• Au cercle radio

    Quand j’eus atteint l’âge d’entrer en sixième, mon père, qui était gendarme, m’a mis en pension dans une école militaire préparatoire, située aux Andelys dans l’Eure. J’y ai fait toutes mes études secondaires. Jusqu’à une date récente, je gardais de cette période un souvenir assez vague, mais plutôt positif, et puis, en rangeant mon garage, j'ai retrouvé de vieux carnets que je remplissais des faits de la journée, de schémas électroniques et de listes de toute nature, quand j'avais 14 – 15 ans et que j'étais en troisième, puis en seconde. J’ai pu ainsi redécouvrir avec beaucoup de détails la manière dont je vivais à cette époque, entre les copains, les cours et l’encadrement militaire.

    Pour nous occuper en dehors des heures de classe et d'étude, des « Cercles » avaient été mis en place, sans véritable réflexion, mais c'était mieux que rien : pyrogravure, auto, radio, marionnettes, reliure,...Je m'étais inscrit au « Cercle Radio », piloté par un appelé du contingent, surnommé « le Chef », dont l’électronique était le métier dans le civil. Pourquoi celui-ci a-t-il cette aura dans mon esprit de l'époque ? Pourtant il ne vient pas quand on l'attend, il ne prévient jamais de ce qu'il va faire avec nous, il est bordélique, il est colérique, pas fiable pour un sou, mais je le vénère. Il n'a pourtant que 6 ou 7 ans de plus que moi, mais à l'adolescence un an àa compte !

    Ces carnets de bord me font aujourd'hui une impression bizarre, presque comme si ces événements étaient arrivés à quelqu'un d'autre. Par exemple, je ne me souvenais plus de l'importance extrême qu'avait pour moi le « Cercle Radio » en 56 – 57 : dans les carnets, il n'est question que de cela, partout et tout le temps. A croire que toute mon existence de l'époque était centrée sur ce que je faisais au cercle, et que le reste, dont je parle brièvement, n'existait que par obligation et ne revêtait donc aucun intérêt. Au début, je parle un peu de mes résultats scolaires, des profs, des encadrants, et puis, peu à peu, cela disparaît presque complètement, ou cela subsiste de manière anecdotique. Il y a en particulier deux phrases, qui reviennent chaque jour de manière répétitive :

    « Après manger, je suis allé au cercle »

    « Je suis allé au cercle, et j'ai allumé le feu »

    Le cercle radio était installé dans un baraquement en bois non loin des bâtiments principaux. C’était une grande pièce d’environ 30 m², avec un tableau noir à gauche en entrant, un mur tapissé d’étagères sur lesquelles étaient rangées des pièces de vieux postes radio, un établi à droite sous une fenêtre, et une étagère avec quelques livres d’électronique à côté d'une deuxième fenêtre face à l’entrée. Au centre de la pièce, à côté d’une table rectangulaire, trônait un vieux poêle cylindrique à charbon. Cette pièce était une vraie passoire thermique, les planches des murs étaient disjointes, la porte fermait mal et l’encadrement de bois des fenêtres pourrissait doucement. 

    Dans ce cercle, on ne fait pas grand-chose. On passe son temps à attendre « le chef », et en attendant on boit du Nescafé, on écoute de la musique et on fait beaucoup de conneries. Si, quand même, on fait quelques câblages de postes radio et on essaie tant bien que mal de construire un « orgue électronique », surnommé « la casserole électronique » ce qui veut tout dire, car on le bricolait avec les moyens du bord, c'est à dire du vieux matériel récupéré à droite et à gauche...

    Il y a dans ces carnets des passages amusants, relatifs justement aux bêtises faites pour passer le temps, aux coups faits aux copains avec qui on se bagarre parfois, aux considérations sur les gradés et la vie du collège. On ressent bien aussi, me semble-t-il, combien finalement on était soumis à une discipline assez peu contraignante. On fait pratiquement ce qu'on veut, du moment qu'on respecte quelques règles fondamentales telles que ne pas être en retard, obéir aux ordres, respecter les profs et l'encadrement, avec évidemment quelques petits suppléments militaires spécifiques tels qu'astiquer les boutons métalliques de nos vareuses d'uniforme, porter un béret, balayer la cour et défiler au pas cadencé.

    Une période qui fut donc plutôt heureuse, partagée entre travail, loisirs ciblés, discipline quasi militaire, avec toutefois deux manques cruciaux : l'éloignement de nos parents, qu'on ne voyait que tous les trois mois, et l’absence totale d’éléments féminins dans notre environnement quotidien...

    Copie d’une page type de ces carnets, qui en comportent une soixantaine.

     

    16 novembre 2022

     


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment



    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :