• Fête nationale

    Se rappelant ce qui s'était passé la veille au soir, Julien avait la tête pleine de regrets, à s'en mordre les doigts, pire, à se taper la tête contre les murs. Il avait invité chez lui Léa, une des plus jolies parmi ses collègues de bureau, pour dîner et voir de son balcon le feu d'artifice du 14 juillet. Contre toute attente elle avait accepté ! C'était très prometteur, mais rien ne s'était passé comme prévu, et maintenant il était trop tard, une fois de plus. Vraiment, il ne savait pas y faire, avec les femmes, surtout celles qui lui plaisaient, elles lui faisaient perdre ses moyens. Quand il se trouvait enfin seul avec l'une d'elles, il se mettait soudain à transpirer, à bafouiller, à dire n'importe quoi pour remplir le silence dont il avait horreur. Il pensait en effet que pour avoir l'air dans le coup, il fallait forcément parler, dire ce qu'elle avait envie d'entendre, qui n'était jamais ce à quoi il s'intéressait. Il se plantait donc systématiquement. Quant à passer à l'action, fût-ce aussi simple que lui prendre la main ou lui caresser le bras, c'était hors de portée. Elle aurait pu penser qu'il ne cherchait qu'à la traîner dans son lit, ce qui était bien le cas, mais il se le cachait à lui-même, derrière une barrière infranchissable de nobles sentiments qui justifiaient son inaction. Cela aurait fait mauvaise impression, croyait-il, aussi gardait-il ses distances en toute occasion. Pensez donc ! Si elle retirait sa main d'un air offusqué, ou s'éloignait pour éviter tout contact, quelle humiliation ! Jamais par la suite il n'aurait pu la regarder en face sans penser à ce moment, à cette défaite honteuse.

    Pourtant, il avait bien vu au cours de soirées se terminant en boîte de nuit, comment cela se passait. Plein d'allant au départ, il commençait par jeter son dévolu sur une jolie fille, se rapprochait, se râclait la gorge, puis, ne sachant que dire, se mettait à disserter sur des sujets sérieux. Dans le vacarme ambiant, elle n'entendait rien, peu à peu elle commençait à s'ennuyer, ça se voyait, au bout d'un moment elle prétextait n'importe quoi pour s'éloigner, et à son retour allait voir quelqu'un d'autre. Le plus souvent, cet autre se contentait d'un sourire, de regards appuyés, et au bout de quelque minutes ils se retrouvaient sur la piste collés l'un à l'autre, bouche à oreille, puis bouche à bouche. Il trouvait cela indécent, surtout quand la fille lui plaisait. Il était réellement scandalisé de voir ça, comment pouvait t-on lui préférer aussi facilement des types tellement médiocres ? Il n'était jamais capable, lui si intelligent, de passer au stade supérieur de la séduction. L'esprit amer, il voyait que tout lui échappait, malgré sa connaissance de la marche à suivre. Alors, en désespoir de cause, il se rabattait sur les plus moches, avec celles-ci il avait moins de blocages, peu ou pas de concurrence, et cela marchait parfois, surtout si la fille, heureuse de l'aubaine, prenait la direction des opérations. Le problème, c'était les belles filles, et avec elles les plans d'action qu'il concoctait avant de se lancer ne marchaient jamais. Les plans étaient bons, toujours différents, mais leur mise en œuvre aussi peu naturelle que possible. En fait, il n'avait pas compris qu'on ne séduit pas les filles comme on fait un plan marketing, et que tout ce qu'il tentait en pensant que les femmes veulent qu'on les respecte était faux, archi faux. Il fallait d'abord qu'on s'intéresse à elles, pas du tout qu'on se mette soi-même en valeur, qu'on montre son intelligence, ses relations ou son argent pour prouver qu'on est digne d'intérêt. Il n'avait pas compris que toute entreprise de séduction est vite détectée par le sexe opposé, qui n'est pas né de la dernière pluie, mais que cela ne lui déplaît pas, bien au contraire. Dans ces circonstances, l'intelligence et le respect ne sont pas du tout des arguments adaptés pour arriver à ses fins, il faut plutôt essayer de rire ensemble, quitte à dire des bêtises. Et le rire commence par le sourire, et tout le reste s'ensuit...

    Hier soir, il savait qu'un sourire aurait suffi, et le dîner aurait été écourté. Le feu d'artifice aurait eu lieu dans la chambre à coucher, et non sur le balcon à regarder en s'ennuyant des pétards multicolores sans intérêt exploser à grand bruit dans le ciel...Ah ! Léa ! Encore une occasion ratée...

     


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