• Un été 89

     

    L'été, depuis des années, j'avais l'habitude de m'évader seul, pendant une semaine, dans un endroit de France, jamais le même. Cette année là, ce fut dans le Sud-Ouest, entre Castres et Albi, un lieu d'accueil campagnard trouvé grâce une petite annonce dans Libération, que j'avais mal interprétée. Certes, je cherchais quelque chose de différent, surtout pas un hôtel, ni un club, et encore moins un gîte, mais je ne m'attendais pas à aboutir dans un petit groupe où c'étaient les personnes qui étaient différentes. Il y avait là Marie-Hélène et Jean-Claude, travailleurs dans un Centre d'Aide par le Travail, Zjelko, psychotique, persuadé de pouvoir tuer des gens rien qu'en y pensant, Isabelle, une dame avec Yorkshire, poudrée et à perruque, d'un âge certain, qui n'arrêtait pas de râler et d'essayer de tripoter les autres, Jacques, un moulin à paroles le plus souvent incompréhensible, Gilles qui, au contraire, ne disait jamais rien, ne faisait rien et avait du mal à comprendre ce qu'on lui disait, Martine, une femme naine avec son fils Sylvain, 4 ans. Et puis il y avait Cathy, une jeune femme de 25 ans, chargée d'organiser les activités et les sorties dans la région, et Emilie, une hollandaise vivant seule à Albi avec ses deux enfants, qui faisait la cuisine et participait aux sorties, un « job » d'été pour arrondir des fins de mois difficiles. Je ne pouvais rêver mieux en matière de dépaysement, même si cela était fort différent de ce à quoi je m'attendais.

    Vers 17h, Cathy était venue me chercher en 2CV à la gare d'Albi. Nous avons peu parlé pendant le trajet, la pluie battante martelait bruyamment la toile. Pendant tout le séjour, elle est restée distante vis à vis de tout le monde, j'avais l'impression qu'elle faisait simplement son travail, sans plus, et rentrait chez elle le soir. Dès mon entrée dans la salle de séjour il m'a fallu intervenir : le toit n'était pas étanche, une bassine était posée au milieu de la table pour recueillir l'eau gouttant du plafond, cela ne semblait gêner personne, sauf moi. J'ai mis mon K-Way et je suis monté sur le toit. Il y avait de la mousse partout, une tuile était cassée, que j'ai changée contre une autre au-dessus de la gouttière. J'étais trempé en rentrant, j'ai pris une douche et j'ai apprécié le potage qu'Emilie avait mis au menu du soir.

    L'organisation des journées était réglée de la façon suivante : chacun vaquait à ses occupations le matin, et après le déjeuner une sortie ou une activité était programmée pour les volontaires. Je faisais, après le petit déjeuner, un footing dans les chemins vallonnés des environs, puis j'allais me promener avec mon cahier et, à l'ombre d'un arbre ou d'une grange, j'écrivais des choses dedans. A midi j'aidais Emilie à faire le repas, ce qu'elle appréciait beaucoup, et qui nous a rapprochés au point qu'elle m'a raconté sa triste histoire que je ne retracerai pas ici. J'allais aussi à toutes les sorties. C'est ainsi que j'ai visité le Caroux, petit massif montagneux extrêmement pittoresque, marché sur un fragment du chemin de Compostelle, et découvert deux ou trois autres lieux dont je ne me souviens plus. Le soir, comme il n'y avait pas de télévision, nous faisions des parties de scrabble ou de cartes avant d'aller nous coucher.

    Au chapitre des événements remarquables, trois souvenirs me sont restés. Le premier est désagréable : le troisième jour, j'ai été pris d'une rage de dents féroce, qui a obligé Cathy à m'emmener à Castres où nous avons écumé les dentistes qui n'étaient pas en vacances avant d'en trouver un qui m'a soulagé pour le reste du séjour.

    Le second est à la fois écologique et plutôt comique : un après-midi, nous avons fait du pain comme au bon vieux temps, au feu de bois. Il y avait dans une remise de la ferme un four en briques, dans lequel nous avons mis un paquet de branches et de bûches que nous avons allumé. Pendant que cela chauffait, nous avons confectionné la pâte à pain dans un vieux pétrin de bois qui dormait à côté du four, avant de la découper en miches et en pains allongés que nous avons fait cuire. Voilà pour la partie écologique. Quant à l'élément comique... Pendant que je pétrissais la pâte collante à pleines mains, Isabelle s'est approchée de moi par derrière et s'est collée à mon dos, vantant la fermeté de mes muscles et de bien d'autres choses, et je n'ai pu m'en débarrasser qu'en appelant Emilie à l'aide...Le pain n'a pas pour autant été totalement raté, et j'ai rapporté chez moi une grosse miche que nous n'avons pu consommer entièrement (il y avait quand même un côté un peu carbonisé, et l'autre pas assez cuit...).

    Le troisième est plus difficile à relater. L'avant veille de mon départ, Emilie m'a dit qu'elle avait mis ses enfants chez les voisins et qu'elle dormirait dans un sac de couchage dans la salle de sports. Naïvement, je lui ai demandé pourquoi. Elle m'a lancé un regard qui n'avait pas besoin de paroles pour être traduit. Elle me demandait quelque chose que je ne voulais ou ne devais pas lui donner, et j'ai passé une mauvaise nuit à résister à mes pensées, seul dans ma chambre. Elle était triste le lendemain matin, j'ai bien vu qu'elle avait pleuré, et d'une certaine façon, je me sentais coupable.

    C'est elle qui m'a raccompagné à la gare le dernier jour, en compagnie de Jacques qui ne cessait de jacasser. J'ai dû lui demander de descendre de la 2CV afin que je puisse parler encore quelques instants avec Emilie.

    Et puis je suis monté dans le train et tout cela n'est plus maintenant qu'un souvenir ancien, fragment d'un passé inattendu et pour cela encore plus précieux..

     


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment



    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :