• Le miracle de la vie

    Jean, organisateur d'un colloque scientifique en Italie, est revenu brièvement à Paris pour assister à l'accouchement de sa femme. De retour à Turin, il lui écrit plusieurs lettres, dont celle-ci, une semaine après la naissance de sa fille.

    Turin, 19 octobre 1970

    Mon amour,

    Tes dernières lettres, ma chérie, sont je crois les plus belles que j'ai reçues de toi et m'ont profondément ému : j'ai vraiment l'impression, la certitude maintenant, que cette petite fille qui nous est venue est un lien plus puissant que tout ce qui pouvait exister auparavant entre nous. La première nuit après mon retour forcé en Italie, j'ai dormi comme une pierre, épuisé par cette nuit si douloureuse et si émouvante où notre fille est née. Mais la deuxième nuit, j'ai rêvé de toi et d'elle. Je la voyais, dans son lit en osier pourvu de petits barreaux entre lesquels passaient ses jambes minuscules, essayant en vain de descendre en rouspétant, et toi la calmant et la remettant dans ses draps en lui faisant une leçon bienveillante. J'étais très heureux en me réveillant. Je me souviens très bien de son visage rose, et du tien, si détendu.

    Il est bientôt 21h et je pense à toi qui dois bientôt t'endormir, ayant à ton côté notre petite fille d'une semaine déjà. Il y a sept jours, à cet instant, tu passais par des alternances de sérénité et d'angoisse, de sourires radieux et de larmes. Je nous revois tous deux seuls dans la salle d'accouchement, les douleurs se faisaient de plus en plus fréquentes, tu respirais à chaque fois comme on t'avait appris à le faire, tu crispais ta main dans la mienne, tu avais mal et je ne pouvais rien faire sinon t'encourager, caresser tes cheveux, ayant moi aussi mal de te voir souffrir. Mon Dieu, si tu savais combien j'aurais voulu alors être à ta place et endurer pour toi, ou plutôt partager avec toi tes souffrances ! Peut-être, vas-tu dire, que cela est facile à dire, puisque je ne pouvais le faire – tu l'as dit d'ailleurs, sous le coup de la douleur – mais tu dois savoir combien cela est sincère et vrai. Et puis bébé est arrivée, et cela est quelque chose de tellement beau et émouvant, la venue au monde d'un petit être nouveau, d'une étincelle de vie qui ira chaque jour en se raffermissant, se développant, et croissant en beauté, en force et en intelligence. Et toi, si tu avais pu voir ton visage, te voir tout entière à ce moment là, ton visage pur, débarrassé de tout ce que les conventions ont pu y mettre et l'éducation y cacher, et où ne subsistaient plus que les sentiments vitaux, primitifs, vrais et nus : la douleur, l'attente, l'effort, la joie et le soulagement enfin...Ma petite femme était à ce moment là si pure, si vraie, si « elle-même », dégagée de tout ce qui nous entourait ! Je crois que c'est dans ces instants là que peut réellement apparaître la vraie beauté, dans ces moments où l'émotion vitale au paroxysme ne laisse plus rien subsister en dehors d'elle-même. Amour des époux qui conduit à la naissance d'une vie, beauté de ce moment qui crée un petit être neuf et vierge, beauté de l'effort et de la douleur qui conduisent à cette création. Mon amour, je t'assure que j'ai vécu là, par toi et avec toi, un moment extraordinaire de grâce, d'émotion et de justification. Pourquoi justification ? Parce que j'ai maintenant l'impression d'avoir vraiment créé avec toi quelque chose qui justifie notre vie ici bas, qui lui donne du sens ; émotion, parce que des liens nouveaux et puissants se sont créés entre toi et moi qui te rendent encore plus chère à mon cœur.

    Mais j'ai hâte de savoir ce que devient notre fille, ce qu'elle fait, bien qu'elle ne doive pas faire grand chose en dehors de ses fonctions essentielles : manger, dormir, salir ses langes et ...pleurer (mais cette dernière fonction n'est sûrement pas essentielle !). J'ai toujours et souvent à l'esprit son visage de petit être pas encore réveillé, et cela avec une acuité étonnante, ainsi que ton beau visage au moment où bébé était presque au monde et que tu faisais les derniers efforts en me demandant : « Dis, ça y est ? Il est là ?... » d'une voix entrecoupée, en me serrant très fort le bras. Cette image de toi est maintenant gravée au plus profond de mon âme, comme celle de la magie liée au mystère de la naissance et de la vie.

    Je n'arrive pas à me faire à l'idée que je suis papa, et toi une jeune femme maintenant maman. J'ai hâte de vous voir toutes les deux, et je compte les heures en attendant ce moment avec une impatience que tu n'imagines pas.

    Je vous embrasse, mes deux amours.

     


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