• Histoires de lits

    Où suis-je ?

    Quand j'habitais au Maroc à la fin des années quarante, j'ai fait plusieurs séjours de courte durée chez ma marraine à Casablanca où son mari était le gérant de docks-silos près du port. Je n'avais pas encore dix ans et je dormais dans une chambre de fortune aménagée près du bureau, dans un lit spartiate, un sommier garni d'un matelas et d'un embryon de literie. Le matin, je me réveillais alors que le soleil avait déjà fait son apparition, et des rayons passaient au travers des stores ajourés. Je restais longtemps dans mon lit avant de me lever, à regarder les ombres jouer sur le plafond et prendre toutes sortes de formes. Un matin, je me suis réveillé en sursaut, et je suis resté un très long moment à ne plus savoir où j'étais. J'ai regardé autour de moi, l'esprit bloqué, ne reconnaissant pas ce qui m'entourait. Cela m'a fait peur, je me souviens du soulagement éprouvé lorsque enfin la mémoire m'est revenue.

    Nuit de noces

    Non, ceci n'est pas le récit érotique d'une nuit tumultueuse d'autant plus passionnée qu'elle aurait été attendue avec une impatience exacerbée. Ce serait plutôt le contraire. En fait, ce fut presque le contraire...

    Nous avions passé tellement de temps à préparer la soirée dansante devant suivre la cérémonie du mariage, que lorsqu'il fut minuit, nous nous esquivâmes, ma femme toute neuve et moi, laissant la famille et les amis poursuivre la sauterie pour laquelle ils n'avaient plus besoin de nous pour s'amuser.

    Nos parents, voulant bien faire, nous avaient loué une chambre pour une nuit dans un cadre sublime, celui du Pavillon Henri IV à Saint Germain en Laye. Arrivés en voiture tard dans la nuit, nous tombions de sommeil. Aussi, dès que nous fûmes arrivés dans la chambre, une chambre immense, nous nous écroulâmes sur le lit, mais un lit comme je n'en avais jamais vu, qui faisait plus de deux mètres de large ! C'était vaste, très vaste, tellement vaste que toute la nuit nous nous sommes cherchés d'un bout à l'autre, nous retrouvant par hasard de temps en temps au même emplacement, après des explorations à tâtons dans un demi-sommeil. Cela nous changeait de mon lit de célibataire de 90 cm dans lequel nous ne pouvions pas – et généralement nous ne cherchions pas – à être côte à côte. Nous avons donc très mal dormi malgré la fatigue occasionnée par les événements de ce jour unique.

    Au réveil, ce fut autre chose, il fallait tout de même honorer cette couche fabuleuse. Nous n'avons donc pas beaucoup profité du cadre extérieur sublime noté quatre étoiles rouges sur le guide Michelin, dont il ne reste rien dans nos mémoires, en dehors de ce lit extraordinaire où nous avons si mal dormi...

    Dormir en mer

    Sur les navires de la Marine, la place est comptée, surtout sur les sous-marins, mais le temps passant, le confort est arrivé. Façon de parler, tout est question d'appréciation personnelle... A la fin des années soixante, on y pratiquait encore la couchette chaude pour l'équipage et les jeunes officiers : celui qui prenait le quart laissait sa place à celui qui le quittait, avec en prime les odeurs sui generis et les photos de pin-up du titulaire. Au début d'un exercice devant durer une ou deux semaines, cela allait, mais après quelques jours ou plutôt quelques nuits, on baignait dans une bonne chaleur humaine odorante, puisqu'à bord la réserve d'eau douce ne servait qu'à la cuisine et à se laver les mains.

    Puis, sur les sous-marins de type Aréthuse, les plus petits que la France ait jamais construits (400 tonnes de déplacement), le plus jeune officier avait sa couchette, comme les plus gradés, mais c'était la banquette du carré des officiers. Il devait donc attendre que tous les autres dégagent dans le « wagon » (compartiment doté de quatre bannettes) pour pouvoir se reposer en position horizontale, et quand certains soirs sans exercice une partie de cartes était entamée, elle ne finissait pas forcément avant la prise de quart à minuit.

    Parfois, un ou plusieurs hommes embarquaient en surnombre ; on leur tendait un hamac dans la coursive menant au poste « torpilles » ; il fallait se courber très bas pour passer.

    Enfin, après l'arrivée des gros nucléaires dans les années 70, chacun a eu sa couchette, l'équipage dans des postes de 4 à 12 personnes, les officiers dans des chambres individuelles, des réduits de 2 mètres sur 1,5 m où, à part le lit, se trouvait un bureau minuscule pour écrire et ranger les dossiers, une petite armoire pour les vêtements essentiels, et une planche à dessin rabattable au dessus de la couchette pour étudier plans et documents, le cas échéant. Mais le plus important, c'est qu'il y avait de l'eau douce à volonté, et des douches...Ce qui était autrefois du superflu inutile s'était transformé en confort ordinaire.

    La nuit face au ciel

    Un soir d'été, à la campagne, nous avons décidé, ma fille et moi, d'aller dormir à la belle étoile, dans les champs alentour. Tout le monde a trouvé cela ridicule, mais nous l'avons fait quand même. Munis d'une couverture et d'un coussin, nous nous sommes allongés dans les sillons, et nous avons regardé le ciel. Je lui montrais les étoiles et les constellations, et leurs noms sonnaient dans ma bouche comme des poèmes : Aldébaran, Bételgeuse, Rigel, Deneb, Sirius, Persée, Cassiopée, Orion, les Pléiades...Ensuite, nous sommes allés nous étendre sur les balles de paille empilées un peu plus loin, moins inconfortables. Nous avons mal dormi, mais nous étions bien.

    Au matin, nous avons regardé le soleil se lever, assis l'un à côté de l'autre, sans rien dire.

    Il y a ainsi de doux souvenirs du passé, des moments uniques que nous aimerions bien revivre, mais qui n'auraient certainement plus le même goût...

     


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