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    Ce café est bondé, j'ai juste trouvé ce coin de banquette pour m'asseoir, et je suis un peu trop près de ce type à côté, j'espère qu'il ne va pas faire des travaux d'approche, moi j'attends Ernest, j'espère qu'il ne va pas traîner, faudra qu'on aille ailleurs, ici il ne pourra pas poser ses fesses et puis d'abord qu'est ce qu'on ferait d'intéressant dans ce bouge, je ne sais pas pourquoi il m'a donné rendez-vous ici, c'est pas beau, tiens ce que je craignais arrive, il y a le bras de l'autre à côté qui touche mon dos, comme par hasard, sans avoir l'air, mais si je me pousse, je vais me retrouver par terre, il fait celui qui ne s'aperçoit de rien, c'est comme dans le métro aux heures de pointe, il y a toujours une bonne excuse pour frotter, ça me rappelle l'autre jour sur une affiche quelqu'un avait écrit « les frotteurs sont des salauds » c'est bien vrai ça j'approuve, il y a d'autres types qui me regardent, je ne sais pas quoi faire de mes mains, je vais allumer une autre clope, mais c'est pénible,si je les regarde, ils vont s'y croire, et si je passe mon temps à regarder par terre c'est pas franchement réjouissant, c'est même moche, il y a de la sciure partout, j'en ai plein les pieds, on croirait qu'ils ont fait le ménage avant que la soirée soit finie, je me demande à quoi ça sert la sciure, et puis je fume trop, j'ai maintenant la bouche sèche et un sale goût dans les poumons ma langue doit être blanche ou café au lait, tiens si le garçon passe dans le coin, je vais lui commander un autre petit blanc, mais je risque d'attendre longtemps, si je l'appelle, tout le monde va me regarder, ça va me donner un coup de chaud et même que certains vont vouloir me payer le coup, non, je ne fais rien, tant pis, mais qu'est ce qu'il fait donc Ernest il commence à m'agacer, les hommes ne doivent jamais être en retard, il devrait le savoir ce malotru, j'ai jeté un coup d'oeil à mon voisin, finalement il n'est pas si mal, il est tout seul on dirait, peut-être qu'il attend quelqu'un lui aussi, non, je ne crois pas, il n'y a plus une seule place dans ce bistrot, quoique moi aussi j'attends Ernest et il ne pourra pas s'asseoir c'est pas un critère, alors je fais quoi si Ernest ne vient pas, je ne vais quand même pas rentrer chez moi un samedi soir, s'il n'est pas là dans cinq minutes je pars, et si je prends mon temps peut-être que le gars à côté de moi il va me dire quelque chose, c'est toujours difficile de se lancer quand on est timide, il doit l'être sinon il aurait déjà essayé de me parler, après tout je ne suis pas une sainte nitouche causer ça n'engage à rien, il faut bien commencer pour faire connaissance, c'est pas pour autant que je suis une traînée si je lui réponds, Ernest il m'a posé un lapin, zut alors, c'est bien beau de jouer les jaloux et les matamores, mais pour ça faut être là, je ne suis pas sa propriété quand même, ah, voilà le gars d'à côté qui me jette un coup d'oeil, faut dire que je me suis un peu tournée, et que cette fois c'est ma fesse droite qui a touché sa cuisse, je ne l'ai pas fait exprès, c'est presque comme dans le métro avec tout le monde qui arrive, on se serre autour des tables, je suis sûr qu'il va me dire quelque chose....

    non, trop tard, tant pis pour lui, voilà Ernest qui se pointe, avec son sourire jusqu'aux oreilles, il a de la chance que je ne sois pas encore partie avec ou sans le gars d'à côté, mais il va prendre quand même une rafale, c'est un goujat, il ne se rend pas compte, il a même pas senti passer le vent du boulet...

     


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  • Julien avait vécu au Congo jusqu'à vingt ans, dans ce pays où la forêt équatoriale s'avance jusque dans la mer. Aujourd'hui, après une vie bien remplie, il est de retour pour retrouver ses racines, premier voyage d'une retraite qu'il voudrait fertile en découvertes du monde.

    Il est descendu dans un hôtel isolé en bordure de mer, non loin des faubourgs de la ville où il habitait autrefois. Maintenant, après avoir déposé ses bagages, il marche le long du rivage, et ses souvenirs refluent, remontant d'un passé lointain.

    Le ciel est couvert, contribuant à donner une teinte mélancolique à ses pensées. La mer est forte, les vagues viennent s'écraser sur les galets, les embruns salés arrivent parfois jusqu'à lui au gré des sautes de vent. Les cris des oiseaux de mer se mêlent à la grande rumeur de l'océan, et parfois l'un d'eux le frôle, comme la mouette qui, après l'avoir dépassé, est allée se poser près des arbres.

    Il s'arrête quelques instants pour la regarder et s'apprête à repartir lorsque soudain, dans la forêt profonde qui jouxte la plage, il entend un bruit aigu, sans doute le cri d'une bête inconnue, comme un sanglot de douleur, dont la tonalité fait exploser dans son esprit un souvenir qu'il a toujours essayé de bannir.

    Il n'est pas fier de ce qu'il avait fait ce jour-là.

    Ses parents, colons aisés, employaient plusieurs domestiques, et parmi eux se trouvait Fatoumata, une très jolie jeune fille noire, élancée, mince, souriante, dotée d'un visage ovale aux traits fins, d'une peau magnifique et d'yeux de braise qui enflammaient ses reins chaque fois qu'il croisait son regard. Peu farouche, elle n'avait pas tardé à l'initier aux plaisirs de la chair, sans que personne n'y trouve à redire. Cela avait duré quelques mois, il ne pouvait plus se passer d'elle, et elle commençait à s'attacher à lui. Puis il avait rencontré Sylvia, la belle romaine, fille d'un ami italien de son père, que celui-ci avait invitée pendant les vacances d'été, et tout avait changé. Il était immédiatement tombé amoureux d'elle, ce qui l'amena d'abord à se cacher pour rencontrer Fatoumata, puis à ne plus aller la voir du tout. Elle le lui reprocha, d'abord doucement, puis avec colère. Un jour, elle l'apostropha devant Sylvia, qui sourit d'un air pincé, et se mit à lui battre froid jusqu'à son départ, ce qu'il ne put supporter. Il alla voir Fatoumata peu après, bouillonnant d'une rage qu'il ne contenait plus. D'un seul coup, la bête humaine tapie en lui avait remplacé le naïf agneau qu'il croyait être. Le bruit et la fureur qui avaient envahis son esprit l'empêchaient de raisonner. Il se mit à hurler, la traitant de femelle en rut, de putain dépravée, il lui dit que c'était fini, qu'il ne voulait plus lui parler, ni la voir, ni rien avoir à faire avec elle. Quand il s'arrêta de crier, de sang froid il la gifla violemment plusieurs fois. C'est là qu'elle émit ce petit cri, si semblable à celui qu'il venait d'entendre dans la forêt.

    Après cette scène atroce, il avait repris ses esprits et la honte l'avait submergé. La métamorphose qu'il venait de vivre le remplissait de dégoût envers lui-même, et pourtant il n'essaya pas de se faire pardonner. Fatoumata quitta d'elle-même la maison dès le lendemain, et Julien demanda peu après à ses parents d'aller terminer ses études en France. Il ne revint jamais au Congo, essayant d'oublier cet épisode peu glorieux, mais parfois celui-ci se rappelait à sa mémoire, et alors, comme aujourd'hui, la honte l'envahissait pendant des jours, comme la peste qui, autrefois, après s'être cachée pendant des années, surgissait à nouveau pour tout emporter.

     


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  • Je déambulais nonchalamment sur l'avenue de l'Opéra, regardant distraitement les vitrines, et surtout les jolies bourgeoises qui me croisaient ou me précédaient, lorsque quelqu'un me dépassa en courant, me bousculant au passage. Je m'apprêtais à faire une remarque désobligeante, néanmoins courtoise, mais je ne vis qu'une silhouette indistincte qui s'éloignait rapidement, se perdant dans la foule. Au passage, un sac de femme plutôt lourd m'était tombé sur les pieds, et je trébuchai dessus.

    Je le ramassai, et fis quelques pas pour rattraper sa propriétaire, mais c'était peine perdue. Je me retournai afin de voir si la victime d'un larcin présumé se manifestait pour récupérer son bien, mais non, rien, personne ne courait en hurlant « au voleur ! », personne n'avait un visage inquiet, personne ne semblait avoir remarqué l'incident. Je me trouvais soudain un peu bête, debout au milieu du trottoir le sac à la main, au milieu de badauds qui me contournaient, agacés devant cet obstacle imprévu.

