• Tentative de fable à la manière de La Fontaine

     

    Un mouton paissait dans un pré,

    Broutant comme ses congénères

    Une herbe rare mais de bon goût.

    Un écureuil vint à passer, qui lui tint ce langage :

    « Que fais-tu là, stupide animal  ?

    Vois, dans le champ d'à côté,

    L'herbe est plus grasse, et bien plus verte,

    En quelques bouchées ta panse remplirais »

    Levant la tête, d'un bêlement le mouton approuva.

    L'écureuil, dans le taillis, le chemin lui montra

    Puis ricanant il s'en alla.

    Le mouton s'en moqua, bombance l'attendait.

    Quelle ne fut donc sa confusion

    Quand il se mit à son repas :

    Ce n'était là herbe mangeable !

    D'un beau vert elle luisait, mais...

    De plastique elle consistait !

    Dans son pré il voulut retourner

    Mais sans son guide jamais chemin ne put retrouver.

     

    Vous autres humains, n'imitez pas cet ovidé !

    Jouissez de ce que vous avez,

    Réfléchissez avant de vous aventurer !

    Des apparences il faut se méfier,

    Des beaux parleurs se détourner,

    Et ses neurones utiliser !

     

     


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    Je suis arrivé sur la place maintenant goudronnée, et je me suis garé devant l'église, juste en face de la maison. Il faisait beau, mais il n'y avait personne dehors. Les vieux arbres biscornus dans lesquels on montait pour jouer avaient disparu, ainsi que le mur écroulé de pierres sèches remplacé par une paroi de béton. Sur le tas de cailloux, j'avais photographié les trois filles, ainsi que Gustave bombant le torse sur sa Vespa, un après-midi ensoleillé de 1957. Cet été là, c'est Claudette qui occupait mes pensées, et l'année suivante ce fut Denise. Jamais Françoise. Mais il ne s'était rien passé, nous étions trop jeunes, trop timides, et j'étais là trop peu souvent. Je me souviens juste de nos jeux de cache-cache, je me blottissais à côté de Denise derrière le tas de bois, nous nous serrions l'un contre l'autre et cela me procurait des sensations.

    Je suis descendu, j'ai fait le tour de la place. J'ai regardé le nom sur les sonnettes, je n'en reconnaissais aucun. En bas, l'ancienne école était fermée. La peinture des volets était écaillée, la façade miteuse, les mauvaises herbes remplissaient la cour, tout était à l'abandon ; elle devait avoir déménagé. Sur le côté de l'église, le terrain vague où poussait du chanvre sauvage que nous fumions en cachette (enfin, une fois ou deux, on avait toussé comme des malades), avait été remplacé par une vaste pelouse parsemée d'arbres. Il n'y avait plus le tas de fumier au fond de la place, devant la ferme qui visiblement n'était plus une ferme.

    Je suis entré dans l'église, elle aussi en mauvais état. Mais à l'intérieur, rien n'avait changé : les bancs bien astiqués, l'orgue surplombant la nef, les stations du chemin de croix, l'autel au loin, maintenant inversé. Je me suis assis, ma main a caressé le bois patiné, j'ai mis les pieds sur la planche où on s'agenouillait, je me rappelais les sensations que j'éprouvais autrefois dans cet endroit. Les chants grégoriens emplissaient l'espace, et tout à coup leurs paroles en latin me sont revenues, depuis l'asperges me jusqu'à l'ite missa est en passant par le credo, le gloria et le kyrie.

    Je me suis demandé en sortant si j'oserais aller sonner à la porte de ma maison. Je ne l'ai pas fait, j'ai eu peur. De quoi, je ne sais pas, peut-être de me trouver dans l'impossibilité de parler. Au lieu de cela, j'ai pris le sentier qui, passant devant l'école, mène au cimetière à travers des vergers. L'atelier de menuiserie n'existait plus non plus. Le cimetière était plus grand, surtout l'enclos des protestants, il y avait eu des décès en trente ans. J'ai eu honte devant la tombe de mes parents, pas entretenue puisque je ne viens jamais. J'ai arraché quelques mauvaises herbes, redressé la croix et les ex voto de marbre. J'avais beau me dire que leurs corps n'étaient plus que des amas d'atomes pourrissants qui n'étaient pas eux, je me sentais coupable du péché d'indifférence.

