• Réflexions sur l'écriture

    « Dans un monde qui souffre, à quoi sert-il d'écrire ? »

     Au premier abord, cette réflexion semble inappropriée, et fait penser à ce que certains disent parfois à propos de la recherche spatiale : « Il est scandaleux de dépenser autant d'argent pour envoyer des gens sur la Lune et des robots sur Mars, alors qu'il y a tellement de personnes qui meurent de faim sur Terre ». Cela revient à privilégier un seul champ d'action de l'activité humaine, en abandonnant tous les autres qui seraient tout bonnement futiles. La réduction ou l'abolition de la souffrance humaine seraient ainsi les seuls objectifs ayant quelque valeur dans un monde où tant de gens se livrent à des milliers d'activités supposées sans intérêt, dont l'écriture ferait partie. A propos d'écriture, il faut entendre littérature et poésie, car il est évident qu'écrire des documents d'autre nature, par exemple administrative (rapports, comptes-rendus, formulaires, etc), n'est pas ce qui motive la réflexion que nous avons à commenter.

    Si on partage cette volonté de rendre le monde meilleur, il apparaît clairement que la littérature fait partie des moyens qui y contribuent. Par exemple, on peut témoigner sur les personnes et les peuples en souffrance par l'intermédiaire d'histoires qui illustrent une situation et agissent sur la conscience du lecteur. La littérature engagée défend des idées au travers d'histoires particulières, comme par exemple Malraux dans « La condition humaine ». Elle est donc utile, même si l'acte d'écrire en soi ne change pas grand chose à la situation du monde. Mais faut-il considérer que la littérature doit toujours avoir une valeur utilitaire ?

    La littérature participe à la lutte contre la souffrance, mais elle a beaucoup d'autres raisons d'exister. Celui qui écrit, pourquoi le fait-il ? Il a quelque chose à dire aux autres. Il veut qu'il reste quelque chose de lui après sa mort. Il veut fixer des souvenirs. Cela donne du sens à sa vie. C'est un besoin de communiquer avec les autres, cela participe au lien social.

    La littérature est une forme d'art : ce qui est beau fait du bien, à ceux qui écrivent comme à ceux qui lisent. Le monde ne fait pas que souffrir, il y a de bons moments dans toute vie, pourquoi se focaliser sur la souffrance et pas sur le bien-être ? Bien sûr, cela pourrait être mieux, mais regardons un peu plus ce qui est beau ! La littérature qui n'est pas engagée est d'abord le fait des poètes, mais aussi de ceux qui cherchent la beauté au travers du langage, de ceux qui cherchent à écrire des histoires pour éveiller des résonances chez le lecteur et partager avec lui des sentiments et des sensations. 

    Maintenant, si on veut personnaliser un peu ce débat, il faut constater qu'il n'est pas possible de s'engager en permanence dans tous les combats. Passée la soixantaine, tout ce qu'on peut faire pour participer à la lutte contre la souffrance de l'humanité, c'est d'adhérer plus ou moins activement à quelques associations, signer des pétitions, manifester peut-être, en laissant les plus jeunes et les plus engagés militer concrètement à notre place. Dans le domaine de l'écriture, on peut aussi donner son point de vue sur des forums associatifs, nombreux sur Internet. On ne saura jamais si cela sert à quelque chose, mais au moins on aura essayé. En dehors de ce possible aspect engagé, notre écriture, il faut bien le reconnaître, sert surtout à nous faire plaisir, à voir des amis, à raconter un peu de notre vie à nos enfants et à la famille, à réfléchir à de nombreux sujets auxquels on n'accorde pas beaucoup d'intérêt quand on ne fait pas l'effort de le coucher sur le papier.

    Ce n'est pas parce que le monde souffre qu'il faut s'arrêter de vivre.

    12 janvier 2022


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment



    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :