela diminue la probabilité d'avoir un ronfleur dans cet espace exigu. Je prends place dans celle qui est la plus élevée, à droite en entrant. L'homme fait de même sur le côté gauche. Quant à la femme, elle s'installe en bas, de mon côté. Lorsque le contrôleur est passé et a poinçonné nos billets, d'un commun accord nous éteignons la lumière violente du plafonnier et allumons les veilleuses individuelles. Au bout d'un moment, ils éteignent, et je reste le seul à lire pendant quelques minutes. Le temps passe. Je ne dors pas, nous sommes trop secoués par le passage des aiguillages et le « toc-toc » des roues sur les raccordements des rails. Je pense que les autres non plus ne dorment pas. La moleskine colle aux bras malgré le drap recouvrant le lit, elle sent le vieux.

    Je dois quand même m'être assoupi, car je suis réveillé quand le train s'arrête à grands renforts de crissements de freins. J'entends un haut-parleur hurler dans la nuit, dans des crachements indistincts : « Dijon, Dijon. Dix minutes d'arrêt ». Encore des chocs. Le train manoeuvre, un coup en avant, un coup en arrière. On doit accrocher des voitures venant de Nancy. Après quelques minutes, le train repart.

    Soudain la porte s'ouvre brutalement. Deux militaires entrent, bruyants, sans-gêne, sentant l'alcool. Ils allument le plafonnier. « Tiens, ici il y a de la place » dit l'un d'eux, un blond musclé. « En plus, il y a une minette » renchérit l'autre, brun la boule à zéro. « On va rester là, c'est bien. » La fille ne dit rien, l'homme non plus. Je leur demande poliment de s'installer et d'éteindre dès que possible, car je voudrais dormir. Et j'ajoute « Les autres aussi je pense ». Ils sont debout, leur visage à hauteur du mien, et je sens leur haleine. Ils me regardent d'un air mauvais. « Qu'est ce qu'il y a, le monsieur n'est pas content ? »  demande le premier. Il ajoute à la cantonade « On vous dérange, msieur dames ? ». Pas de réponse. Le petit homme couché à côté de moi se rencogne le plus loin possible du bord, le visage tourné vers la paroi. Il aimerait être ailleurs. Je me redresse sur un coude et je réponds aussi calmement que possible : « Je vais à Nice, et j'aimerais bien me reposer juste un peu, il y a encore des heures de trajet ». Ils me regardent toujours, puis le blond se détourne, éteint le plafonnier et allume la veilleuse de la couchette intermédiaire. Tous deux s'assoient sur la couchette du bas, en face de la fille qui est toujours allongée, et commencent à vouloir lui faire la conversation. Ils parlent fort, ils ricanent, ils s'esclaffent, fiers de leurs plaisanteries grossières. Elle ne répond pas, puis comme ils insistent, elle balbutie quelques phrases hachées. Je ne la vois pas, mais j'imagine qu'elle doit être mal à l'aise devant ces deux types qui lui posent des questions de plus en plus indiscrètes, tout en se vantant de leurs petits exploits de troufions à la base aérienne de Dijon. Je sens l'agacement m'envahir, puis l'énervement, puis la colère. J'essaie de me contrôler, mais cela devient de plus en plus difficile, même si ma raison me dit que si j'interviens ça ne pourra pas se passer bien.

    J'arrive à tenir un petit quart d'heure, puis j'explose. Je m'assois au bord de ma couchette et je leur hurle : « Ça commence à bien faire, là, tous les deux ! Vous voyez bien que vous importunez mademoiselle, et moi aussi par dessus le marché ! Alors taisez-vous maintenant, couchez vous et cuvez jusqu'à l'arrivée, cela vous fera le plus grand bien !! »

    Je me rends compte aussitôt de mon erreur, mais il est trop tard, et même si cette sortie me soulage, cela ne dure pas plus de deux secondes, car les deux types me tombent dessus à bras raccourcis. Le brun tire sur mes jambes et me fait rejoindre brutalement le sol, pendant que le blond costaud m'envoie son poing dans la figure. Je rends quelques coups, mais je ne fais pas le poids. Pendant ce temps, pas un mouvement de la part du petit moustachu de la couchette du haut, mais la fille se met à hurler. Elle me sauve d'une correction qui menaçait d'être plus achevée en ouvrant la porte du compartiment et en s'enfuyant dans le couloir en criant. Voyant cela, les deux militaires m'abandonnent, sortent précipitamment et s'enfuient dans la direction opposée.

    Je reprends mes esprits, j'ai la lèvre qui saigne et mal à l'oeil droit. Je vais l'avoir au beurre noir. Je m'assois sur la couchette. Peu après, le contrôleur arrive, s'enquiert de mon état, je lui dis que ça va. La fille revient, un peu calmée, mais elle me regarde d'un air accusateur, comme si c'était moi le coupable dans cette affaire, et demande à changer de compartiment. Je regagne ma couchette après un détour par les toilettes du wagon pour me rafraîchir le visage. Le reste du voyage se passe tranquillement, mais sans dormir du tout. Je ressasse ce qui s'est passé, je me demande si j'ai bien fait. Je n'ai plus revu les militaires. Ni le petit moustachu que je n'ai pas vu partir. La fille est descendue à Marseille, j'étais dans le couloir quand elle est passée avec une grosse valise. Je l'ai aidée à descendre du train. Elle m'a dit merci d'un air pincé, sans me regarder. Je devais être trop moche.

    De Toulon à Nice, il fait grand jour. Je suis accoudé à la fenêtre. J'ai une sale tête. J'ai hâte d'en finir avec ce mauvais trip.

    A Nice je retrouve mes amis sur le quai. Ils m'embrassent et me demandent pourquoi j'ai une sale tête. J'invente que je suis tombé dans le soufflet entre deux wagons et que je me suis cogné à une rambarde mal placée. Je n'ai pas envie de raconter que je me suis bagarré pour défendre une jeune fille en détresse, ce qui est vrai, mais pas complètement. Peut-être a t-elle été déçue que j'interrompe sa conversation avec de beaux militaires ? Peut-être ai-je imaginé qu'elle avait peur ? Peut-être espérais-je égoïstement une récompense ? Qui sait ?

    On ne connaît pas les gens.

     


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  • J'errais comme une âme en peine dans le grenier de Papy, parmi les cartons empilés par-ci, par-là, ses vieilles cantines militaires, et une multitude d'objets hétéroclites qu'il amassait depuis des années, qu'il avait peut-être oubliés. J'étais au bord des larmes, car je l'aimais beaucoup, c'était celui de mes grands pères qui m'était le plus proche, qui avait toujours quelque chose à me proposer, qui n'hésitait pas à jouer comme un gamin avec moi tout en répondant sérieusement à toutes mes questions, même les plus farfelues. Mes parents étaient au rez de chaussée, ils triaient et emballaient ce qu'ils voulaient garder du bric à brac de Papy, cela allait prendre un certain temps. Je venais de passer le bac, je n'avais donc plus rien à faire, ils m'avaient envoyé là-haut sans consigne particulière, juste pour m'occuper et leur dire ce qui s'y trouvait.

    Les cartons ne portaient aucune mention de leur contenu, j'en ai ouvert un au hasard. C'étaient des livres de classe, datant du collège, certains portaient encore une couverture en papier kraft avec son nom dessus. Des reliques poussiéreuses d'un passé enfui dont je ne savais rien, et, je le supposais, ma mère non plus. Plus loin, sous la lucarne, un alignement de valises attira mon regard. Elles étaient toutes vides. Sauf une, au fond de laquelle je trouvai un morceau de papier jauni portant quelques mots, coincé dans une fente entre la paroi de carton et un renfort rigide. Cela ressemblait à un fragment de lettre déchirée, sur lequel je me penchai pour déchiffrer ce qui s'y trouvait écrit. C'était bien l'écriture de mon grand-père, que j'aurais reconnue entre toutes avec ses jambages descendant loin sous la ligne et ses « a » à demi ouverts.

    Il y avait la date et le lieu : « Rouen, 10 juin 1965 », puis « Ma chérie, » puis, sur cinq lignes des fragments de phrases : « Tu es partie sans me dire...» « ...avec qui, et cela me fait de la pe... » « ...ce n'est pas pour me plaindre... » « ...griefs réciproques... » « ...si tu reviens un jour... ». J'étais perplexe. J'ai relu ces quelques mots plusieurs fois. Papy avait écrit à une femme qu'il appelait « Ma chérie » peu avant la naissance de ma mère. Cette femme était partie, puisqu'il évoquait la possibilité qu'elle revienne. Ils avaient tous deux des griefs réciproques. C'était adressé à une femme inconnue, pourquoi pas une maîtresse, mais alors comment expliquer la présence de cette lettre dans ses affaires ? Il y avait donc de fortes chances qu'elle ait été adressée à ma grand-mère, que je n'avais pas connue car elle était décédée d'un cancer bien avant ma naissance. Il avait dû retrouver cette lettre après sa mort et l'avoir déchirée, ou l'avoir rangée ailleurs. Quant au contenu, il attisait ma curiosité. L'explication venant immédiatement à l'esprit était simple, pour ne pas dire banale : ma grand-mère était partie avec un autre homme, sans prévenir, et Papy lui avait écrit pour lui dire de revenir. Apparemment, le « Ma chérie » laissait supposer qu'il l'aimait toujours, et poussait à interpréter le « si tu reviens un jour » comme un souhait plutôt qu'une menace. J'en déduisais que la fugue de ma grand-mère, si fugue il y avait, n'avait pas duré très longtemps, et qu'elle était revenue sans que personne ensuite ne le sache ou y fasse allusion. Je ne voyais pas d'autre explication.