    Après quelques instants d'hésitation, j'allai m'asseoir à la terrasse du Café de la Paix afin de réfléchir et me rafraîchir devant un pastis bien tassé. Je n'avais pas l'intention d'aller au commissariat ; d'ailleurs je ne savais même pas où il se trouvait, et ils m'auraient fait perdre mon temps, les flics. Alors j'ai ouvert le sac.

    Je suis tout de suite tombé sur un portefeuille de bonne taille. Mais pour le reste, quelle surprise ! Ah vos sacs, Mesdames ! Quel bazar ! Que d'objets bizarres et incongrus ! Rouge à lèvres, Chanel n°5, clés, lunettes de soleil Rayban, mouchoirs en papier : là ça allait. Mais à côté de ça, trois crayons, un stylo, une gomme, deux trombones, un préservatif grand modèle, un trognon de pomme, un cigare, un cendrier Martini en céramique, une petite bombe lacrymogène, le dernier numéro de « Fluide glacial », un collant chiffonné...Il ne manquait plus que le raton-laveur !

    J'ai refermé et posé le sac sur la table, à côté de mon pastis, le portefeuille sous la main. Quelle femme pouvait bien transporter dans son sac un bric à brac pareil ? Je laissai mon imagination vagabonder quelques minutes, reculant le moment d'ouvrir le portefeuille. C'était sûrement une jolie femme, blonde (je préfère les blondes), en tailleur très classique, avec de beaux yeux et un magnifique sourire, une coiffure élaborée, de longues jambes sur des talons hauts...Rien à voir en fait avec le contenu du sac, rien d'imaginatif, c'est juste que je fantasmais sur les jolies femmes croisées sur le boulevard quelques minutes auparavant.

    Poussant un soupir, je m'apprêtais à ouvrir enfin le portefeuille, lorsqu'une furie surgie de nulle part vint se planter devant moi et se mit à m'apostropher dans un langage peu châtié et pourtant roucoulant, tout en me donnant des tapettes sur le bras avec un journal roulé :

    - Voleur ! Salopard ! Mon sac ! C'est mon sac ! Touchez pas à mon portefeuille, mon mignon! Vous n'avez pas honte ? Dépouiller une pauvre fille comme moi !

    Complètement pris au dépourvu, j'essayai de me lever, sans savoir quoi dire en dehors d'onomatopées indistinctes. Devant moi se dressait une grande bringue en minijupe et chemisier criard, aux lèvres peintes d'un rouge débordant, de longs cheveux roux sans doute faux entourant un visage ingrat, éructant des insanités. Baissant les yeux, je vis aussi des talons hauts surmontés de jambes bien poilues, et c'est alors que je me rendis soudain compte que ma bourgeoise blonde était ...un travesti.

    Ah là là ! Pouvoir du rêve...Il (ou elle) avait perdu son sac sans s'en apercevoir dans la bousculade et avait fait demi-tour pour le retrouver. Je le lui ai rendu avec son portefeuille, essayant de ne pas faire attention aux visages hilares des clients du Café, et je me suis empressé de disparaître.

     


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  • Voilà. La vente avait enfin été conclue, et la maison était maintenant à lui, vraiment à lui, après des années de locations qui se suivaient, de ville en ville, dans des lieux de passage sans âme où il n'avait jamais pu se sentir vraiment à l'aise.

    Ils sortirent de chez le notaire. Pendant que sa femme retournait dans leur logement actuel pour entamer la tâche harassante de trier avant de tout mettre en cartons, il se rendit dans la maison pour voir ce qu'il y avait à faire et vérifier que la disposition des meubles qu'ils avaient imaginée était bien la bonne. Il sortit le trousseau de clés et entra dans le hall, puis dans le séjour attenant. Cette pièce vide paraissait immense, mais il avait aussi beaucoup de meubles à y installer.

    Il se mit au milieu de la pièce et commença à tourner lentement sur lui-même. Fermant les yeux de temps à autres, il s'imagina avec un casque de réalité virtuelle sur la tête, faisant apparaître et disparaître à la demande les meubles et la décoration.

    Mettre le grand canapé de cuir au centre de la pièce, face à la cheminée à droite.

    A sa gauche, le fauteuil assorti, à 90 degrés, le tourner légèrement de biais vers l'entrée

    Le petit canapé, pour compléter le coin salon, à droite en entrant

    Et bien sûr au milieu, la table basse centenaire, en bois exotique, suffisamment grande pour supporter verres, bouteilles, journaux, sudokus et tout un bazar de choses diverses

    A gauche, sous l'escalier montant à l'étage, dissimuler la chaîne haute fidélité, tout en la laissant accessible. Ah ! Il allait y avoir un problème avec les baffles...Comment conjuguer une bonne stéréophonie avec une certaine proximité de la chaîne et cacher les fils ?

