• Symbolique du souvenir

    Le hasard et la vie

    Quand j'avais dix ans, j'ai passé un concours pour entrer dans une école militaire prestigieuse. Mon père, ancien gendarme, y tenait beaucoup, moi pas plus que cela. L'ai-je fait exprès ou est-ce par étourderie, toujours est-il que j'ai raté l'épreuve de maths, alors qu'en classe je caracolais en tête : j'ai mis 12 heures dans une journée, et 24 mois dans l'année. Je n'ai pas été reçu. Bien que ce soit très ancien, je me souviens bien encore de la déception de mon père, de sa colère qui n'a pas faibli plusieurs jours durant, du problème qu'il a fait et refait je ne sais combien de fois avant d'accepter que j'aille ailleurs continuer mes études.

    Le hasard a fait que, sept ans plus tard, mon bac en poche, je me suis retrouvé dans cette même prestigieuse école, à préparer des concours non moins prestigieux. A la fin de la première année, la moitié de la classe seulement était autorisée à passer en seconde année. J'étais 23ème sur 45, donc soit j'étais le dernier admis, soit le premier recalé. Le professeur principal m'a convoqué, voulant juger de ma motivation. J'avais un rhume et de la fièvre ce jour là, et je n'ai pas compris immédiatement l'importance de l'enjeu, j'ai joué au garçon blasé. Mal m'en a pris car, bien sûr, j'ai été recalé, et ma vie a bifurqué ce jour-là. Mon père n'était plus là, il aurait sans doute été encore déçu, même si j'ai embrassé alors une carrière militaire qui n'était pas ce que j'aurais préféré, mais qui lui aurait fait plaisir...

    Quelque temps plus tard, j'ai rencontré celle qui devait devenir ma femme. Encore un hasard ! En effet, invité le même jour aux noces de deux amis, j'ai choisi d'aller au plus près de mon domicile, elle y était aussi. Je ne l'aurais jamais connue autrement, et mes enfants aujourd'hui n'auraient pas la même tête ni le même caractère. Peut-être même n'en aurais-je pas eu. Quoi qu'il en soit, j'aurais certainement vécu une vie totalement différente.

    Le hasard conduit nos vies. Nous ne décidons jamais rien, si ce n'est de choisir entre plusieurs événements apparaissant au hasard. Et parfois, dans les instants les plus cruciaux, ces choix qui n'en sont pas s'imposent à nous sans qu'on puisse rien y faire.



    Un autre monde

    Quand j'étais adolescent, et même encore pendant quelques années, j'étais fasciné par le fantastique, que ce soit en littérature ou au cinéma. Non pas celui qui parlait de monstres abominables, de créatures odieuses ou de fantômes malfaisants, mais celui que révélait le surréalisme, fait de petites touches, de récits décalés, de rapprochements subtils, qui donnaient une atmosphère très particulière aux histoires racontées. J'avais le sentiment qu'un monde différent se cachait derrière la réalité triviale, n'attendant qu'un petit coup de pouce pour se révéler au grand jour et s'y substituer. C'était le monde du rêve qui n'attendait que le moment propice pour envahir le réel.

    Je me souviens d'un passage de « L'éclipse » d'Antonioni, dans lequel un personnage erre dans une ville déserte un dimanche après-midi. Il règne un silence oppressant, mais parfois un souffle de vent fait bruire les arbres d'une avenue. On sent presque physiquement présence d'une anomalie, l'atmosphère devient étrange, quelque chose est là, sur le point de faire irruption, au bord du basculement, mais on ne sait pas quoi. Et puis la vie reprend son cours.

    C'est aussi l'atmosphère au goût de fin du monde qui envahit le paysage lorsqu'une éclipse de lune ou de soleil se produit : le silence se fait, l'air s'obscurcit, une sensation de froid vous envahit comme une peur diffuse, on se demande si tout ne va pas s'arrêter soudain, ou si quelque chose d'anormal ne va pas survenir.

    Aujourd'hui, quand je contemple la pleine lune au milieu de la nuit ou quand je me promène seul sur les chemins, si le silence est profond ou si une petite bourrasque fait bruire les arbres, instantanément me revient cette sensation ancienne au parfum inimitable, et je me demande alors si la réalité est aussi solide qu'on veut bien le dire.



    Religion

    Ma mère était très croyante. J'ai donc suivi le catéchisme. J'allais à la messe le dimanche. J'ai été baptisé, confirmé, j'ai fait ma communion. Je me confessais régulièrement. J'ai même été enfant de cœur. Le curé m'avait à la bonne car je savais lui réciter l'histoire sainte sans erreur. Il a même suggéré à mes parents de m'envoyer au séminaire pour devenir curé.

    J'aimais bien aller à la messe. Je ne pensais pas tellement à Dieu, mais dans cette église de village aux bancs de bois cirés qui sentaient bon, parmi les fumées de l'encens que je respirais quand le curé passait dans l'allée en déclamant « Asperges me... », quand retentissaient les chants grégoriens et les choeurs en latin soutenus par la grande voix de l'orgue, je me sentais transporté ailleurs.

    Plus tard, mon esprit critique a pris le dessus, au grand dam de ma mère. Je ne suis plus allé à la messe, sauf à Pâques, car elle me le demandait et je voulais lui faire plaisir. Je ne me suis pas affublé de la soutane voulue par le curé. Et je ne suis plus allé dans les églises que pour les visiter, les admirer et connaître leurs histoires. Mais chaque fois que j'entre dans l'une d'elles me saisit cette sensation d'un lieu où règne l'Esprit, où habite quelque chose qui nous dépasse.

     


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