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Chaumières sur une colline
Je suis journaliste à « L’Est Républicain », chargé de la rubrique culturelle. Cela me va bien, j’ai des goûts éclectiques et une bonne culture générale, obtenue grâce à des études prolongées à l’université, d’abord en « Lettres modernes » pendant deux ans, puis en « Cinéma américain » jusqu’en licence. J’ai changé d’option car les cours de lettres me semblaient trop couper les cheveux en quatre alors que le cursus de cinéma incluait des travaux pratiques et des stages sur des films en cours de réalisation.
Cependant, je vous avoue que, dans le domaine artistique, la peinture n’est pas ma tasse de thé. J’ai souvent arpenté le Louvre, mais plutôt dans la section archéologie que dans la section peinture. Je préfère nettement une bonne photographie à un tableau mal fichu, et j’ai toujours eu beaucoup de mal à comprendre comment des milliardaires pouvaient dépenser des sommes folles pour acquérir des croûtes dignes de peinturlurages d’enfants.
Aussi ai-je fait la grimace lorsque mon rédacteur en chef m’a fait remarquer que mes articles portaient rarement, pour ne pas dire jamais, sur les événements locaux en matière de peinture, et m’a demandé (en fait enjoint) d’écrire une page complète sur l’exposition Van Gogh qui ouvrait le lendemain à Strasbourg. J’y suis donc allé, mais en traînant les pieds. Qu’allais-je pouvoir bien dire sur Van Gogh, à part reproduire des éléments factuels sur chaque tableau, piochés sur Internet ?
J’avais pris rendez-vous le surlendemain à seize heures avec l’adjoint au maire chargé de la culture, pour une interview qui me remplirait bien une colonne. Auparavant, il fallait tout de même que j’aille faire un tour à l’exposition, histoire de répertorier les tableaux et de ne pas avoir l’air trop inculte. A 14 heures, j’étais donc dans la salle, déambulant d’un tableau à l’autre et d’un agent de sécurité à l’autre, lisant les notices, écoutant ce qu’on m’en disait dans les oreillettes distribuées à l’entrée. Je prenais aussi des notes, car je suis malgré tout quelqu’un de consciencieux, mais je m’ennuyais copieusement.
Il me vint alors une idée. Je décidai de choisir un tableau au hasard, de bien le regarder et d’en faire ensuite une description élogieuse prouvant que c’était le meilleur tableau de l’exposition, qu’enfin je le redécouvrais, et que bla bla bla. Pour être sûr que ce serait au hasard, je sortis ma carte d’électeur et je pris le premier chiffre du numéro d’identification, c’était un 8. Je me rendis dans la salle où figurait l’œuvre numéro 8 :
« Van Gogh 1890, chaumières sur une colline »
Je fis la grimace. Cela allait être dur…Il y avait du jaune pour les champs de blé, du vert là où se trouvaient ce qui semblait être de l’herbe ou des buissons, du gris pour les toits de chaume sans doute vieux. Juste une tache de bleu sur une façade, tranchant avec le reste. De plus, toutes les maisons étaient dans un creux, on cherchait en vain la colline…Je ne pus m’empêcher de penser que le génial artiste ne s’était pas beaucoup fatigué.
Mais à l’hôtel ce soir je vais peaufiner un article dithyrambique, vous pourrez le lire demain si toutefois vous achetez mon excellent journal ! Ça commencera par :
« On n'en finit pas de découvrir le génial Van Gogh ! Chacune de ses toiles est une pure merveille, et... »
6 avril 2022
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