    En effet, ma mère était née en avril 66, donc si mes comptes étaient bons, grand-mère était rentrée au bout d'un mois à peine. Que s'était-il donc passé, en cette période reculée ? Qui était cet individu pour lequel elle avait abandonné son mari, épousé à peine deux ans plus tôt ? Toutes les familles ont leurs secrets, mais je ne m'attendais pas à cela dans l'histoire de Papy, qui me parlait souvent avec émotion de sa femme, parfois même avec des larmes dans les yeux quand il me disait : « Elle est partie trop tôt, elle me manque... ». Et qui ne l'avait jamais remplacée.

    Je me dis qu'il y avait peut-être des éléments de réponse dans les caisses et cartons entassés dans le grenier. Aussi, bravant la poussière, je me mis à les ouvrir l'une après l'autre. J'eus du mal à m'arrêter quand mes parents m'appelèrent pour aller déjeuner, et pendant le repas je ne pipai mot de ma découverte. A mon avis, ils ne savaient rien de tout cela, il serait bien temps de questionner ma mère plus tard.

    Ma recherche dura presque deux jours. J'ouvrais chaque carton, puis je l'explorais méthodiquement, regardant même entre les pages des livres de classe et entre les feuilles des documents divers archivés là. Plus j'avançais, et plus j'étais persuadé que je trouverais quelque chose. En effet, pourquoi garder par exemple les factures d'EDF d'il y a cinquante ans, et jeter lettres et papiers personnels ? Mes parents s'étonnaient que je passe autant de temps dans la pénombre du grenier et me questionnaient, mais sans monter car ils trouvaient l'échelle et la trappe trop difficiles pour eux.

    J'avais eu tort de commencer par les cartons. C'est dans une cantine que je trouvai enfin ce que je cherchais, un paquet de lettres dans une enveloppe grise, dissimulé sous une machine à écrire Remington d'avant guerre. J'hésitai un peu avant d'oser les lire. Je commençai par chercher le morceau correspondant à ce que j'avais trouvé dans la valise. Ce fut facile, c'était la dernière feuille, toute chiffonnée, glissée sous l'élastique retenant les lettres. Mon grand-père avait dû être très ému en la rangeant, car, outre le fait de ne pas s'être rendu compte qu'il en déchirait un morceau, on devinait des traces de larmes au bas de la page, une goutte qui avait dilué l'encre, rendant presque illisible sa signature.

    Rouen, 10 juin 1965

    Ma chérie,

    Tu es partie sans me dire pourquoi, ni où tu allais, mais je sais bien avec qui, et cela m'a fait beaucoup de peine. Mais si je t'écris aujourd'hui, ce n'est pas pour me plaindre ni t'accabler de reproches. J'en ai aussi à me faire, et je ne veux pas que cette lettre ressemble à une liste de griefs réciproques. Je voulais simplement te dire que je t'aime toujours et que si tu choisis de revenir un jour, je serai le plus heureux des hommes. Je ne te reprocherai jamais rien, et je ne t'en parlerai jamais. Mon privilège sera de t'avoir près de moi, de pouvoir te contempler chaque jour, de croiser ton regard, d'attendre ton sourire. Et je ferai tout pour que ton bonheur soit ainsi égal au mien.

    Je tenais à te dire ces mots banals mais vrais. Je confie cette lettre à ton père, je pense qu'il sait où tu es et qu'il te la fera parvenir.

    Je t'embrasse tendrement.

    Gabriel

    Je me redressai, les deux morceaux à la main, très ému. C'était là une belle lettre d'amour, claire et simple, qui ne m'étonnait pas de la part de Papy, homme droit et chaleureux, si attentif aux autres, prêt à se sacrifier pour le bonheur de sa femme. Je songeais à tout cela en regardant au loin à travers la lucarne, et je m'apprêtais à descendre, lorsque soudain une pensée fulgura dans ma tête, un éclair violent qui me força à m'asseoir par terre, l'esprit en déroute. Et si...Et si...Non, ce n'était pas possible...Mon grand-père était mon grand-père, autre chose était impensable !

    Je refis plusieurs fois mes calculs, n'y croyant pas, mais je ne pouvais rejeter cette idée : et si ma grand-mère était revenue, non pas un mois après être partie, mais trois, ou quatre ? Après avoir passé tout l'été avec son séducteur ? Qui l'avait mise enceinte !C'était plus logique, et la conclusion arrivait alors d'elle-même, Papy ne pouvait pas être mon grand-père !

    Il fallait que j'en sois sûr, et accessoirement savoir qui était « l'autre ». Je décidai alors de poursuivre la fouille de ses affaires, lire ce paquet de lettres, chercher dans d'autres documents, aller à l'état civil, faire l'inventaire de ses relations de l'époque, questionner les gens. J'y passerai mes vacances, mais il fallait que je sache.

    Papy, TU ES MON PAPY, pas l'autre !! On ne peut pas aimer autant un enfant qui n'est pas le sien !

     


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  • Au restaurant

    Lundi à Mantes la Jolie, je déjeune dans un des rares restaurants ouverts. A la table voisine s'installent trois personnes, deux hommes et une femme. La femme précède les deux hommes, qui suivent à quelques mètres. Le plus âgé avoisine la cinquantaine, cheveux gris coupés courts et lunettes cerclées, chemise blanche ouverte ; l'autre a moins de trente ans, pantalon sombre et pull ras du cou. La femme est jeune, assez jolie, l'air décidé, mais avec un menton qui s'empâte et la voix criarde. Je la regarde surtout pour sa chevelure blond vénitien ondulant jusqu'à la taille. Je n'entends que des bribes de leur conversation - « Pirates », « capteurs », « beau temps » - lorsque le cinquantenaire se penche vers la femme pour lui montrer des photos sur son téléphone ; un peu plus tard l'un d'eux parle des « 39 heures », c'est tout ce que j'enregistre. Ils rient souvent. Je suppose qu'ils travaillent ensemble et qu'ils se racontent leurs vacances et parlent de leur travail.

    A un moment, je vois la femme qui prend la bouteille d'eau et sert tout le monde. Elle a une jolie main, avec des ongles rouges. Ensuite, ils trinquent. Aurait-elle servi le vin, s'il y en avait eu ?

    A la bijouterie

    C'est bientôt Noël et les gens se pressent dans les magasins. Dans la bijouterie où ma femme cherche un bracelet pour sa fille, je reste à l'écart et je regarde ce que font les chalands. Une grosse femme est collée à la vitrine des bagues, elle a son téléphone en mains et photographie certains bijoux. Puis elle doit les transmettre à quelqu'un, car elle se met à parler, puis se remet à photographier. Un télé-achat par délégation avec contrôle en temps réel ?

    A côté, une vieille dame semble incertaine sur ce qu'elle veut ou doit faire. Une vendeuse s'approche, la dame lui demande « quelque chose pour sa petite fille qui a cinq ans ». Mais rien ne semble lui plaire, ou alors c'est trop cher, et au bout d'un moment elle s'en va en s'excusant.

    Entre un très jeune couple, moins de vingt ans, la fille en jean moulant, baskets et pull léger sous une veste de cuir, cheveux tombant sur ses épaules. Elle tient à la main un sac « Sephora ». Le garçon, mince, pantalon noir, pull à col roulé, cheveux courts, lui parle à l'oreille et semble vouloir la convaincre, peut-être de se laisser offrir un bijou, peut-être de choisir ensemble un cadeau pour quelqu'un d'autre. Je me dis que tout n'est pas perdu, chez les jeunes il y a encore des filles qui aiment se parfumer sans avoir peur de ressembler à une bourgeoise et qui achètent autre chose que des bijoux « artisanaux ».

    Sur le trottoir

    Une vieille dame bossue, pliée en deux, promène à tout petits pas son chien sur le trottoir.

    Le chien avance doucement, la tête basse, l’air abattu, et s’arrête de temps en temps pour l’attendre. Ils se ressemblent de manière frappante.

     


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  •  Expliquer ce qu’est la couleur à quelqu’un qui n’aurait jamais vu le monde qu’en noir et blanc

     

    Je vois le monde en couleurs, pas toi. Comment te faire comprendre ce que c’est ? Ce n’est pas évident.

    Le noir, tu sais ce que c’est : c’est la nuit, sans lune, sans étoiles, c’est l’absence de lumière, c’est l’absence de couleurs.

    Le blanc, c’est la neige, c’est le drap de coton ou de lin du lit dans lequel tu te couches chaque soir, ou la page sur laquelle tu écris, ou encore l’écran de cinéma avant qu’on allume le projecteur. Dans le blanc, toutes les couleurs sont mélangées, et pourtant c’est le symbole de la pureté.

    Le jaune, c’est ce canari, c’est Titi poursuivi par Grosminet, c’est la couleur de la nouvelle voiture de ton patron ou celle du maillot du vainqueur du Tour de France.

    Le bleu, c’est bien sûr le ciel par une belle journée d’été, ou, plus profond, celui de la mer qu’il surplombe.

    Le vert, c’est l’herbe des prés normands, ou la couleur des petits pois anglais.

    Je te dis cela, mais pour toi, ce ne sont d’abord que des nuances de gris. Peut-être peux-tu faire la différence entre tous ces gris, du gris jaune de Titi au gris vert des petits pois ? Et peut-être aussi tous ces gris font-ils naître en toi une émotion particulière, tout comme les films en noir et blanc du passé sont encore pour nous chargés d’une atmosphère que la couleur a fait disparaître.

    Sinon, les couleurs, c’est comme le goût ou l’odorat : le noir et le blanc, c’est comme un plat de champignons qui ne sentirait rien, alors que le rouge, ce serait le goût des fraises dans ta bouche ou le parfum de la rose offerte à ta bien-aimée…

    Vois-tu ce que je veux dire ?

    _____________________________________________________________________________

    Le bleu, pour toi et pour moi

    Pour toi, le bleu c’est la couleur du ciel l’été quand on se lève : « Regarde comme le ciel est bleu ce matin ! » c’est ce que tu me dis rituellement pour signifier simplement qu’il fait beau, que la température de l’air est douce, et que tu es contente. C’est aussi la teinte nécessaire du canapé, qui se marie si bien à celle du tapis hérité de tes parents, et qui induit parfois le choix de la robe que tu vas porter pour recevoir tes amis.

    Pour moi, le bleu, c’est d’abord et surtout, sous toutes ses nuances, la couleur de la mer. Bleu marine éclatant sous le soleil à son zénith, qui vire au noir au crépuscule ; bleu transparent et pur des lagons des mers du sud ; bleu outremer changeant et un peu angoissant qui verdit et s’assombrit de façon menaçante quand le plongeur s’enfonce dans les profondeurs. Mais c’est surtout le bleu liséré de blanc par l’écume lorsque l’étrave perce la houle et que le grand bruit de l’océan nous entoure. Le bleu, c’est la mer, c’est le ciel, c’est l’immensité, et c’est le monde sans les hommes, à part moi qui regarde…

     


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  • Ecrire une nouvelle commençant par une phrase imposée.

     

    « Je t'attends depuis deux heures, je décide de partir à l'aventure, seul, sans toi ni personne. »

    Elle accumulait les retards ces derniers temps, sans raison et sans explications. Nous ne nous parlions plus beaucoup, ses pensées étaient au loin. Je ne savais pas pourquoi, ni si j'y étais pour quelque chose. Mais là, c'était pire, elle n'était pas là et sa valise n'était pas faite, alors que nous devions partir dans une heure pour une semaine de vacances au Maroc. Je l'avais proposé, elle avait dit oui, bien que du bout des lèvres. Alors j'ai vu rouge.

    C'est le dernier texto que je lui ai adressé, je n'avais pas l'intention de lui en envoyer d'autres, ni d'en recevoir de quiconque. C'est pourquoi, après, j'ai éteint mon téléphone et je l'ai mis dans un tiroir de mon bureau. J'ai pris mon plus grand sac à dos, j'y ai enfourné quelques rechanges, mes affaires de toilette, mon cahier et quelques stylos-billes, la carte de la Lozère où nous étions allés l'année précédente. J'ai chaussé mes increvables chaussures de marche en cuir. Et j'ai envoyé balader le Maroc.

    J'ai regardé autour de moi, cet appartement où j'avais habité près de deux ans avec elle. Je me suis assis sur le canapé recouvert de velours, où nous nous étions si souvent caressés, l'air de rien, tout en regardant la télé. La table basse, avec ses revues en désordre. Le tapis marocain, acheté sur un coup de cœur à un vendeur de passage. Les gravures marines, fruit de l'héritage de ma mère. Et le chat blanc, qui ronronnait sur mes genoux sans rien me demander d'autre, le seul être que je regretterai sans doute si jamais je ne revenais pas.

    Car si j'étais sûr de partir (cela allait se produire dans quelques minutes), je n'avais aucune idée de ce que j'allais faire après. Je partais, c'est tout. J'ai refermé doucement la porte derrière moi. La dernière chose que j'ai vue entre le panneau qui se refermait et le chambranle, c'est le rideau de mousseline blanche qui ondulait lentement sous le courant d'air venant de la fenêtre entrouverte, comme un suaire sur le corps éthéré d'un fantôme indistinct. Comme l'image prémonitoire de la fin d'une histoire, qui m'a hantée longtemps après avoir descendu l'escalier.

