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Pauvre Benoît !
C’est dans sa salle de classe que Julien Soubirou, professeur principal de la 3e2 du collège Mozart, reçut ce soir-là, à sa demande, les parents de Benoît. Celui-ci les accompagnait, visiblement rétif, fermé et aussi quelque peu mal à l’aise, car il savait bien qu’il allait subir une réprimande pour son attitude en classe.
Habituellement proche du radiateur au fond de la salle, Benoît suivait les cours d’un air ostensiblement détaché et provocateur. Parfois, il faisait semblant de dormir, puis de se réveiller quand une remarque lui était faite. D’autres fois au contraire il perturbait le cours en parlant fort avec ses voisins, en éclatant de rire sans raison, en faisant des remarques déplacées sur le physique des filles devant lui. Pour finir, il avait refusé tout net de se placer au premier rang comme le professeur d’anglais le lui avait ordonné, ce qui lui avait valu une première menace d’exclusion. Pourtant les cours venaient juste de commencer, il ne pouvait en aucun cas arguer de l’incompétence des enseignants ou d’une prétendue hostilité à son égard pour justifier sa manière de se comporter.
Mis au courant de tous ces incidents, Julien l’avait convoqué pour essayer de déterminer ce qui n’allait pas chez ce garçon, et tenter de le remettre sur les rails avant qu’il ne commette une bêtise impardonnable. Généreusement, il lui avait offert une citronnade avant de se hasarder dans une tentative de compréhension, mais cela avait tourné court : Benoît avait décliné l’offre, il préférait paraît-il le malt écossais des vrais hommes aux jus de fruits bons pour les mauviettes... Julien avait bien tenté une autre approche en mettant sur le tapis l’inconséquence d’une telle attitude et les répercussions sur son avenir, mais sans succès, Benoît se refermant alors dans un mutisme obstiné. L’entretien s’était donc arrêté là, et les parents avaient été convoqués pour faire le point sur les mesures à prendre afin d’essayer de tirer de ce mauvais pas leur garçon, par ailleurs visiblement intelligent.
L’entretien fut extrêmement court. Les parents, manifestement de la haute bourgeoisie, prirent d’emblée la défense de leur fils sans écouter la liste des faits qui lui étaient reprochés. Ils pensaient apparemment que les « petits profs gauchistes de ce collège minable » avaient pour objectif de les attaquer, eux, au travers de leur fils, et que « ça n’allait pas se passer comme ça » car ils avaient « des relations ». Et qu’en tout état de cause, ils allaient retirer au plus vite leur progéniture de ce lieu inadéquat, alors qu’ils avaient espéré bénéficier des bienfaits de la « mixité sociale » qui s’avérait n’être qu’un mythe.
Julien était très découragé quand il rentra chez lui, au point qu’il se servit un whisky irlandais bien tourbé, et non une citronnade, pour se remonter le moral.
1er juin 2022
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