-
Nostalgie
Il y a dans mon grenier plusieurs malles remplies d'objets anciens, qui n'ont plus d'utilité, que je n'ai pas sortis depuis des années, voire des lustres, mais que je ne jetterais pour rien au monde. Pourtant, mon entourage ne cesse de me dire de m'en débarrasser, au prétexte que « ça ne sert à rien » ou encore que « ça prend de la place ». J'acquiesce, mais je me garde bien de suivre ces injonctions. D'abord, ce sont MES objets, et c'est à moi de décider de ce que je veux en faire. Ensuite, personne ne va jamais au grenier, donc ils ne gênent personne. Et pour finir, ils ne sont pas si volumineux que ça, il y a encore de la place, au grenier.
Mais cela m'amène tout de même, à me poser des questions. La première, c'est de me demander pourquoi je ne veux pas jeter ces objets là, alors que des dizaines d'autres, tout aussi anciens, vont régulièrement enrichir la déchetterie locale.La meilleure des choses à faire pour éclaircir ce sombre questionnement, c'est d'en examiner quelques uns et de réfléchir à leur sujet.
Il y a la machine à écrire portable de mon père, une Remington 1938, avec un couvercle de bakélite noire aujourd'hui recouverte de moisissures aux endroits où ses mains, et plus tard les miennes, la touchaient. Il y a encore un ruban dessus, mais d'où l'encre a disparu depuis longtemps. Quand il a pris sa retraite, mon père ne s'en est plus guère servi, et c'est moi qui l'utilisais pour m'exercer à taper vite et avec le moins de fautes possibles. Je passais de longues heures, quand il pleuvait pendant les vacances, à pianoter comme un malade en recopiant les préfaces de mes bouquins préférés. J'en ai retrouvé des feuilles, en fouillant dans les vieilles paperasses empilées dans des dossiers, eux aussi conservés, mais avec un statut particulier : bons à jeter, mais après tri sélectif – jamais réalisé...
Il y a aussi son appareil photo, sans marque apparente, au format 6 ½ - 11, avec un soufflet qui se dépliait quand on l'ouvrait, et un tout petit objectif ; fermé, il était rangé dans un étui en cuir, moisi lui aussi, doté d'une lanière pour le transporter au poignet. Mon père y tenait beaucoup, et ne me laissait le toucher que pour prendre des photos où lui même figurait. C'est pourquoi, sur les clichés que j'ai pris quand j'avais dix ou quinze ans, il apparaît avec un visage sévère, reflétant, non une humeur acariâtre, mais la peur que je maltraite son appareil.
Une malle entière est remplie de vieux vêtements m'ayant appartenu quand j'étais militaire, entre dix et trente ans. Les plus anciens sont de vieilles vareuses de drap bleu, très mal coupées, taille enfant, dotées de boutons dorés qu'il fallait astiquer les jours d'inspection. Les plus récents sont les habits d'apparat de la Marine : pantalon à bande dorée, plastron de chemise, col amovible amidonné à coins cassés, spencer moulant maintenu fermé par une chaînette, chaussures noires vernies, pointues, très inconfortables. Et le sabre dans son étui. Tout est là depuis au moins trente ans, je ne dois plus pouvoir entrer dedans sans être ridicule ; ce sont ceux dont je me débarrasserais le plus facilement. La dernière fois que je les ai portés, c'était à l'enterrement de mon père.
En écrivant cela, je m'aperçois que ce qui relie tous ces objets, c'est la figure tutélaire de mon père. Taper à la machine comme je l'ai souvent vu faire, prendre des photos en effectuant des réglages de manière très pointilleuse, me montrer dans un uniforme qu'il avait toujours voulu pour moi, voilà ce qui me le rappelle à chaque fois que je vais dans le grenier fouiller pour je ne sais quelle raison dans des malles sentant la naphtaline, et que je referme au bout d'un certain temps, en poussant un soupir venant de loin.
-
Commentaires
Aucun commentaire pour le moment
Ajouter un commentaire