    Au distributeur du coin de la rue, j'ai retiré autant d'argent que je pouvais, que j'ai réparti entre mon portefeuille, le sac à dos et la poche basse de mon blouson de trail. Puis je suis allé à la gare et j'ai pris un billet pour Mende. Nous avions passé un merveilleux été dans un chalet d'altitude, rien que nous deux, à faire de grandes randonnées dans les Causses, à visiter les grottes et les châteaux, à ripailler dans des fermes avant de nous aimer dans la nature, à lire sur un sommet en regardant le paysage, à nous prendre en photos...C'est en rentrant à Paris que cela a changé, comme si ces jours sublimes avaient formé un tout compact se suffisant à lui-même, avant d'être rangés dans un coin de mémoire. Comme si une période claire devait forcément être compensée par une période sombre, afin de former une moyenne qui ne voulait rien dire, à l'image des températures de saison de la météo nationale.

    Dans le train, j'ai sommeillé. Je ne pensais à rien. J'avais l'esprit engourdi, et je ne voulais surtout pas réfléchir à ce que j'étais en train de faire. Ce n'était pas un acte raisonnable, je le savais, mais j'en avais assez d'être raisonnable. Le paysage défilait, je le voyais à peine. Des vaches, de l'herbe, parfois un peu de forêt, et quelques maisons éparpillées. Mende était vraiment une ville perdue au fond de la France, car à partir d'Alès le trajet se poursuivait en autobus. Curieusement, il y avait du monde dans le car, et je me suis retrouvé assis à côté d'une grosse femme qui portait un fichu sur la tête comme ma grand-mère, un panier sur les genoux. Elle a tenté de lancer la conversation, mais malgré son accent chantant qui me plaisait bien, je n'avais pas envie de parler. Elle l'a vite compris, et au bout d'un moment elle a abandonné, avec un : « Ben vous alors, vous n'êtes pas bavard, vous êtes sûrement un parisien... ». Les clichés ont la vie dure.

    En descendant du car, il faisait nuit et je suis tombé en ratant la marche. Je me suis écorché le genou et je boitais en me relevant. Ma voisine du trajet, pleine de sollicitude, s'est enquis de ma blessure. Son mari l'attendait au volant d'une camionnette hors d'âge, et elle m'a demandé si elle pouvait me déposer quelque part. La politesse voulait que je lui réponde, mais que lui dire ? J'avais l'intention de passer la nuit à l'hôtel et de repousser au lendemain toute réflexion sur ma situation. En quelques secondes, j'ai pris une décision cruciale : désormais, ne rien cacher, ou me taire.

    • Je vais passer la nuit dans un hôtel, et demain je verrai. Je n'ai pas de projets. J'ai besoin d'être seul.

    Elle me regarda d'un drôle d'air. A la campagne, on ne se pose pas ce genre de question, il n'y a bien que les parisiens pour ne savoir quoi faire de leurs journées. Je devais avoir l'air déboussolé, car elle m'a pris par le bras en me disant :

    • Les hôtels ici ne sont pas terribles. Chez nous il y a la chambre du fils qui n'est plus là, et puis il faut soigner votre genou. D'ici demain vous aurez le temps de réfléchir tout seul à ce que vous voulez faire.

    Le mari n'a rien dit, il m'a juste jeté un coup d'oeil où je n'ai pas décelé de méfiance ni d'opposition. J'ai hésité un instant, et puis j'ai accepté. Après tout, j'étais parti à l'aventure, et ce qui caractérise une véritable aventure, c'est le hasard, avec les rencontres qu'il permet de faire à condition de ne pas se murer dans la solitude hautaine de celui qui n'a besoin de personne. J'étais certes parti sur un coup de tête, justifié ou pas, mais pas pour m'apitoyer sur moi-même, ni pour me punir de ce qu'Isabelle m'avait fait endurer, ni pour la regretter en me coupant des autres.

    Je suis monté péniblement à l'arrière de la camionnette, mon genou me faisait mal. A côté de moi mon sac et le panier de la dame. Le trajet dura une bonne demi-heure, cela montait tout le temps et la voiture peinait en se traînant dans les côtes. Je leur ai demandé leurs noms, Julien et Annabelle, et j'ai donné le mien, c'était quand même le minimum, mais autrement nous n'avons pas dit grand chose. Ils ne m'ont rien demandé, ils m'ont simplement expliqué qu'ils avaient une ferme sur le plateau du causse de Sauveterre. Avec du regret dans la voix, ils ont précisé qu'ils en avaient arrêté l'exploitation, leur fils ne voulant pas prendre leur suite. Ils avaient vendu leur terre et les hangars agricoles à des voisins. Je n'étais pas en état de bavarder, et je ne les ai pas questionnés. On verrait bien demain.

