• Adultère ?

    Ce samedi là, Erwan se leva comme tous les jours à 7 heures. C'était une habitude, prise dès le début de son mariage avec Rozenn trois ans auparavant ; il ne voulait pas perdre son temps à traîner au lit alors que les jours passent si vite et qu'on a tellement de choses à faire avant de s'apercevoir que nos cheveux commencent à grisonner et nos articulations à se coincer. Elle, par contre, aimait rester un bon moment sous les draps à rêvasser, pour le rejoindre plus tard dans le séjour où l'attendait son petit déjeuner.

    Elle était rentrée tard la veille au soir, à l'issue d'un dîner avec des collègues de bureau, alors qu'il dormait déjà. En passant dans le hall pour brancher la cafetière dans la cuisine, Erwan accrocha le sac à main de sa femme déposé sans précaution à côté du téléphone. Il tomba, déversant sur le sol un fatras d'objets divers qu'il se mit à ramasser avec un léger sourire, se rappelant ce qu'il disait souvent avec ironie sur le contenu des sacs de femme. Il avait à peine commencé que son visage se figea à la vue d'un objet en latex qui n'aurait pas dû se trouver là, dont la présence le paralysa quelques secondes.

    L'esprit en ébullition, il se mit alors à inventorier méthodiquement le contenu du sac. Il hésita un moment avant d'ouvrir le portefeuille de sa femme : c'était là une ligne rouge qu'il hésitait à franchir, car même dans une relation de confiance totale il est des lieux et des moments d'intimité qui doivent rester inaccessibles à qui que ce soit. Mais il ne pouvait rester dans l'incertitude. Aussi est-ce avec une frénésie déraisonnable qu'il examina l'un après l'autre les papiers qui gonflaient le cuir, jusqu'à ce qu'il tombât sur une facturette d'hôtel daté de la veille au soir. Non, ce n'était pas la note du restaurant, l'indication sur le ticket ne laissait pas de place au doute : « Hôtel Mercure – Room service - chambre 202 ». Il imagina un instant que le « dîner entre collègues » pouvait avoir eu lieu dans une chambre pour être plus libres de rire et de parler fort, mais il élimina de suite cette hypothèse farfelue, à moins d'enlever le pluriel de « collègues », ce qui, par restriction mentale, faisait que, d'une certaine façon, elle lui avait dit la vérité.

    Après l'abattement et la surprise vint la fureur, une colère froide, presque raisonnée, distanciée. Il se releva, laissant éparpillé le contenu du sac, et entra dans la chambre le ticket et l'objet à la main. Rozenn était en train de s'éveiller. Elle s'étirait en soupirant d'aise, et lorsqu'il apparut elle lui jeta un regard alangui, les yeux mi-clos, d'une manière qu'il aurait considéré comme une invite dans d'autres circonstances.

    Il s'assit sur le lit, à bonne distance, et repoussa la main qu'elle tendait vers lui. Ce n'était pas habituel, et avec le visage fermé qu'il arborait, elle se douta que quelque chose n'allait pas. Il prit la parole, d'un ton qu'il voulait neutre.

    • Peux-tu m'expliquer la présence de cela dans ton sac ? dit-il en exhibant ce qu'il avait trouvé.

    Prise par surprise, elle pâlit, mais trouva aussitôt la parade. Il est bien connu que la meilleure défense, c'est l'attaque.

    • Tu te permets maintenant de fouiller dans mon sac ? C'est incroyable ! Intolérable ! Que dirais-tu si je faisais la même chose ? Rends moi ça et fiche moi la paix !

    Bien qu'il fût conscient qu'il ne fallait pas tomber dans son jeu, il ne put s'empêcher de commencer par se justifier.

    • Ton sac est tombé, c'est tout, je l'ai ramassé, je n'ai pas fouillé. Ne détourne pas la conversation. Pourquoi as-tu besoin d'un préservatif dans ton sac ? Et cet en-cas pris dans une chambre du Mercure, alors que tu étais censée dîner avec des collègues ? Explique moi s'il te plaît, je ne demande qu'à te croire, mais ça va être dur, je te préviens.

    Voyant que son stratagème ne fonctionnait pas, elle changea de tactique, s'assit dans le lit, le visage grave, et des larmes perlèrent dans ses yeux :

    • Le préservatif, tu ne vas pas me croire, mais c'est la vérité. Tu ne veux pas d'enfant et je ne prends pas la pilule. C'était au cas où on aurait eu une envie soudaine, dehors. C'était pour toi, on n'aurait pas eu besoin d'attendre d'être de retour à la maison...
    • Bien sûr... ! Elle est bonne celle-là ! Tu as raison, c'est dur à avaler, si je puis dire. Tu n'as pas une meilleure excuse ? Je sais que je te prends au dépourvu, et ça se voit. Trouve une meilleure explication s'il te plaît.

    Puis, changeant de ton, il poursuivit, ironique et rageur à la fois :

    • Mais admettons que tu sois sincère. Explique moi alors cette facture. C'était pour moi aussi ? Tu m'aurais téléphoné de la chambre 202 pour me dire de te rejoindre ? Je dormais et je n'ai pas décroché ? C'est ma faute, quoi ? Alors, avec qui étais-tu ? N'essaye pas de mentir encore une fois, ce n'est plus la peine.

    Rozenn pleurait maintenant. Elle essaya encore de lui prendre la main et de se rapprocher de lui, mais il se leva, la dominant du haut de son mètre 80. Elle baissa la tête et expliqua, sur un rythme haché :

    • C'est vrai, j'ai fait quelque chose de pas bien. Mais ce n'est pas ce que tu crois, c'est toi que j'aime, toi avec qui je veux vivre, et aussi...

    Il l'interrompit.

    • Pas la peine d'aller plus loin, tu m'en as assez dit, je n'ai pas besoin d'en savoir plus. Pas de détails sordides s'il te plaît. Je n'ai même pas envie de savoir qui c'est. Après, je verrai.
    • Mais justement, c'est ça qui est important. Son nom est Camille.

    Après un silence, baissant les yeux, elle ajouta d'une petite voix :

    • C'est une femme.

    Erwan qui s'apprêtait à sortir fit demi-tour et se rassit lentement sur le lit, abasourdi.

    • Une femme ? Mais enfin...Je ne comprends pas !... Quand même, tu n'es pas lesbienne !... Je m'en serais aperçu !... Qu'est-ce qui s'est passé ? Et ça dure depuis longtemps ?

    Elle sourit timidement à travers ses larmes qui se tarissaient :

    • Non, je ne suis pas lesbienne ! Et c'est la première fois. J'étais juste curieuse, et celle-là me tournait autour depuis un moment, alors je me suis dit... Et je savais bien qu'il n'était pas question de t'en parler, j'imaginais ta réaction...

    Elle ajouta, devant son air dépassé :

    • Sans entrer dans des détails sordides comme tu dis, sache que cela a été plutôt un fiasco. On ne peut pas dire que je t'ai trompé, tu sais... Définitivement, je n'aime pas les femmes, tu peux en être sûr. C'est pourquoi, ce matin, j'aurais bien aimé...pour me faire pardonner....

    Toujours incrédule, il lui jeta un regard mauvais puis il se leva, lui tourna le dos et se dirigea vers la cuisine où elle l'entendit remuer des ustensiles.

    Plus tard, elle le rejoignit. Il était debout devant la cafetière, pensif, regardant au loin. Elle lui passa avec précaution les bras autour de la poitrine, appuyant sa joue contre son dos, le serrant fort contre elle.

    Il ne la repoussa pas.

     


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