    Plus loin, dans le vaste espace restant, comment installer la salle à manger ? Pousser le buffet contre le mur, près de la chaîne, mais à quel endroit exactement ? Mettre la table ronde près de la porte fenêtre donnant sur le jardin, pas trop près pour qu'on puisse l'ouvrir. Mais après, comment faire pour mettre les rallonges les jours de grande affluence, à Noël, pour les fêtes, les anniversaires ?

    Au fond, à droite, dans l'angle, près de l'autre porte fenêtre, le meuble télévision, de biais pour être vu confortablement des canapés.

    Et le piano droit ? Et la vitrine anglaise ? Et les magnifiques coffres indochinois servant de bar ? Et la bibliothèque ?

    Il fallait tout recommencer, reprendre les essais. Faire un plan, avec les tailles exactes des meubles. Ou mieux : emprunter un logiciel de simulation 3D, on en voyait partout maintenant sur Internet. Il fit la moue : en fait, rien ne valait la méthode ancienne : muscles et déplacement de meubles, essais, évaluation, ajustements. Et puis recommencer, jusqu'à ce que tout soit parfait.

    Pour les tableaux, les cadres et les photos, à voir ensuite, cela ne pouvait venir qu'après.

    Au bout d'un moment, il abandonna et alla s'asseoir sur la première marche de l'escalier. Le menton dans les mains, il s'imagina enfin installé, avec des papiers peints tout neufs, les tableaux au mur, les tapis sous les meubles, et bien sûr un certain désordre synonyme de présence et de vie. Il voyait déjà comment cela allait se passer : sa femme et lui se jeter sur l'un ou l'autre des canapés pour regarder la télévision ou écouter de la musique ; les enfants et petits enfants jouer du piano, ou faire un scrabble, ou courir partout en se chamaillant ; les grands parents prendre racine, inamovibles dans les fauteuils les plus confortables ; le chien aboyer et poursuivre le chat s'échappant par la chatière...

    La retraite s'annonçait bien occupée, finalement...

     


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  • Le téléphone sonne, je décroche. C'est Violaine, ma meilleure amie, qui m'inquiète depuis quelques semaines, ou même quelques mois si je réfléchis bien aux premiers symptômes, car elle veut, dit-elle, « changer de vie ». Je ne sais pas ce que cela veut dire, je me demande si elle le sait elle-même.

    • Salut, c'est moi, dit-elle, comme si je ne l'avais pas reconnue.

    • Oui, et moi c'est moi, rétorqué-je finement. Comment vas-tu ?

    • Très bien. Et je t'appelle parce que ça y est, j'ai pris une décision, et je voudrais ton avis.

    • Oui... Je t'écoute, une décision à quel sujet ?

      Je sais très bien de quoi elle veut me parler, et je redoute le pire. Je ne vais pas être déçu, elle a toujours eu des idées loufoques, même si je sais qu'elle souffre vraiment dans son métier d'enseignante qu'elle ne supporte plus.

    • Tu sais bien, mon projet de quitter l'éducation nationale pour faire autre chose. Eh bien, ça y est, je crois que j'ai trouvé ce qui me convient.

    • Alors, qu'est-ce que c'est ? Dis-moi tout.

    Je sens qu'elle hésite, car elle se doute que je ne la ménagerai pas si ce qu'elle va me dire ne me plaît pas.

    • Tu sais que j'aime bien aller vers les gens, c'est pourquoi j'ai choisi l'enseignement. J'avais l'impression que transmettre un savoir aux enfants, c'était vraiment bien, c'était leur apporter quelque chose, et pour moi me sentir utile. Mais tu as vu comment le mammouth nous traite, on en a suffisamment parlé. Alors, j'ai vu récemment sur Internet qu'il y avait un métier qui se développait, celui de « coach scolaire », je me suis renseigné, c'est exactement ce qu'il me faut, et...

    Je l'interromps tout de suite :

    • Attends, ce que tu me dis là, c'est que tu veux quitter l'Education Nationale et te lancer dans une entreprise individuelle, c'est ça ?

    • Oui...