    Pourquoi cette visite me mettait-elle ainsi dans cet état d'esprit, plus amer que nostalgique ? Je n'avais pourtant pas passé là mon enfance ni mon adolescence, juste les grandes vacances. Je m'ennuyais, je passais mon temps à lire des romans d'anticipation, au moins un par jour, tous plus mauvais les uns que les autres, mais je ne m'en rendais pas compte. Ma mère et mon père me donnaient des occupations que je recevais comme des corvées, telles qu'aller faucher de l'herbe pour les lapins, arracher les pommes de terre, faire les courses à la boulangerie ou à la Coop avec les tickets de ristourne collés sur des feuilles. Une fois il m'a obligé à tuer un lapin pour le déjeuner de midi, il fallait que j'apprenne. J'ai pris par les oreilles la bête qui couinait, puis par les pattes arrière, et je lui ai asséné avec une bûche plusieurs coups derrière la tête, pendant que mon père se moquait de moi en me disant que je m'y prenais comme un manche. C'était horrible, et pour une fois je me suis rebellé. J'ai flanqué le lapin mort par terre et je lui ai dit que c'était la dernière fois que je faisais une chose pareille. Il ne me l'a jamais plus demandé.

    Quand je suis parti, le ciel s'était couvert. J'ai essuyé mes lunettes avant de reprendre le volant. Je crois que je ne reviendrai plus. Je ne sais même pas pourquoi je me trouvais là.

     


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    L'été, depuis des années, j'avais l'habitude de m'évader seul, pendant une semaine, dans un endroit de France, jamais le même. Cette année là, ce fut dans le Sud-Ouest, entre Castres et Albi, un lieu d'accueil campagnard trouvé grâce une petite annonce dans Libération, que j'avais mal interprétée. Certes, je cherchais quelque chose de différent, surtout pas un hôtel, ni un club, et encore moins un gîte, mais je ne m'attendais pas à aboutir dans un petit groupe où c'étaient les personnes qui étaient différentes. Il y avait là Marie-Hélène et Jean-Claude, travailleurs dans un Centre d'Aide par le Travail, Zjelko, psychotique, persuadé de pouvoir tuer des gens rien qu'en y pensant, Isabelle, une dame avec Yorkshire, poudrée et à perruque, d'un âge certain, qui n'arrêtait pas de râler et d'essayer de tripoter les autres, Jacques, un moulin à paroles le plus souvent incompréhensible, Gilles qui, au contraire, ne disait jamais rien, ne faisait rien et avait du mal à comprendre ce qu'on lui disait, Martine, une femme naine avec son fils Sylvain, 4 ans. Et puis il y avait Cathy, une jeune femme de 25 ans, chargée d'organiser les activités et les sorties dans la région, et Emilie, une hollandaise vivant seule à Albi avec ses deux enfants, qui faisait la cuisine et participait aux sorties, un « job » d'été pour arrondir des fins de mois difficiles. Je ne pouvais rêver mieux en matière de dépaysement, même si cela était fort différent de ce à quoi je m'attendais.