    Dans l'obscurité de ce début d'automne, je n'ai pas vu grand chose de leur maison. Nous sommes entrés directement dans une grande cuisine, un vrai décor des années quarante ou cinquante : une lampe à abat-jour métallique vert descendant du plafond, éclairant chichement une table rectangulaire recouverte d'une toile cirée usée à carreaux rouge et blanc ; un évier de granite avec assiettes et couverts séchant dessus ; une cuisinière à bois imposante, toute en fonte, avec son tuyau noir traversant le plafond ; un grand buffet en chêne sur le mur du fond, avec un napperon de dentelle et des boîtes sur la partie débordante ; une huche à pain ; le frigo blanc contre le mur beige ; un petit meuble supportant une vieille télévision à écran cathodique, avec deux fauteuils en osier devant ; le plancher fait de dalles rouges carrées mal ajustées.

    On m'a fait asseoir sur une chaise rustique. Pendant que Julien taillait des tranches de bonne taille dans le jambon pendu au plafond et sortait une miche de la huche, Annabelle farfouillait dans le buffet pour en extraire un flacon d'eau oxygénée et un paquet de coton. J'ai relevé le bas de mon pantalon, elle a désinfecté la plaie et m'a collé dessus un pansement, puis nous avons cassé la croûte avec un coup de rouge. Avec ces braves gens, je me sentais soudain moins morose, ou plus exactement je me sentais reprendre pied dans la réalité, me rendant compte peu à peu de ce que je venais de faire en cédant à mes impulsions. Cela me semblait maintenant assez stupide, mais pourtant je sentais monter en moi une sorte de joie, de satisfaction imprécise qui me comblait. J'étais sorti des rails du quotidien, j'avais fait une chose dont personne ne m'aurait cru capable, même pas moi. Peut-être devenais-je enfin quelqu'un « d'intéressant », me disais-je, souriant intérieurement, quelqu'un de libre. Cela m'a rappelé un livre dans lequel le héros, pour démontrer sa liberté, jouait aux dés ce qu'il allait faire dans la journée : si je tire un six, je reste au lit ; si je tire un 3, je vais séduire la voisine du dessous ; si je tire un deux, je vais...etc. Il allait très loin comme ça, mais je ne suis pas sûr que le pilotage de ses actes par le hasard démontrait un quelconque libre arbitre, au contraire. Quant à moi, mon départ était juste un acte gratuit, un changement inattendu, se fondant sur le rejet brutal et irraisonné de mon comportement habituel. Et c'est cela qui lui conférait du sens et de la valeur, même si cet acte fort devait sans doute rester limité dans le temps.

    Nous avons donc bavardé un petit moment, mais je ne leur ai rien dit sur la démarche qui m'avait conduit dans leur cuisine, malgré leur envie évidente d'en savoir plus. D'ailleurs, je ne le savais pas vraiment moi même, il fallait que j'y réfléchisse d'abord seul. Annabelle m'a montré la chambre du fils, assez spartiate malgré les quelques posters de chanteurs passés de mode épinglés au mur. Le lit était bon, haut sur pieds, avec un édredon chaud et léger. Malgré mes préoccupations, je me suis endormi tout de suite.

    Je me suis réveillé tôt le lendemain, il faisait encore nuit et rien ne bougeait dans la maison. J'ai songé un instant à me lever et partir sans rien dire, mais j'ai vite rejeté cette idée. Je ne pouvais pas les quitter comme ça sans les remercier ; avec Isabelle il y avait une raison pour disparaître, avec eux ce n'était pas le cas. Je suis donc resté au lit, à laisser mes pensées divaguer. Je n'étais certes plus dans l'état de rage qui m'avait fait agir la veille, mais une chose était certaine, je ne rentrerais pas comme si de rien n'était, j'allais profiter de ces quelques jours imprévus. Je ne pouvais cependant m'empêcher d'évoquer Isabelle, son corps chaud près du mien, sa manière de se blottir contre moi dans son sommeil. Je n'étais pas insensible à ces évocations très charnelles, même maintenant, seul dans le grand lit vide. Puis, je me rappelai comment elle avait changé, comment elle se comportait maintenant, son regard transparent, sa manière de s'éloigner, de me parler par monosyllabes, d'agir comme si je n'étais pas là. Cela m'a refroidi, je l'ai chassée de mes pensées, je me suis levé, habillé et j'ai gagné la cuisine où mes hôtes s'activaient déjà.

    Ils m'ont accueilli avec le sourire, et devant un grand bol de café je leur ai expliqué que j'allais faire une randonnée de quelques jours dans la région, histoire de mettre au clair mes relations devenues difficiles avec une femme que j'aimais. Annabelle m'a refait le pansement, et Julien a mis dans mon sac un gros morceau de son jambon, du pain, deux pommes et une bouteille d'eau. Ils m'ont recommandé des fermes auberges aux alentours, que j'ai pointées sur ma carte. Je leur ai dit que je repasserais si j'en avais l'occasion, puis je les ai quittés.