    • Donc tu vas créer ton entreprise toute seule, tu vas chercher des clients dont les enfants ont des problèmes avec l'école, et tu vas leur redonner le goût d'apprendre, c'est bien ça ? Et pas leur donner des cours de rattrapage dans ta matière ?

    • Oui...

    • Mais on ne s'improvise pas « coach » comme ça ! Tu vas devoir suivre une formation, avoir un diplôme si ça existe, ça va te prendre du temps avant de pouvoir avoir ton premier client. Comment comptes-tu concilier ça avec ton travail de prof ?

    D'un ton triomphant elle me rétorque :

    • Mais j'y ai pensé, qu'est-ce que tu crois ! La formation que je vise dure un an, je vais me mettre en disponibilité pendant un an, je ne démissionne pas tout de suite, je ne suis pas folle quand même ! Pendant ce temps je me ferai un site Internet et j'apprendrai moi-même les méthodes pour me faire connaître. Mais c'est vraiment ça que je veux faire, j'ai déjà envie de commencer tout de suite pour voir, je suis sûre que c'est génial.

    Je soupire intérieurement. Je sais qu'elle est très bonne dans ce genre de services, j'ai rarement vu quelqu'un dotée d'une telle empathie, d'une telle capacité d'écoute, d'une telle intuition pour mettre le doigt sur ce qui ne va pas chez les autres.

    • Je ne doute pas que tu pourrais réussir, et je comprends ton impatience. Mais quand même, je voudrais te poser quelques questions d'organisation qui ne vont pas te plaire, mais qui sont vitales si tu ne veux pas te planter. Pour commencer,...

    • Ça y est, voilà le grand organisateur qui vient me rabattre le caquet au lieu de m'encourager, c'est pas très sympa, là.

    • Sympa ou pas, écoute moi, tu sais bien que je ne vais pas démolir ton projet pour le plaisir, il faut tout considérer quand on se lance comme ça. D'abord, pendant la disponibilité, tu ne seras pas payée ?

    • Ben non...

    • Tu as des économies pour vivre un an sans salaire ?

    • ...un an, non, mais je me serrerai la ceinture, c'est pas un problème.

    • Et la formation, c'est l'éducation nationale qui va te la payer ?

    • Non, c'est un organisme privé, c'est vrai que c'est assez cher. Mais je me suis dit que, comme on travaillera beaucoup les cours chez soi et par Skype, j'aurai du temps pour me trouver un job alimentaire, genre caissière de supermarché ou distributrice de brochures publicitaires, ça ne doit pas être difficile.

    • Non mais je rêve ! Tu crois vraiment que personne ne veut être caissière et qu'il y a des centaines de postes à pourvoir qui n'attendent que toi ? Et tu crois que les gérants vont préférer une fille sur-diplômée pour effectuer un boulot qui ne demande aucune qualification ?

    • Et toi, qu'est ce que tu en sais ?

      Je sens qu'elle commence à s'énerver, surtout quand on parle organisation et argent. Vous comprenez, l'argent c'est sale, moins on en parle, mieux c'est. Elle poursuit :

    • Quand on a décidé quelque chose, il faut y aller, et après on verra bien. Je suis sûre que sous la pression on peut se dépasser. Je m'en fous de bouffer des nouilles tous les jours. C'est ça qui est exaltant, avoir envie d'accomplir quelque chose qui te plaît et le faire quoi qu'il arrive. Toi, tu ne peux pas comprendre, avec ton esprit rationnel, si on t'écoutait on ne ferait jamais rien.

    Je suis assez catastrophé. Elle a pourtant choisi d'être fonctionnaire parce qu'ainsi elle n'a pas à se préoccuper beaucoup d'organisation et de logistique, en dehors de la préparation de ses cours. Je ne sais pas trop comment la convaincre sans la décevoir. J'essaie de calmer le jeu.

    • Bon, je vois que tu es plutôt motivée, mais il y a beaucoup de choses à faire si tu ne veux pas te planter, tu es bien d'accord ? Alors je te propose d'y réfléchir chacun de notre côté, et puis je viens te voir dans une semaine pour en parler sérieusement. Tu m'offriras bien l'apéro, non ?

    Je l'entends sourire dans l'écouteur.

    • D'accord, emmerdeur. A bientôt.

    Je raccroche, un peu soulagé, mais très inquiet. Que vais-je bien pouvoir lui dire pour qu'elle accepte d'envisager un projet viable sans la fâcher dès que je prononcerai des gros mots tels que « marketing », « fiscalité », « URSSAF », « réglementation » ?

     


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