• Vous aviez entamé hier un livre de Philippe Muray : «Le XIXème siècle à travers les âges », chaudement recommandé par Philippe Sollers, un de vos auteurs favoris. Une des premières phrases vous a immédiatement frappé :

    « Voici maintenant les maîtres mots qu'on trouvera au long de ces pages, ces deux mots, chacun les connaît, mais séparément en général : occultisme et socialisme. Bien sûr tout semble avoir été dit sur le socialisme ou sur l'occultisme, mais attention, séparément, jamais en les associant. »

    En effet, feuilletant rapidement le reste de cet épais volume, vous vous êtes rendu compte que cet essai avait pour ambition de démontrer que le socialisme était un occultisme. Vous avez trouvé gratuite cette volonté de prouver une idée toute faite, où vraisemblablement l'auteur n'allait retenir que les éléments lui convenant et oublier les autres. Toutefois, l'idée vous a plu, en tant que jeu sur le langage, et vous vous êtes mis à explorer différentes associations de mots n'ayant a priori aucun rapport entre eux. Vous avez commencé par piocher dans le Larousse, en l'ouvrant au hasard, et en prenant les deux premiers mots tombant sous vos yeux. Mais cela n'a pas marché, vous vous êtes demandé pourquoi, jusqu'à ce que vous vous rendiez compte qu'il s'agissait d'associer deux concepts et non n'importe quels mots tirés au sort. Profitant des ressources d'Internet, vous avez alors recherché tous les mots finissant par « isme ». Il y en avait plusieurs centaines, et vous vous êtes senti vexé d'en connaître à peine la moitié ! Qui donc, à part un linguiste, sait ce qu'est le « janotisme » ? Ou le « parsisme » ? Ou le « trisme » ?

    Il vous a fallu faire un tri parmi tous ces mots pour ne retenir que ceux qui avaient un minimum de sens pour vous, puis vous les avez groupés au hasard deux par deux, avant de choisir, enfin, un couple divorcé, où chaque protagoniste ne comprenait rien de l'autre, où aucun des deux ne voulait parler à l'autre. L'incompréhension totale était de rigueur. Après une longue hésitation -il fallait bien se décider- vous avez fini par accepter de réfléchir sur le couple maudit :

    « civisme / naturisme »

    Mais un autre problème est apparu à ce moment là : s'agissait-il d'étudier l'influence du civisme sur le naturisme, ou bien l'inverse ? Et sans essayer d'en faire un ouvrage de 700 pages...

    Le plus difficile vous a bien semblé être la réflexion à propos de l'influence du naturisme sur le civisme, car le civisme est un concept plus vaste qui peut s'appliquer à bien des comportements humains, alors que les pratiquants du naturisme ne représentent qu'une faible proportion de personnes, ce qui exclut ceux qui ne le pratiquent pas, qui ne peuvent s'en inspirer pour modifier ou ajuster leur manière d'être en société.

    Néanmoins, après quelques minutes de rumination intense, vous avez trouvé que ce jeu était un peu vain, et ne valait pas qu'on y consacre autant de temps. C'était moins drôle que prévu. Ou alors vous deviez, comme Muray, chercher un couple sur lequel une thèse crédible pouvait être avancée, y réfléchir sérieusement et non s'en amuser. Par exemple :

    « déterminisme / individualisme »

    Voilà, là vous teniez quelque chose. Le déterminisme, c'est évidemment du sérieux, du scientifique, du tangible, peut-être même du profond. Un concept que l'individualisme pouvait attaquer de manière radicale, mais comment ?

    Mais vous n'étiez pas en verve ce jour-là, et vous avez repoussé cet essai à plus tard, à demain, ou encore aux calendes grecques. Et vous vous êtes rabattu sur le dernier Sollers, vous aviez besoin de vous détendre plutôt que de réfléchir à des concepts fumeux et des jeux de mots fatigants...Quoique...se détendre en lisant Sollers, ce n'est pas vraiment le mot que vous auriez dû utiliser...

     


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  • J'ai fait la connaissance de Clémence un jour que je faisais mes courses au Franprix près de chez moi. J'étais au chômage depuis trois mois, Dominique venait de me quitter, j'avais le moral en berne, et j'errais parmi les rayons, emplissant au hasard mon panier de choses à manger et à boire. Elle faisait des achats avec une amie, sa liste à la main, très déterminée, pressée. Le choc fut brutal, il eut lieu au détour de la tête de gondole où siégeaient les produits régionaux, j'avançais vers la sortie tout en regardant dans mon cabas pour savoir ce que j'avais mis dedans, elle prenait le virage à toute allure pour gagner une place dans la file de la caisse numéro 3. Mon épaule heurta sa poitrine (elle est plus grande que moi), la faisant reculer sur les pieds de son amie, et lâcher son panier dont le contenu se répandit par terre. Moi, solide comme un roc, je restai debout, les bras ballants, l'air bête avec à la main le pot de pâté que je venais de prendre sur le rayon. Elle émit un cri vite étouffé, mais à la grimace qu'elle fit, je vis bien qu'elle avait eu mal. Bien sûr, galanterie oblige, je me confondis en excuses, et l'aidai à ramasser ses emplettes, sous le regard mi-ironique, mi courroucé de son amie, et les sourires imbéciles des autres clients. Son regard, d'abord noir, s'éclaircit rapidement, et elle finit par sourire en écoutant mes excuses embrouillées.

    Elles se mirent dans la queue, je suivis derrière, et comme l'attente durait longtemps, j'eus tout le loisir de les détailler. Autant la personne qui l'accompagnait était quelconque et plus âgée, autant Clémence dégageait un charme simple qui m'attira aussitôt. Elle était vêtue d'un tee-shirt mettant ses formes en valeur, et d'un jean moulant d'où émergeaient des Converse élégantes. Elle était vraiment très jolie. Placé derrière elle, j'admirais sans vergogne sa nuque dégagée par une queue de cheval sous laquelle poussait un fin duvet châtain, ses épaules étroites déjà bronzées (on était en mai), ses mains sur le panier, ses doigts aux ongles courts couverts d'un vernis discret. Elle dégageait un léger parfum, amplifié par la proximité, que je humai en longues inspirations invisibles, narines dilatées. Nous avons échangé quelques banalités, après que je me sois enquis à plusieurs reprises des suites du choc qui nous avait rapprochés. Elle tournait à chaque fois à demi la tête pour me répondre brièvement, d'une voix haut perchée, un peu enfantine, si bien que je pouvais contempler son profil, qui n'avait rien à envier à sa silhouette. Elle n'avait pas l'air de m'en vouloir, et me répondait sans acrimonie, autrement que par les monosyllabes qu'on adresse à un importun. Décidément, elle me plaisait beaucoup, cette jeune femme, en sa présence je sentais mes pensées moroses s'évanouir...

    La queue avançait maintenant assez vite, dans cinq minutes ce serait fini. Il fallait que je fasse quelque chose si je ne voulais pas perdre le contact et avoir une chance de la revoir. Que faire ? Solliciter un rendez-vous de but en blanc avec une personne encore inconnue quelques instants auparavant me semblait impossible sinon incongru, surtout en présence d'une tierce personne et des oreilles affûtées des autres clients. C'était, je ne l'ignorais pas, l'instant le plus dangereux, du moins le plus crucial si je ne voulais pas la voir s'échapper à tout jamais. Ou alors je me condamnais à faire le guet des heures durant devant le Franprix pour l'apercevoir et feindre hypocritement une deuxième rencontre due au hasard. Il était 18 heures, mes supputations allaient bon train. C'étaient des collègues de travail. Elles faisaient leurs courses avant de rentrer chez elles. Elles avaient donc, c'est sûr, du temps disponible, à moins qu'un éventuel conjoint tatillon ne les attendent dehors ou à la maison. Elles habitaient dans le quartier, on ne fait pas ses courses dans une petite épicerie quand on réside à des kilomètres, on va au supermarché.

    Fort de ces réflexions menées tambour battant dans mon esprit échauffé, je me jetai à l'eau, leur proposant d'aller boire un verre au café situé en face du Franprix, prétextant vouloir me racheter ainsi du mal que je leur avais causé par ma maladresse (alors qu'en fait c'est Clémence qui m'étais rentré dedans à toute vitesse, mais qu'importe...). La présence de l'amie était providentielle : en les invitant toutes les deux j'éliminais, pensais-je, toute interprétation m'assimilant à un dragueur de bas étage ne cachant pas ses intentions malsaines. Et pour la suite, c'était à moi de jouer : quand on parle à une personne nouvelle, ne serait-ce que quelques minutes, le dialogue fait baisser les barrières, la méfiance s'estompe. A moi d'apparaître sous mon meilleur jour, sans pour autant mentir effrontément...Peut-être aussi découvrirais-je chez elle des choses déplaisantes, l'aspect physique n'est pas tout, tout le monde le sait.

    Elles se concertèrent du regard, émettant comme il se doit des objections pour justifier une hésitation de convenance.

    •  Il est tard, j'ai le repas à préparer, Georges va arriver bientôt

    Ça, c'était Aliette, l'amie de Clémence

    • Ce n'est pas la peine, je ne vous en veux pas n'ayez crainte, ne vous croyez pas obligé.

     Là, c'était Clémence.

    Je notai avec plaisir qu'aucune des deux n'émettait un refus catégorique, et que Clémence ne faisait aucune allusion à un quelconque conjoint. Aussi insistai-je un peu, sur mon désir de me faire vraiment pardonner (un peu lourd quand même), sur le fait que cela ne durerait pas longtemps, qu'on bavarderait juste pour le plaisir avant que chacun regagne ses pénates.

    Je sentais que j'allais gagner, et pour vaincre les dernières réticences, j'appuyai sur la fibre émotionnelle et la curiosité des femmes : je leur dis que j'avais besoin de voir du monde et de parler un peu, en accentuant mon air timide naturel et le décousu de mes phrases. Bien sûr, cet échange ne dura que quelques secondes, et ce que je dis là est une analyse a posteriori, car rien ne fut ni préparé ni organisé de la manière dont je l'ai exprimé. Il n'y avait pas de tactique explicite, j'ai juste à ce moment là, devant le tapis roulant de la caisse enregistreuse, joué mon va-tout de manière intuitive et avec une certaine sincérité. Un bref instant, en suspens, qui a déterminé depuis le reste de ma vie.

    Nous allâmes donc au café d'en face, et ce fut un bon moment. Elles me donnèrent quelques détails sur leur vie, moi sur la mienne, un courant de sympathie se mit insensiblement à passer. Je n'en veux pour preuve qu'elles restèrent beaucoup plus longtemps que prévu, malgré Georges qui attendait sa soupe, et qu'avant de nous quitter nous échangeâmes nos numéros de téléphone. Bien sûr, je pris aussi celui d'Aliette, mais c'est à Clémence que je téléphonai dès le lendemain.

    Clémence et moi, on est maintenant ensemble, et j'espère que cela va durer longtemps. J'ai oublié Dominique, j'ai retrouvé du travail, et mon moral brille de tous ses feux. Que demander de plus ?

     


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  •  Il y a toujours quelque part une étendue de jour

     Le travail du soleil ne s'arrête jamais

     

    Il y a toujours quelque part un espace nocturne

    A peine éclairci par la lune et les étoiles

     

    Il y a toujours quelque part sur cette boule qui tourne

    Des hommes qui se questionnent, inlassablement

     

    Et qui, à midi comme à minuit, se demandent

    Par quel hasard ou par quel dieu, la vie leur a été donnée

     

    Il y a toujours quelque part, il y aura toujours

    Des enfants pour demander pourquoi

     

    Pourquoi le ciel est bleu, pourquoi l'herbe est verte

    Pourquoi la nuit est noire et le jour clair

     

    Et des adultes pour inventer des réponses

    Qu'ils ne connaissent pas

     

    Et cela tournera, tournera, pendant des siècles et des siècles

    Comme un flot qui passe, toujours identique, toujours différent

     

    Sans fin... jusqu'à la fin de l'univers

     


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  • Ecrire un même récit au passé, puis au présent.

     

    Il sortit en titubant du hangar à bateau et se retrouva en plein soleil sur le ponton. Aveuglé, il porta la main à ses yeux pour se protéger à la fois des rayons de l'astre incandescent et de son reflet éblouissant sur l'eau calme. Peu à peu il s'habitua à cette lumière crue, et regarda autour de lui. Malgré le tumulte qui avait envahi son esprit, il avait en cet instant une conscience aiguë de ce qui l'entourait : l'air était doux, une très légère brise faisait naître des rides sur l'eau, les bouleaux près de la rive bruissaient doucement. Aucun autre son ne venait troubler la quiétude de ce lieu qui aurait pu être magique en d'autres circonstances. Personne sur l'étroite bande de sable où, parfois, des jeunes gens venaient se dorer, mais au loin une voile défilait sur l'horizon. Il se demanda avec inquiétude si du bateau quelqu'un pouvait le voir. La frayeur l'envahit d'un seul coup et il s'accroupit. Le paysage enchanteur prenait soudain l'allure d'un artefact malveillant, où chaque détail devenait une menace potentielle, où chaque objet n'était pas ce qu'il paraissait être. Cette lumière brutale n'était là que pour dénoncer sa présence, les arbres pour cacher des espions, le bruit du vent était celui de pas se rapprochant, les rides sur le lac étaient celles de tubas de plongeurs, les autres hangars situés à quelques centaines de mètres abritaient certainement des personnes qui le regardaient. En rampant, il se rapprocha du bord du ponton, se laissa glisser dans l'eau. Là, dans l'ombre fraîche qui sentait le poisson avarié, à l'abri, il tenta de reprendre ses esprits.

     

    Il sort en titubant du hangar à bateau et se retrouve en plein soleil sur le ponton. Aveuglé, il porte la main à ses yeux pour se protéger à la fois des rayons de l'astre incandescent et de son reflet éblouissant sur l'eau calme. Peu à peu il s'habitue à cette lumière crue, et regarde autour de lui. Malgré le tumulte qui envahit son esprit, il a en cet instant une conscience aiguë de ce qui l'entoure : l'air est doux, une très légère brise fait naître des rides sur l'eau, les bouleaux près de la rive bruissent doucement. Aucun autre son ne vient troubler la quiétude de ce lieu qui pourrait être magique en d'autres circonstances. Personne sur l'étroite bande de sable où, parfois, des jeunes gens viennent se dorer, mais au loin une voile défile sur l'horizon. Il se demande avec inquiétude si du bateau quelqu'un peut le voir. La frayeur l'envahit d'un seul coup et il s'accroupit. Le paysage enchanteur prend soudain l'allure d'un artefact malveillant, où chaque détail devient une menace potentielle, où chaque objet n'est pas ce qu'il paraît être. Cette lumière brutale n'est là que pour dénoncer sa présence, les arbres pour cacher des espions, le bruit du vent est celui de pas se rapprochant, les rides sur le lac sont celles de tubas de plongeurs, les autres hangars situés à quelques centaines de mètres abritent certainement des personnes qui le regardent. En rampant, il se rapproche du bord du ponton, se laisse glisser dans l'eau. Là, dans l'ombre fraîche qui sent le poisson avarié, à l'abri, il tente de reprendre ses esprits.

     

     


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  • Quand on est écrivain, il est des lectures qui vous influencent tellement que toute votre manière d'écrire peut en être bouleversée. Tahar Ben Jelloun l'explique très bien en parlant du Don Quichotte de Cervantès et de l'Ulysse de Joyce.

    Quand on n'est pas écrivain, il y a aussi des lectures qui peuvent changer votre manière de penser, de vous comporter ou de voir le monde. Ce ne sont pas forcément des chefs d'oeuvre incomparables comme celui de Cervantès, ce sont souvent des œuvres mineures, mais qui imprègnent profondément ceux qui les lisent lorsqu'ils sont jeunes.

