• La banquise en Eure et Loir

    L'hiver, lorsque les flocons se mettent à tomber, le plateau qui surplombe la rivière devient un lieu magique. Les champs labourés, recouverts d'une épaisse couche de neige, se transforment jusqu'à l'horizon en une immensité blanche d'où rien n'émerge. On se croirait sur la banquise, et, pour peu que le vent souffle, sur une banquise en pleine tempête, d'où personne ne peut s'échapper s'il n'appartient pas au peuple du nord, celui qui sait comment survivre. La neige se met à voler, s'accumule en petits tas réguliers, couvre les habits d'une couche gelée. On oublie où on est, on s'imagine eskimo, on se met à penser qu'il faudrait vite construire un igloo, ou planter une tente sous laquelle se faufiler pour se protéger, sous peine de se transformer en statue de glace.

    D'autres fois, au lieu du vent, c'est un calme intense qui s'abat, qui attire la brume. On ne sait plus où on est, tout devient gris, uniforme, et le silence est celui de l'attente, celui de la peur qui nous saisit de manière insidieuse au fil de la marche. On pourrait être n'importe où, dans un lieu mythique et inhospitalier où règnent les terrifiants dieux nordiques. A tout moment, un être monstrueux peut surgir de ce néant blanc pour nous engloutir, en un instant, sans un bruit. On frissonne à cette évocation, et pour conjurer cette pensée, on se met à taper dans ses mains, à siffloter, et même à appeler pour se rassurer, jusqu'à ce qu'on se dise qu'au contraire, les choses qui rôdent vont nous entendre et sauront où nous trouver. On songe alors à se coucher par terre, à se faire tout petit, le plus petit possible, à s'enfouir dans la neige comme un lièvre dans son terrier.

    Et puis, tout de même, on finit par se dire qu'on est au 21ème siècle, que les mythes sont révolus, que la peur du brouillard est comme la peur du noir, sans objet, qu'on est en Eure et Loir et pas au pôle nord sur une banquise couverte d'ours blancs. On rentre chez soi sans se perdre, et le ronflement rassurant du feu dans la cheminée fait contrepoids à la neige, au vent et au brouillard, à la terre gelée, rendant ainsi réellement perceptibles toutes ces choses habituellement si banales.


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment



    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :