• J'ai récemment fait la connaissance d'une petite troupe théâtrale, non pas petite, mais microscopique, puisque composée de Florence, la fille d'une amie, de Christophe, un ami de celle-ci et d'une troisième personne que je n'ai pas vue, mais qui assure le rôle ô combien important de régisseur, agent artistique, et de tout ce qui est matériellement nécessaire pour qu'un spectacle soit réussi et que les artistes puissent vivre de leur travail. Ce bel ensemble porte un nom qui lui va bien : « La compagnie du spectacle de poche ».

    La mère de Florence, appelons-la Chantal, ayant décidé de faire connaître cette petite troupe, a donc organisé chez elle une représentation privée, à laquelle elle a invité quelques proches et des amis, une trentaine de personnes en tout. Pour l'occasion, la grande salle de séjour avait été débarrassée de tout ce qui l'encombrait : table et petits meubles avaient été évacués, les buffet, desserte et gros fauteuils poussés contre les murs, et cinq rangées de chaises disposées a trois mètres du mur du fond. L'espace restant était divisé en deux par un rideau face aux spectateurs : derrière se situaient les « coulisses », étroit passage où les acteurs faisaient leur sortie ou allaient se changer ; devant restaient trois ou quatre mètres carrés constituant la scène. Tout un défi pour démontrer la capacité d'adaptation de la troupe aux conditions locales !

    Nous avons été accueillis devant la porte par les artistes eux-mêmes, qui nous ont indiqué, après quelques paroles de bienvenue, l'endroit où déposer nos manteaux et la petite salle où un apéritif allait être servi pour chauffer l'ambiance, si nécessaire. Parmi les invités, tout le monde connaissait tout le monde, ou presque, et chacun avait apporté un petit quelque chose pour la collation prévue après le spectacle, qui promettait d'être pantagruélique.

    Quand tout le monde fut arrivé et l'apéritif expédié, on s'installa sur les chaises de cette salle de théâtre improvisée, et la pièce commença. Cette comédie, écrite et mise en scène par les acteurs eux-mêmes, n'a pas vraiment de titre, mais elle pourrait s'intituler : « Quand ce qui est entendu n'est pas dit...et réciproquement ! ». Elle méritait bien son nom, cette pièce dite « amphigourique »1, pleine de gens n'écoutant qu'eux-mêmes, plus soucieux d'exposer leurs problèmes que d'être ouverts à ceux des autres. Une comédie fort drôle, et restant drôle malgré le cheminement dramatique vers une incommunication totale ! Nous avons eu droit au défilé de la famille Gratiné, la bien nommée, où chacun a un projet qui lui tient à cœur pour le mois de juin : la mère Barbara, psy de son métier, prépare son anniversaire de mariage ; le fils, Enguerran, écrivain, doit se fiancer ; la fille, Calypso, réalisatrice, a un projet pour le festival de Dublin ; le père, Raoul, artiste peintre, est censé préparer une grosse exposition...Chacun voit midi à sa porte, et dans le feu de l'objectif à atteindre, en arrive à laisser échapper des révélations sur de petits secrets et de gros mensonges qui, sans cela, n'auraient jamais été révélés. Tout le monde a bien ri, mais parfois jaune, dans le déroulement de ce festival d'égoïsmes qui, au-delà de la comédie de boulevard et des situations évidemment caricaturales qui vont avec, montre avec une certaine acuité la dérive de notre société de communication technologique où, dans le bruit de fond ainsi généré, personne n'arrive plus à s'entendre.

    Ce fut donc une excellente surprise : une comédie bien écrite et bien menée, jouée par des auteurs-acteurs excellents dans leur jeu, leurs mimiques, leurs hésitations, leurs onomatopées indescriptibles. Je m'attendais à un spectacle d'amateurs éclairés méritant un succès d'estime que tout le monde leur aurait accordé ; ce fut au contraire une comédie presque parfaite, avec des acteurs très professionnels, dignes de se produire dans un cadre plus large, mais aussi plus traditionnel.

