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Perte de mémoire
Je viens de me réveiller. J'ai les yeux ouverts. Pourtant je ne vois rien. Il doit faire nuit. Ou alors je suis aveugle. Non, je ne suis pas aveugle, je le saurais. Comment ça ? Attends. D'abord, où suis-je ? Quelque chose ne va pas. Quoi ? Je me souviens de … De quoi ? Je cherche, mais rien ne vient. Ça m'est déjà arrivé quand j'étais petit, quand je me réveillais, pendant un moment je ne savais plus où j'étais. Tiens, je me souviens quand même de ça. Donc ça va passer. Mais je ne suis pas dans mon lit, ici, il y a des trucs durs dans mon dos. Je tâtonne. Des cailloux. Je suis donc dehors ? Oui, sûrement, car j'ai froid, je m'en rends compte maintenant. Je bouge un peu, mais ça me fait un mal de chien, au bras et à la tête. Je touche ma tête, il y a du liquide qui coule. Du sang ? Je ne sais pas. Je suce mon index, ça a bien le goût ferrugineux du sang. Donc je suis blessé à la tête, et aussi à mon autre bras, que je ne peux bouger sans hurler. Si je hurle, quelqu'un va peut-être venir. J'essaye. « Au secours ! ». Je recommence « Au secours ! ». Mais c'est faible,ce ne sont pas des hurlements, plutôt des râles ou des croassements. Personne ne va m'entendre. En plus, ça me fatigue. J'arrête de bouger. Il faut que je réfléchisse. Que s'est-il passé ? Je ne me souviens pas. Et avant ? Rien non plus. L'angoisse m'envahit. Je suis qui ? Je cherche, ça ne vient pas. Mon père, ma mère, à quoi ressemblent-ils ? De vagues images me traversent, des visages, des lieux. Mais je ne peux rien dire à leur sujet. Ça va revenir, c'est en n'essayant pas de se souvenir à toute force que ça revient, tout seul. J'ai quel âge ? Encore du flou. Mais je ne suis plus un enfant, mon corps me le dit. Et puis je ne raisonnerais pas ainsi. Je reste tranquille, même si l'affolement est tout près. Je récapitule vite fait. Il m'est arrivé quelque chose qui m'a blessé. Je suis dehors et il fait nuit. Je suis seul a priori. Je ne me souviens de rien, en dehors du langage et de tas de choses générales. Par exemple, je sais ce que c'est qu'une voiture, une maison, la mer, le ciel. Mais rien sur les gens. C'est comme quand on cherche le nom de quelqu'un et qu'on l'a sur le bout de la langue sans qu'il sorte. Des idées me traversent l'esprit. C'est sans doute un accident de voiture, je ne vois rien d'autre. Ou plutôt cela pourrait être bien des choses, sur lesquelles je ne peux rien dire, car je ne me souviens pas des gens qui m'entourent. Je pense aux romans policiers, où plein de gens veulent du mal au héros. Il faut que je fasse quelque chose. J'essaie de me soulever, mon bras gauche est inerte, ou plutôt je ne peux le bouger sans qu'une douleur insoutenable le traverse. Il doit être cassé. J'arrive à m'asseoir. Je halète comme pour un accouchement sans douleur, ça diminue la souffrance. Je veux me mettre debout, mais je retombe. Je ne peux pas. Le mieux c'est d'attendre qu'il fasse jour. Mais je vais crever de froid, déjà je tremble. Quelque chose me serre le cou, je le touche de mes doigts. C'est une corde. Je la desserre pour mieux respirer, elle entoure ma gorge qui, elle aussi, me fait mal. Que s'est-il donc passé ? On a voulu me pendre ? J'ai essayé de me suicider ? Ce n'est pas possible, je suis dans un thriller ou alors je suis désespéré. Non, je ne suis pas désespéré. Si c'était ça, mémoire ou pas, je le serais toujours, alors que là, j'ai vraiment envie de m'en tirer vite fait. Mais si on a voulu me pendre, « ils » ont raté leur coup, ce sont des andouilles, quand on pend quelqu'un on le laisse pas ensuite par terre sans vérifier qu'il a bien trépassé. Ah, la lune sort un peu des nuages. Je jette un coup d'oeil à droite et à gauche, mais la lueur est trop faible. Il y a bien quelque chose sur ma droite, une forme oblongue indéfinissable. Je vais aller voir ce que c'est. Je me déplace, centimètre par centimètre, je souffre, mais je ne vais pas rester là à me morfondre. J'arrive au tas, je tâte avec précaution, c'est du tissu. C'est un homme. Ou une femme ? Allongé là sans bouger. Je secoue autant que je peux. Aucune réaction. Mes doigts explorent, je touche une masse molle qui me fait penser à un sein. C'est donc une femme. Mais qu'est-ce qu'elle fout là ? Et moi, qu'est ce que je fous là ? C'est quoi cette histoire à dormir debout ? Ma main arrive au visage, je ne sens aucun souffle. Le visage est froid, mais ça ne veut rien dire. Je suis complètement paumé, je ne sais pas quoi faire. Sauf que j'ai oublié que je dois disposer d'un portable, et je fouille dans ma poche. Oui, la mémoire doit me revenir, sinon j'y aurais pensé dès mon réveil. Mais au moment de l'allumer, je n'ai aucun numéro en tête. La liste de contacts ne me dit rien. Je fais le 18.
- Caserne de pompiers de Houdan, j'écoute.Houdan ? Ce nom me dit quelque chose. Ma voix tremble quand j'éructe d'une voix faible :
- Allô ? J'ai dû avoir un accident, j'ai le bras cassé et il y a une femme morte près de moi. Venez-vite, j'ai mal.
- Calmez-vous Monsieur, dites-moi où vous êtes, on va venir vous chercher.
- Je sais pas.
- Dites-moi votre nom.
- Je sais pas.Un bref silence
- Vous allez bien ?
- Oui, oui, mais venez vite !
- Que pouvez-vous me dire sur vous ?
- Rien. Je crois...je crois que j'ai eu un accident et j'ai perdu la mémoire. Un silence un peu plus prolongé. Enfin :
- On va essayer de vous localiser avec votre portable, mais ça n'est pas précis et ça va être sans doute un peu plus long. Je reste avec vous, parlez-moi de tout ce que vous pouvez vous rappeler. L'équipe est partie, tout va aller bien.
À suivre...
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