• Secrets éventés

    C’est sur le trottoir, à quelques pas de l’entrée de Pôle Emploi, que Jean rencontra Pierre, un ami de longue date qu’il n’avait pas vu depuis un dîner chez lui, quelques mois auparavant. Cela ne pouvait pas tomber plus mal car, en cette période difficile de sa vie, il n’avait pas envie de voir qui que ce soit, surtout pas Pierre. Il subsistait entre eux un brin de compétition, au plan professionnel d’abord, ce dernier étant Directeur des ressources humaines dans une entreprise de taille moyenne florissante alors que Jean était resté simple ingénieur de production chez un équipementier de l’automobile en mauvais état ; au plan personnel ensuite, Jean ayant épousé Geneviève, une très jolie femme, suscitant un brin de jalousie de la part de son ami toujours célibataire.

    C’est donc avec un sourire de façade qu’ils se saluent, mais comme on le fait entre vieux camarades dans ces cas-là, ils vont néanmoins s’accouder au comptoir du bar voisin pour échanger quelques mots.

    Pierre entame platement sur des considérations professionnelles :

    - Alors, Jean, ça marche toujours bien dans ta boîte ? J’ai entendu dire que les ventes avaient dramatiquement chuté pendant la période Covid, j’espère que ça va se tasser, comme c’est le cas chez nous. Ça reprend et je ne trouve pas de personnel, je viens régulièrement à Pôle Emploi, mais rien à faire. Tu ne connaîtrais pas quelques soudeurs ou des chaudronniers qui auraient envie de venir chez nous ?

    Jean fronce les sourcils, et réplique d’un air ostensiblement choqué :

    - Dis donc, c’est quand même fort, tu veux débaucher mes gars, tu es gonflé ! Pourquoi je ferais ça ? Il rajoute après quelques secondes, d’un ton peu amène : Je pourrais être viré après un truc pareil…

    - Ah bon ? Je disais ça comme ça, pourtant j’avais cru comprendre qu’une charrette était en préparation et que tu risquais d’en faire partie…

    - (Jean, furieux) Comment tu sais ça toi, ces choses sont confidentielles ! Et je suis sûr que personne n’a rien dit. D’ailleurs il n’y a rien à dire, si je viens ici (il montre le portail de Pôle Emploi) c’est pour me renseigner et prendre de l’avance au cas où.

    Conscient du peu de crédibilité de sa réplique, il ajoute agressivement :

    - Il n’y a qu’à Geneviève que j’en ai touché un mot, sans plus. (L’air soupçonneux). Tu ne l’aurais pas vue par hasard depuis le dernier dîner chez moi il y a déjà un bout de temps ?

    Très gêné, Pierre hésite :

    - Euh non…Enfin si, euh, je l’ai croisée dans la rue l’autre jour, on s’est juste dit quelques mots, mais rien sur ton boulot. Sauf que oui, je lui ai dit que si tu avais des problèmes je pourrais examiner la possibilité de t’embaucher chez moi. Il fait un grand geste avec ses mains et change de sujet précipitamment. En fait je l’ai surtout félicitée pour la nouvelle gravure que j’ai découverte chez toi lors du dîner dont tu parles, et…

    Jean, livide, le coupe brutalement.

    - Tu te fiches de moi ? Cette gravure, on l’a achetée le mois dernier, tu ne peux pas la connaître. Qu’est-ce que tu faisais chez moi ?

    Pierre ne sait plus quoi dire. Il prend la posture de l’homme outragé, et bafouille :

    - Non, non, je n’étais pas chez toi, qu’est-ce que tu vas croire ! Je dois me tromper, c’est Geneviève qui m’en a parlé, c’est tout. Enfin quand même !

    Jean, bouillonnant, jette une pièce sur le comptoir pour payer son café, et avant de tourner les talons, les dents serrées, déclare à Pierre :

    - Je vais régler ça avec elle, mais je te le dis tout de suite, tu es une espèce de faux-cul, et ta gentille proposition de m’embaucher chez toi, tu peux te la mettre où je pense, je n’ai sûrement pas besoin de toi pour trouver un nouveau job, je ne fais pas ce genre de troc avec quelqu’un que je croyais être mon ami.

    Il sort en claquant la porte devant Pierre rouge de confusion.

    11 janvier 2023


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