• Maison hantée

    La semaine dernière, j'ai cru voir un fantôme. Il faut que je vous raconte ce qui s'est passé, tellement l'intervention du hasard dans ma vie est contraire à mon esprit rationnel.

    Il était 23 heures, je sortais du restaurant où je venais de dîner après avoir terminé ma tournée de distribution de tracts dans les boîtes aux lettres de la banlieue d'Ajaccio, en vue des prochaines élections municipales. Oui, il faut que je vous dise, je milite pour « Corsica prima ! »[1], un mouvement indépendantiste peu connu, dont je suis le principal acteur. Au volant de mon 4 x 4, je rentrais chez moi par un raccourci caillouteux que je n'avais encore jamais pris, lorsque je passai devant une grande maison située un peu en retrait derrière un modeste jardin longeant la route. J'avançais à une allure réduite en raison des ornières, et je pus voir ainsi une silhouette faiblement éclairée, d'apparence féminine, se profiler à une fenêtre du premier étage. Elle s'agitait en tous sens, comme secouée par une présence invisible. Je m'arrêtai, me demandant si je devais faire quelque chose ou passer mon chemin. Mon intuition, dopée par mon Ajna chakra (je crois un peu à ces choses là, mais pas trop quand même), me disait de ne pas m'en mêler, alors que mon Hara chakra me travaillait aux reins pour me pousser à aller voir de plus près à quoi ressemblait cette femme mystérieuse aux formes suggestives.

    Je descendis de la voiture, laissant les phares allumés, et j'ouvris le portillon du jardin. À ce moment, une forme allongée traversa rapidement le faisceau lumineux, émettant un cri déchirant de chat en rut qui me fit sursauter. Je crus reconnaître un chat-renard, car nous en avions parlé la veille avec mon ami Desideru, garde de l'ONF d'Ajaccio et accessoirement membre de « Corsica prima ! ». Il m'avait montré des photos et une vieille carte postale oblitérée de ce gros chat à la queue touffue de renard qu'on ne trouvait que dans la région. Cette apparition inattendue avait fait battre la chamade à mon cœur, et j'hésitais à entrer dans le jardin ; bien sûr je n'avais pas peur, mais qu'allais-je donc faire dans cette galère ? La femme à la fenêtre avait disparu, il restait juste une lueur blafarde à l'intérieur de la pièce. Je m'apprêtais à faire demi-tour, lorsqu'un sanglot plaintif, une sorte lamentation triste se fit entendre, et je vis la porte d'entrée s'ouvrir en grinçant.

    Une forme indistincte à peine visible en sortit lentement. Tout compte fait, malgré mes airs de matamore, je n'en menais pas large, et je fis demi-tour pour m'enfuir. Dans ma précipitation, je ne trouvai pas la poignée de la portière, et j'étais en train de tâtonner quand une main légère mais glaciale se posa sur ma nuque. Pris de panique, je me dégageai brutalement en haletant et je saisis ce qui me touchait. C'était la main d'une jeune femme en pyjama qui poussa un cri tout en reculant, les yeux pleins de terreur, la paume sur la bouche.

    Devant cette vision, ma peur s'évanouit : ce que j'avais pris, contre toute rationalité, pour un fantôme, se révélait être une apparition adorable, et je me transformai instantanément en sauveur d'une Belle au Bois Dormant en détresse. Car elle était somnambule et faisait des rêves épouvantables, ce qu'elle me confia ensuite dans la bibliothèque, lorsque, après l'avoir rassurée, je l'eus reconduite à l'intérieur de la maison où elle ouvrit une bouteille de cognac hors d'âge pour nous remettre de nos émotions.

    Je rentrai très tard chez moi cette nuit là, et depuis je ne manque pas de faire un détour par cette route défoncée après la distribution de mes tracts, pour tenter de la convaincre d'adhérer à « Corsica prima ! ». Je ne cherche pas à être très persuasif, ce qui me permet de revenir souvent...

     

    [1]« La Corse d'abord ! »

    2 mars 2022

     


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