    Vers 17h, Cathy était venue me chercher en 2CV à la gare d'Albi. Nous avons peu parlé pendant le trajet, la pluie battante martelait bruyamment la toile. Pendant tout le séjour, elle est restée distante vis à vis de tout le monde, j'avais l'impression qu'elle faisait simplement son travail, sans plus, et rentrait chez elle le soir. Dès mon entrée dans la salle de séjour il m'a fallu intervenir : le toit n'était pas étanche, une bassine était posée au milieu de la table pour recueillir l'eau gouttant du plafond, cela ne semblait gêner personne, sauf moi. J'ai mis mon K-Way et je suis monté sur le toit. Il y avait de la mousse partout, une tuile était cassée, que j'ai changée contre une autre au-dessus de la gouttière. J'étais trempé en rentrant, j'ai pris une douche et j'ai apprécié le potage qu'Emilie avait mis au menu du soir.

    L'organisation des journées était réglée de la façon suivante : chacun vaquait à ses occupations le matin, et après le déjeuner une sortie ou une activité était programmée pour les volontaires. Je faisais, après le petit déjeuner, un footing dans les chemins vallonnés des environs, puis j'allais me promener avec mon cahier et, à l'ombre d'un arbre ou d'une grange, j'écrivais des choses dedans. A midi j'aidais Emilie à faire le repas, ce qu'elle appréciait beaucoup, et qui nous a rapprochés au point qu'elle m'a raconté sa triste histoire que je ne retracerai pas ici. J'allais aussi à toutes les sorties. C'est ainsi que j'ai visité le Caroux, petit massif montagneux extrêmement pittoresque, marché sur un fragment du chemin de Compostelle, et découvert deux ou trois autres lieux dont je ne me souviens plus. Le soir, comme il n'y avait pas de télévision, nous faisions des parties de scrabble ou de cartes avant d'aller nous coucher.

    Au chapitre des événements remarquables, trois souvenirs me sont restés. Le premier est désagréable : le troisième jour, j'ai été pris d'une rage de dents féroce, qui a obligé Cathy à m'emmener à Castres où nous avons écumé les dentistes qui n'étaient pas en vacances avant d'en trouver un qui m'a soulagé pour le reste du séjour.

    Le second est à la fois écologique et plutôt comique : un après-midi, nous avons fait du pain comme au bon vieux temps, au feu de bois. Il y avait dans une remise de la ferme un four en briques, dans lequel nous avons mis un paquet de branches et de bûches que nous avons allumé. Pendant que cela chauffait, nous avons confectionné la pâte à pain dans un vieux pétrin de bois qui dormait à côté du four, avant de la découper en miches et en pains allongés que nous avons fait cuire. Voilà pour la partie écologique. Quant à l'élément comique... Pendant que je pétrissais la pâte collante à pleines mains, Isabelle s'est approchée de moi par derrière et s'est collée à mon dos, vantant la fermeté de mes muscles et de bien d'autres choses, et je n'ai pu m'en débarrasser qu'en appelant Emilie à l'aide...Le pain n'a pas pour autant été totalement raté, et j'ai rapporté chez moi une grosse miche que nous n'avons pu consommer entièrement (il y avait quand même un côté un peu carbonisé, et l'autre pas assez cuit...).

    Le troisième est plus difficile à relater. L'avant veille de mon départ, Emilie m'a dit qu'elle avait mis ses enfants chez les voisins et qu'elle dormirait dans un sac de couchage dans la salle de sports. Naïvement, je lui ai demandé pourquoi. Elle m'a lancé un regard qui n'avait pas besoin de paroles pour être traduit. Elle me demandait quelque chose que je ne voulais ou ne devais pas lui donner, et j'ai passé une mauvaise nuit à résister à mes pensées, seul dans ma chambre. Elle était triste le lendemain matin, j'ai bien vu qu'elle avait pleuré, et d'une certaine façon, je me sentais coupable.

    C'est elle qui m'a raccompagné à la gare le dernier jour, en compagnie de Jacques qui ne cessait de jacasser. J'ai dû lui demander de descendre de la 2CV afin que je puisse parler encore quelques instants avec Emilie.

    Et puis je suis monté dans le train et tout cela n'est plus maintenant qu'un souvenir ancien, fragment d'un passé inattendu et pour cela encore plus précieux..

     


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