    Ils furent très applaudis, puis on installa le buffet. Tout le monde y participa, et les conversations allèrent bon train jusqu'à une heure assez avancée. On parla de la performance à laquelle on venait d'assister, de la vie difficile des intermittents du spectacle, du spectacle de rue, du spectacle vivant, du travail épuisant à accomplir pour distraire un moment quelques personnes d'une manière différente de la facilité télévisuelle quotidienne. Les deux acteurs nous racontèrent une parcelle de leur vie, faite de passion et de plaisir, et de leur envie de faire partager cela à tout le monde, avec leur répertoire d'une demi-douzaine de pièces originales dont quelques unes spécialement écrites pour les enfants.

    J'ai vécu ce soir là un moment réellement festif, où la joie d'assister à un spectacle de qualité s'est vue augmentée par la possibilité de côtoyer de près les artistes, de comprendre ce qu'est leur vie, leur passion pour leur métier, dans une atmosphère de convivialité qu'on ne rencontre jamais lorsqu'on se contente de s'abonner au cycle conventionnel du théâtre de la ville où on habite.

    1« Qui consiste à écrire un texte de manière volontairement burlesque, obscure ou inintelligible »

     


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  • Faire le portrait de trois personnages ayant quelque chose en commun.

     

    Dans cette brasserie du centre ville, au premier étage, Rafik, Marie-Ange et Alain se retrouvent deux fois par mois pour boire un thé à la menthe, un café ou une bière, et surtout pour discuter avec d'autres, sur un sujet choisi en commun la fois précédente.

    *

    Rafik est un homme jeune, d'origine marocaine, né en France et plus français que les français dits « de souche ». Parfaitement intégré, il a suivi des études de droit et il vient de commencer une carrière d'avocat. Cheveux bruns ondulés, visage allongé, grand et plutôt mince, joues parfaitement rasées fleurant bon une eau de toilette de prix, il porte toujours veste et cravate, et, si ce n'est son teint légèrement basané, rien ne révèle ses origines maghrébines. Il a des manières apprêtées et un langage châtié, qu'il accentue par une attitude d'une nonchalance étudiée frôlant l'arrogance voire la condescendance. On le prendrait à première vue pour un riche bourgeois du seizième imbu de sa supériorité .

    Mais il ne faut pas se fier aux apparences. Rafik exprime toujours des idées fortes, inclassables sur l'échiquier politique, mais qui ont toutes une caractéristique évidente : elles sont extrémistes. Tantôt d'extrême gauche ou anarchistes, tantôt d'extrême droite, elles attirent rarement l'approbation d'une assemblée constituée de personnes en majorité plus âgées, qui se méfient des sauveurs péremptoires. A presque trente ans, et malgré son métier d'avocat, il parle comme s'il en avait encore dix-huit, s'enflammant spontanément pour des idées généreuses ou critiquant de manière définitive toute initiative politique hors de ses convictions. Cela pourrait le rendre sympathique, cette fougue de la jeunesse, s'il essayait au moins d'expliquer de temps en temps le pourquoi de ce qu'il pense, et acceptait d'assumer ses contradictions autrement qu'en déroulant des phrases interminables dans lesquelles tout le monde et lui-même finissent par se perdre.