    Je n'avais presque plus mal au genou, je suis parti d'un bon pas. La ferme était isolée au milieu d'une étendue semi-désertique où une herbe rase et jaunâtre poussait difficilement entre de gros rochers et quelques arbustes rabougris régulièrement dispersés. Des tas de cailloux balisaient de proche en proche le sentier que je suivais ; parfois, des murets de pierres sèches le bordaient, sans aucune utilité apparente. Ce paysage présentait une sorte de beauté rude et sauvage, parfois lunaire dans sa nudité, parfois simplement campagnarde lorsque je croisais un troupeau de brebis broutant l'herbe rare sous le regard d'un berger me saluant au passage.

    Je me dirigeais vers le sud, loin de la région où nous étions allés, Isabelle et moi, l'année précédente. Je marchais sans penser à rien, goûtant le paysage, les sons et la lumière d'un mois d'octobre ensoleillé. Parfois, sans crier gare, un souvenir me traversait l'esprit : la fois où nous nous étions réfugiés sous un rocher en surplomb, surpris par une averse soudaine, puis nous avions retiré nos vêtements pour danser et courir nus sous la pluie chaude en riant comme des enfants, avant de nous sécher tout en nous embrassant ; le sentier qui montait très fort, j'étais derrière elle et je poussais sur ses fesses soi-disant pour l'aider à grimper ; la chaleur sur la plaine dénudée, nos corps couverts de sueur, le ruisseau dans lequel nous nous étions rafraîchis en traversant une petite forêt. Mais au-delà de ces souvenirs plaisants, parfois un lambeau de pensée me ramenait au présent : pourquoi n'éprouvais-je pas plus de douleur en pensant à son attitude récente ? Et pourquoi, peu à peu, montait en moi ce qui ressemblait à un sentiment de soulagement ? Comme si je découvrais soudain qu'au-delà de cette entente charnelle et du partage de moments heureux, il n'y avait rien de plus qui nous unissait. Comme si affleurait à la lisière de ma conscience ce que je savais déjà sans vouloir me l'avouer, que c'était moi qui m'étais éloigné d'elle, en me le cachant, en rejetant sur elle la faute qui m'incombait, tout en restant aux prises avec un sentiment de culpabilité qui me semblait maintenant consécutif à un sens du devoir mal placé...Que peut-il y avoir de plus destructeur qu'aimer par devoir, et ne pas s'en rendre compte ? Elle devait l'avoir compris, elle, si fine dans ses jugements, mais alors pourquoi être restée aussi discrète, n'avoir rien dit ? Peut-être avait-elle essayé, et n'avais-je rien entendu ?

    J'avais maintenant quitté le sentier et je marchais dans la prairie. A midi, je me suis arrêté à l'orée d'un petit bois, j'ai escaladé un rocher haut de quelques mètres sur lequel je me suis assis, et j'ai mangé le jambon et le pain de Julien tout en admirant le paysage. A une certaine distance vers le sud, on devinait la coupure brutale du plateau par une vallée profonde, certainement celle du Tarn. C'était beau, mais maintenant j'avais envie de rentrer, de revoir Isabelle, et de m'expliquer avec elle, avant qu'on ne se quitte, selon toute vraisemblance. Sortir des non-dits. Être sûr de ne pas me tromper, une fois de plus.

    Ces réflexions m'avaient mis dans un état de grande fébrilité. Je n'avais plus envie de marcher indéfiniment sans savoir où j'allais. Il fallait que j'arrive avant la nuit dans un village d'où je pourrais commander un taxi qui m'amènerait à Millau. Il y avait sûrement là-bas plus de trains qu'à Mende. Partir sur un coup de tête pour me retrouver seul et prendre du recul avait finalement été très bénéfique. Et je n'avais même pas eu besoin de réfléchir plus de deux jours pour que beaucoup de choses s'éclairent.

    Je voulus descendre du rocher sur lequel j'étais perché, mais je me pris le pied dans une bretelle du sac à dos posé devant moi et perdis l'équilibre. La chute dura peut-être une seconde et se termina par un choc très violent entre mon crâne et une grosse pierre pointue. Avant de perdre conscience, j'eus le temps de voir, à quelques centimètres de mes yeux, posé sur un brin d'herbe, un petit scarabée qui avançait doucement en remuant ses antennes. « Bénéfique... » fut le premier et dernier mot d'une pensée qui ne s'acheva pas.

    Extrait du « Midi Libre »

    Le corps sans vie d'un homme de 35 ans, identifié comme étant celui de Jean Molver, demeurant à Paris, a été retrouvé hier par un berger sur le causse de Sauveterre. Selon les premiers éléments de l'enquête, il aurait fait une chute de plusieurs mètres et serait mort sur le coup.

     


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