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La clef
Norbert se hâtait vers la gare de Houdan, il était en retard et allongeait le pas, lorsque le bout de sa chaussure heurta un petit objet qui émit un bruit métallique. Il baissa les yeux et s'apprêtait à shooter dans ce qu'il prenait pour un morceau de ferraille, lorsqu'il s'aperçut que c'était une clé. Il n'avait pas le temps de s'attarder, il la ramassa néanmoins et la mit dans sa poche. Le train arrivait, il courut pour parcourir les derniers mètres et composter son billet.
Un peu essoufflé, il s'écroula à sa place habituelle et reprit sa respiration. Il y avait peu de monde en ce bout de ligne, aussi posa t-il sa serviette à côté de lui et sortit la clé de sa poche pour l'examiner. C'était une clé tubulaire, courte, dotée d'un anneau en métal recouvert de plastique sur lequel était inscrit un numéro : 318. Elle n'était attachée à aucun porte-clés.
S'il avait eu le temps, il l'aurait apportée à la gendarmerie. En fait non, cela aurait été interminable, avec une déclaration à signer et sans doute encore d'autres paperasses. Il l'aurait laissée au guichet de la gare, c'est d'ailleurs là que le propriétaire se serait certainement d'abord adressé. Il le ferait ce soir en rentrant, là il ne serait plus pressé.
Il s'apprêtait à la remiser dans sa poche, lorsqu'il s'aperçut qu'il avait déjà vu ce type de clé, peu courant. Mais où ? Il la regarda sous tous les angles, et au bout d'un moment cela lui revint : c'était une clé de casier de consigne, comme il y en a dans les gares. Il passa le reste du trajet à réfléchir à ce qu'il allait faire. Rapporter la clé au guichet, et s'en désintéresser ? C'était la voie la plus logique, la plus honnête, mais peu à peu il sentit la curiosité l'envahir : que pouvait-il bien y avoir dans ce casier ? Au lieu de lire les dossiers de son attaché-case comme il en avait eu l'intention, il laissa son imagination vagabonder autour du mystère du contenu du casier. Une valise pleine de documents secrets ? Des paquets de drogue ? Une bombe artisanale ? Des objets volés ? Une simple valise pleine de choses ordinaires lui apparaissait tellement sans intérêt qu'il l'évacua rapidement.
Arrivé à la gare Montparnasse, son esprit dévoré de curiosité était à tel point surexcité qu'il ne se posa même pas la question de savoir si ce qu'il allait faire était répréhensible. Il se dirigea directement vers le hall 3 où se situait la consigne et chercha le casier 318. Il ne s'était pas demandé si c'était la bonne gare, mais quand il trouva le casier, cela lui lui parut tout naturel. Malgré tout, juste avant de glisser la tige dans la serrure, il eut un bref retour éthique qui le fit hésiter quelques microsecondes, pas plus, puis il tourna la clé.
Le compartiment recelait une grosse valise, et une pochette d'agence de voyage. Sa première réaction fut la déception : aucune panoplie d'agent secret ni rien de compromettant, du moins à première vue. Il jeta un regard circulaire autour de lui, mais personne ne s'intéressait à ce qu'il pouvait bien faire. Il fallait qu'il sache. Il sortit la valise, une Samsonite bien solide qui était verrouillée. Il ne saurait jamais ce qu'il y avait dedans. Il la remit en place et s'intéressa à la pochette. Elle contenait une brochure Frantour de séjours de vacances en Tunisie, et, enfin quelque chose d'intéressant, deux billets d'avion Paris-Djerba, avec les noms d'un homme et d'une femme. Une facture pour un séjour d'une semaine complétait le contenu de la pochette, au nom de Florent Mauvoisin 13 rue des Mèches à Houdan.
Bingo ! se dit-il, souriant intérieurement. C'est sûrement l'histoire classique du type qui trompe sa femme et emmène sa maîtresse une semaine en Tunisie sous un prétexte quelconque. Si c'était autre chose, pourquoi cacher ces billets et cette valise dans une consigne ?
Sa curiosité à demi satisfaite, il remisa cette pensée dans un coin de son cerveau, et rallia son bureau par le métro. Il n'y pensa plus de la journée. Elle ressurgit le soir quand il reprit le train en fin d'après-midi. Qu'allait-il faire ? Plusieurs possibilités s'offraient à lui : déposer la clé au guichet comme s'il ne savait rien et s'en désintéresser ? Non, il était encore curieux et aurait bien aimé savoir de quoi ce couple ou ce trio avait l'air. Il avait l'adresse de ce Mauvoisin, pourquoi ne pas aller y faire un tour ? Il pouvait décider au dernier moment s'il mettrait la clé dans la boîte aux lettres, ou s'il aurait le courage de sonner. Que risquait-il ? Personne ne savait qu'il avait fouillé la consigne, il pouvait même se donner le beau rôle en rapportant un objet perdu. Peut-être même l'inviterait-on à boire un coup...
La rue était étroite et vide, bordée de maisons mitoyennes sans style. Le numéro 13 ne se distinguait pas des autres. Il sonna sans vérifier le nom. Quelqu'un approcha, un bruit de talons féminins qui soudain fit prendre conscience à Norbert d'une grave erreur dans son raisonnement : il avait toujours supposé que ce serait Florent Mauvoisin qui ouvrirait la porte. Il n'eut pas le temps de faire demi-tour qu'il se trouva en présence d'une belle femme d'une trentaine d'années, petite, cheveux bruns mi-longs tombant sur ses épaules, visage ovale aux yeux verts, vêtue classiquement d'une jupe beige et d'un chemisier à fleurs. Elle avait l'air fatiguée, les traits tirés. Norbert se sentit l'air bête avec sa clé à la main, son esprit travaillant à toute vitesse pour trouver un prétexte plausible à sa présence. Si son idée était exacte, et il pensait qu'elle l'était, il ne pouvait donner la clé qu'à Florent Mauvoisin, pas à sa femme ! Il était curieux, certes, mais pas au point de semer le trouble dans un ménage, après tout, cela ne le regardait pas.
Elle baissa les yeux et son visage marqua un grand étonnement, puis s'éclaira :
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Ah ! Comment est-ce possible ? Vous avez trouvé la clé ?
Elle se tourna à demi et appela :
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Florent, viens vite voir, on a retrouvé la clé de la consigne ! Plus la peine de téléphoner, on a encore le temps, dépêche toi ! Faut y aller tout de suite !
Elle revint vers Norbert, avec un sourire radieux :
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Vous n'imaginez pas le souci qu'on s'est fait, on devait partir ce soir pour la Tunisie et on avait perdu la clé de la consigne où on a mis hier nos affaires pour ne pas être encombrés au départ. Notre avion part dans un peu plus de deux heures, on peut encore l'avoir. Vous êtes un vrai sauveur !
Elle lui arracha presque la clé et ajouta, maintenant pressée :
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Je suis désolée, on va y aller. Je vous remercie beaucoup, passez-nous un coup de fil à notre retour, on est dans l'annuaire, vous nous raconterez tout ça.
Elle le mit quasiment à la porte, il se retrouva dans la rue sans avoir dit un mot. Avant de faire demi-tour pour rentrer chez lui, il les entendit qui riaient dans un grand chahut. Sur la boîte il y avait les deux noms des billets d'avion, il aurait pu regarder avant de sonner... Quand il se retrouva dans l'avenue de la gare, il les vit qui sortaient en courant, se dirigeant vers la gare où le train pour Paris approchait.
Il était déçu. La réalité n'était jamais celle qu'il imaginait. Ou alors c'est son imagination qui ne dépassait pas le vaudeville. C'était à en pleurer.
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