    Prenons quelques exemples. Il qualifie les nations occidentales de pseudo démocraties où la justice n'a pas cours, livrées au jeu des lobbies de toutes sortes, dans lesquelles le citoyen moyen est toujours le dindon de la farce ; mais il prend la défense des dictateurs sanguinaires renversés par les « printemps arabes », car eux, au moins, comme De Gaulle, « avaient de la personnalité et de la poigne ». Il se veut le défenseur du peuple, il n'a que le mot « peuple » à la bouche, et pourtant il estime normales les inégalités dans la société, car « seuls les riches ont les moyens et le temps nécessaire pour pouvoir penser ». Pour lui, l'Union Européenne n'est rien d'autre qu'un quatrième Reich ou un état stalinien, rien de moins. Il défend la cause des femmes, dit-il, mais estime « stupides » et inutiles les mouvements féministes, y compris ceux défendant les femmes battues. A l'entendre, les solutions aux problèmes du monde moderne seraient simples et évidentes, mais, quand on le pousse dans ses retranchements, jamais il n'explique concrètement comment il faudrait faire : pour lui, tout est d'abord une question de « volonté politique ». Quand il a dit cela, il a tout dit, car on se rend vite compte qu'il n'a pas d'idées claires sur le reste, qui ne l'intéresse pas, comme la crise climatique, l'environnement, les progrès de la science, les grandes questions philosophiques, ou encore les difficultés de la vie quotidienne.

    En bref, c'est un révolutionnaire de bistro, approximatif et brouillon, qui manipule la rhétorique avec une certaine virtuosité, croyant ainsi dominer de très haut un peuple qu'en fait il méprise. Ses idées sont superficielles, simplistes et contradictoires, déconnectées de la vie courante. On se demande parfois si cela n'est pas simplement dicté par le besoin d'affirmer sa différence au travers de la provocation et de la contradiction : en somme, être soi en étant contre les autres.

    **

    Marie-Ange est infirmière à la retraite. Elle est petite, plutôt mince, se teint en blond, porte des lunettes à montures roses, et n'a pas la langue dans sa poche. Elle est aussi pleine de contradictions, qu'elle assume dit-elle. Par exemple, elle est féministe à outrance, tout en assimilant ce « statut » à un célibat permanent, à une sorte de rejet de l'autre sexe, et c'est tout juste si elle ne nous a pas dit explicitement que toute sa vie affective était résumée dans son prénom. Sur un autre plan, elle abhorre la religion, mais milite dans des associations laïques d'aide aux plus démunis, tout en affichant des opinions tranchées vis à vis des musulmans et des migrants. « Il ne faut pas les laisser venir chez nous, clame t-elle régulièrement, et tous les renvoyer chez eux ! ». Enfin, et très curieusement, elle possède une culture étendue sur de nombreux sujets philosophiques et scientifiques : à une réunion récente, elle a fait un exposé magistral sur la mécanique quantique, juste pour démontrer que même dans les sciences dites « dures », la vérité est cachée, la réalité voilée, et que le monde, finalement, est inaccessible à notre compréhension.

    ***

    Mais la personnalité la plus atypique de cette bande de coupeurs de cheveux en quatre, c'est sans nul doute Alain. Contrairement aux deux autres, il n'a pas fait beaucoup d'études et pour cette raison il souffre d'une sorte de complexe d'infériorité, ce qui le conduit à renoncer à défendre ses convictions pour peu que quelqu'un, qu'il estime plus qualifié ou plus diplômé que lui, affiche des opinions contraires aux siennes. Il cherche la rationalité en toute chose, mais il est toujours d'un pessimisme morbide, qu'il dit souvent être de la lucidité ; il sourit rarement et porte sur son visage lugubre toute la tristesse du monde. Pourtant, c'est un homme qui a le cœur sur la main, prêt à faire des efforts incroyables rien que pour faire plaisir à une personne qu'il estime. Pour sa mère, atteinte de la maladie d'Alzheimer, il a demandé à être mis en préretraite prématurément, rien que pour s'occuper d'elle ; une semaine après avoir quitté son métier, elle décédait.

    Cette ambivalence aurait pu le rendre inexistant ou inodore, et pourtant, quand il s'exprime, c'est souvent avec beaucoup de conviction et de justesse, bien que son élocution laisse à désirer. Depuis la crise de 2008, il s'est entiché d'économie, il lit tout ce qu'il trouve, cherchant désespérément à appréhender ce qui se passe, et se trouve fort malheureux de se rendre compte, peu à peu, qu'il n'y arrivera jamais, car il n'y a pas grand chose de rationnel à comprendre sur ce sujet.

    Il est un domaine cependant où il s'exprime de manière franche et directe alors que tout un chacun, dans une société civilisée, parlerait ici à mots couverts ou simplement se tairait : il s'agit bien sûr du sexe, et de la place qu'il occupe dans notre vie, nos actions, nos pensées. Il dit les choses crûment, ne s'embarrasse pas de circonlocutions, et assène des vérités que beaucoup se cachent à eux-mêmes, ou n'osent pas dire. Il fait rire, bien sûr, comme si cela se limitait à des plaisanteries graveleuses, alors qu'il a en ce domaine une vison cohérente des choses, même si on peut ne pas être d'accord avec lui. L'homme n'est qu'un animal évolué, dit-il, et sa pensée et son intelligence ne le hissent pas pour autant au-dessus de la bête quand il s'agit de l'acte de reproduction et de tout ce qui l'entoure. Son credo de base peut s'exprimer ainsi : l'amour n'est que le moyen trouvé par la nature afin que l'espèce se reproduise, et les histoires romantiques se terminent toujours en faisant la bête à deux dos, parce que l'instinct prime toujours sur l'intelligence.

    Il a une femme et deux enfants, mais il ne s'exprime jamais sur la relation qu'il peut y avoir entre ce qu'il dit dans nos discussions et sa manière de se comporter chez lui. Je le soupçonne de rêver à une vie plus conforme à ses aspirations et ses pensées, alors que dans la vie courante il doit se fondre dans la masse, être invisible dans le système tout en sauvegardant sa liberté de penser autrement.

     


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  •  

    Lorsque je l'ai rencontrée pour la première fois, je me suis dit que c'était bien le genre de femme à repasser ses chaussettes...Pas les siennes, bien sûr, puisqu'elle portait un collant, comme toute femme qui se respecte, mais celles du type à côté duquel elle était assise. Un homme que, objectivement, on pourrait qualifier de joli garçon, bien habillé, sûr de lui, mais qui m'a été tout de suite antipathique, je ne sais trop pour quelle raison. Enfin si, je le sais, pourquoi le cacher : à cause du regard d'adoration qu'elle portait sur lui, tout à fait injustifié à mon avis.

    Parce que je suis comme ça, autant le dire : je hais les hommes qui accompagnent les jolies femmes, surtout s'ils sont bien foutus, et encore plus si les femmes en question ne font pas attention à moi. Non, je ne suis pas fat ni vaniteux, c'est juste qu'il y a en ce monde des injustices criantes. Oui, je suis laid, c'est vrai, je le sais, mais je n'ai jamais compris pourquoi les femmes, belles ou pas, étaient tout à fait incapables de détecter la beauté intérieure, la pureté d'hommes comme moi. Vous me direz que ce qui est intérieur ne se voit pas, et qu'il faudrait au moins un minimum de conversation pour commencer à voir ce qui est invisible. Je ne partage pas ce point de vue, d'abord parce qu'on nous a assez bassinés avec l'intuition féminine, alors qu'elle est rarement utilisée quand elle existe, croyez-en ma vieille expérience. Ensuite, parce qu'elles disent toujours qu'elles sont romantiques, que les sentiments sont l'essentiel, que l'Amour est ce qu'il y a de plus beau, qu'elles rêvent d'une relation extraordinaire et unique, et bla et bla et bla. La vérité, c'est qu'elles suivent en général le premier venu dont la seule capacité est de savoir dire de manière convaincante ce qu'elles ont envie d'entendre, sur leur mystère, sur leur beauté, sur la couleur de leurs yeux, sur leur caractère unique, bien qu'elles sachent très bien, sans forcément se l'avouer, que ce sont juste les mensonges éhontés de mâles ayant en tête des objectifs précis.

    Je nourrissais donc des pensées de ce genre en sirotant mon café, tout en la regardant à la dérobée, quand son regard s'est posé sur moi. En général, quand ça arrive, c'est un regard indifférent qui se manifeste, un regard qui balaie les lieux sans s'arrêter, un regard qui ne voit rien. Cette fois, ce ne fut pas le cas. Ses yeux se fixèrent sur moi et ne me lâchèrent plus. Je sentis mes joues devenir brûlantes et je me mis à me tortiller sur mon siège. Mais qu'est-ce qu'elle avait à me regarder ainsi ? Avais-je bavé sur ma cravate (oui, je porte encore des cravates, je trouve que ça donne une certaine dignité) ? Etais-je décoiffé (oui, j'aplatis mes cheveux avec de la gomina comme Di Caprio dans « Le Loup de Wall Street », je trouve ça très chic) ? Le trou dans ma manche était-il visible bien que je le cachasse (c'est pourtant mon plus beau veston) ? Je vérifiai discrètement et rapidement tous ces éléments, mais je vis alors un très léger sourire se dessiner sur ses lèvres et je sus que rien ne lui avait échappé. Elle commençait à m'agacer, avec son air de tout savoir.

    Il se passa alors quelque chose d'inattendu : elle se pencha vers son voisin, lui dit quelques mots, il me regarda à son tour d'une façon que je jugeai curieuse, acquiesça, puis elle se leva et se dirigea vers moi. J'étais tétanisé. Elle s'assit sans demander ma permission. Cette intrusion dans mon espace privé me déstabilisa complètement, au point que je balbutiai quelques paroles incohérentes, me levant à demi pour appeler le garçon. Mais elle m'arrêta en posant sa main sur mon avant-bras, et dit, me regardant d'un air apparemment hésitant :

    • J'ai besoin d'un homme comme vous, si vous avez un moment.

    J'étais sur la défensive, mais sa main calcinait mon poignet et je dus me rasseoir. Au fond du café, le type semblait se désintéresser de ce que nous faisions et regardait ailleurs en jouant avec son verre. J'hésitais. Tout cela me semblait louche, une belle femme accompagnée ne vient pas aborder comme ça un inconnu dans un lieu public. Néanmoins, je me surpris à lui répondre d'un air aussi dégagé que possible :

    • De quoi s'agit-il ? Je... Je ne vous connais pas.

    Faussement timide, les yeux baissés, elle dit alors d'une petite voix cette phrase incroyable :

    • J'aimerais coucher avec vous, j'en ai envie, il est d'accord, il s'en fiche. Vous voulez bien ?

    Complètement abasourdi, je me levai d'un bond, manquant de renverser la table et je courus vers la sortie. Le garçon furieux me rattrapa sur le trottoir pour encaisser mon café, et dans ma confusion je lui laissai un pourboire royal, ce que je regrettai aussitôt.

    Serrant mon imperméable contre moi, je passai le long de la devanture, et je les vis qui riaient, elle accrochée à son bras. Quelle dépravation ! Ils avaient joué un jeu pervers à mes dépens, c'était sûr. J'étais le dindon de la farce, l'imbécile dont on se gausse, le vilain dont on se moque. Je me demandai une fois de plus ce qui restait de morale et de dignité dans notre civilisation décadente.

    Sur le chemin du retour à mon domicile, la colère m'étouffait. Pourtant, se substituant peu à peu à cette rage, une question lancinante se mettait à me tarauder l'esprit, malgré mes efforts pour la repousser et le secours inutile de mes principes :

    et si j'avais dit oui au lieu de m'enfuir ?

    A ma grande honte, je sentais quelque chose comme un regret envahir mes pensées, et je savais que j'allais passer une nuit agitée, une mauvaise nuit.

    La seule chose certaine, c'est que jamais elle ne m'aurait ôté mes chaussettes pour les repasser, ni avant, ni après : comme elles sont trouées, je l'aurais fait moi-même, sans qu'elle s'en aperçoive.


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  • Inclure trois phrases données (en italique dans le texte) dans un récit cohérent.

     

    Il avançait dans cette galerie obscure où elle s'était enfoncée après l'avoir quitté. Elle l'avait embrassé, lui avait souri d'un air triste, lui avait dit qu'elle l'aimait, qu'il n'y avait rien ni personne d'autre, mais que la solitude était son destin. « Vois-tu, lui avait-elle dit, c'est comme avoir un oiseau dans le cœur, qui bat des ailes pour s'échapper de sa cage, non pas que je sois prisonnière avec toi, mais parce que mon corps m'enferme, que je veux lui échapper, et que je ne le peux pas. Je veux l'oublier, ne plus le sentir, pour être seule avec moi-même, dans l'obscurité propice, seule avec mon âme et savoir qui je suis. »

    Il n'avait pas cherché à la retenir, il espérait seulement qu'elle reviendrait bientôt, qu'il verrait à nouveau son sourire, qu'il sentirait à nouveau la caresse légère de sa main sur sa joue, et la chaleur de son petit corps contre le sien. Il ne demandait rien d'autre.

    Pourtant, il l'avait suivie dans ce boyau sombre où elle voulait se perdre pour se retrouver. Il ne voyait rien, ne cherchait rien, il n'avait pas peur en marchant dans le noir comme elle, mais il savait au fond de lui que c'était en vain, car il ne comprenait pas ce qu'elle cherchait. Elle pouvait être tout près, comme une petite bête silencieuse tapie dans son terrier, mais plus loin de lui que si elle était au bout du monde.

    Peut-être était-ce lui qui était loin d'elle, alors il lui faudrait attendre que les ténèbres se dissipent. Car la nuit est pleine de barreaux, qui ne sont pas des barreaux de prison, et à travers ces barreaux, un jour, par son attente, par son espoir et par sa patience, une lueur surgirait et il la verrait réapparaître. Elle lui tendrait les mains, son sourire ne serait plus triste, et, son corps retrouvé, elle se tendrait vers lui, enfin sortie de cette obscurité où elle avait failli se perdre.

    À la manière de Marcel Schwob                       dans « Le Livre de Monelle »


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  • Décrivez la souffrance d'une personne à la manière de Jacques Prévert dans : "La grasse matinée"

     

    Il est assourdissant

    le silence interminable de l'attente

    il est assourdissant ce silence

    quand il résonne dans la tête de l'enfant qui a peur

    il est assourdissant aussi parce que l'enfant est sourd

    sourd d'avoir entendu trop souvent

    le fracas des bombes qui tombent

    au-dessus de lui, sur sa maison, sur ses amis

    sur les autres enfants qui attendent

    que tout cela s'arrête

    pour qu'il puisse enfin jouer

    qu'il n'oublie pas ce que c'est que jouer

    que jouer ce n'est pas seulement jouer à la guerre

    sortir un pistolet

    en plastique

    et faire « pan » ! et faire « boum » !

    et faire semblant d'être mort

    comme les morts qu'il voit tous les jours

    dans les ruines

    dans les caves

    dans les rues

    c'est devenu presque normal

    c'est ça qui est normal

    et l'école, parfois, entre des murs sans toit

    est aussi comme un jeu

    que l'on pratique quand on le peut

    en attendant l'obus

    le prochain

    celui qui, peut-être, l'emportera,

    mais il n'y pense pas, il joue, il rit,

    ça dure un moment

    même s'il a peur

    même s'il a faim, même s'il a soif

    et soif aussi que ça s'arrête

    ça ne peut pas durer

    et pourtant ça dure

    depuis des mois

    puis des années, et si ça dure,

    c'est dans les flots qu'il finira

    dans la mer où il flottera

    pour aller là où on ne l'attend pas

    là où on ne le veut pas

    mais où l'attente n'aura pas

    ce goût terrible du fracas

    que le silence ici promet.

    Il est assourdissant,

    le silence interminable de l'attente.

    il est assourdissant ce silence

    quand il résonne dans la tête de l'enfant qui a peur


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