    Pour autant que je puisse en juger aujourd'hui, les livres qui m'ont marqué quand je sortais de l'adolescence avaient trait au rêve, opposé à la réalité. J'étais persuadé que, derrière l'apparence des choses, se cachait un autre monde, mystérieux, onirique, différent, et qu'il suffisait d'ouvrir les yeux, de prêter l'oreille aux messages subtils qui en émanaient, pour le découvrir et essayer de l'explorer. C'était l'époque du « Matin des magiciens » et de la revue « Planète », où les auteurs, chantres du réalisme fantastique, expliquaient souvent de manière convaincante pour un jeune esprit réceptif, que la vraie vie était ailleurs, que le monde réel et celui du rêve s'interpénétraient parfois, qu'il suffisait d'avoir l'esprit ouvert pour distinguer ces lieux et ces moments où les frontières disparaissent. C'était l'époque où je tapissais les murs de ma chambre de sentences définitives telles que celles-ci : « La beauté calme et durable ne vient nous visiter qu'en rêve », ou encore « L'univers est une sphère infinie dont le centre est partout et la circonférence nulle-part »...

    Cela n'a pas duré très longtemps, je me suis vite aperçu que Bergier, et surtout Louis Pauwels, n'étaient que des charlatans dotés d'une bonne plume et d'une approche marketing performante. Néanmoins, grâce à eux, j'ai découvert des livres qui se suffisaient à eux-mêmes sans avoir besoin des explications péremptoires de nos deux experts. J'ai lu à ce moment là les surréalistes, ou plus exactement ceux qui gravitaient autour de ce courant plutôt que ceux conformes à la ligne d'André Breton, le « pape » du mouvement, ceux dont les œuvres touchaient plus à la poésie qu'à la recherche de significations cachées. Le plus important d'entre eux est incontestablement Julien Gracq, que j'ai lu et relu des dizaines de fois, sans pourtant jamais arriver d'une traite au bout d'un de ses romans. Comme « La recherche du temps perdu », comme « Ulysse », ce sont des livres qu'on lit par petits morceaux, pour ne pas être étouffés par leur beauté, beauté du style qui fait d'un roman de Gracq un poème en prose de 200 pages où l'intrigue est secondaire. C'est une œuvre dont ne se lasse pas ; j'en lis souvent quelques pages, pendant quelques minutes, à n'importe quel moment, et cela depuis plus de 50 ans. Il y a aussi l'agrément suranné de ces livres à l'ancienne, papier épais, pages à couper, auxquels il était très attaché au point d'avoir toujours refusé que ses œuvres soient éditées en format de poche. Gracq possède la faculté rare d'arriver par sa prose à nous transformer en purs éléments réceptifs où la pensée n'a plus sa place, remplacée par une acuité accrue aux perceptions, aux impressions, à tout ce que nos sens peuvent capter. Dans « Liberté grande », par exemple, recueil de textes courts, il y a « Les hautes terres du Sertalejo ». C'est la relation, en quelques pages, d'un voyage de deux hommes sur un haut plateau, dans une steppe herbeuse envahie par le vent. Ils avancent avec leurs chevaux, ils dorment à la belle étoile, il y a le bruit du vent dans les herbes, la clarté et la pureté de l'air, les montagnes à l'horizon, la morsure du froid et de l'air raréfié sur leurs visages. Il ne se passe rien, mais c'est comme si on s'y trouvait. Tout est réel, et pourtant tout est différent, comme hors du monde, hors du temps, en un lieu ou tout est en suspens.

    Gracq n'est qu'un exemple, mais il est le plus important. D'autres ont eu le même effet sur moi, même si ce sont des auteurs plus mineurs. Je peux citer, entre autres, André Hardellet pour « Le seuil du jardin », Jules Supervielle pour « L'enfant de la haute mer », Marcel Schwob pour « Le livre de Monelle », Ernst Jünger pour « Sur les falaises de marbre » et « Héliopolis ». Et tout de même André Breton pour « Nadja »...

    Mon esprit plus cartésien que poétique a vite abandonné les interprétations proches de celles du réalisme fantastique, et pourtant...Outre que la beauté des œuvres est toujours là, il se trouve que les théories scientifiques avancent aujourd'hui des thèses qui rejoignent curieusement celle des poètes d'antan : il pourrait y avoir des mondes « parallèles », les particules pourraient être en deux endroits au même moment, le chat de Schrödinger pourrait être mort et vivant à la fois, et surtout la réalité pourrait dépendre de la manière dont on l'observe...

     


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