• Ecrire une "Ballade" sur le modèle de la "Ballade des dames du temps jadis" de François Villon

     

    Sentir qu'on est vivant

    Quand couché dans l'herbe, on regarde le ciel

    Quand l'éternité se devine dans les nuages qui passent,

    Quand sur la plage de galets on entend le ressac,

    Quand s'ouvrent les volets sur la rosée de printemps,

    Quand bruissent les branches sous le souffle du vent :

    Sentir qu'on est vivant par

    Ces choses qui font battre le cœur

     

    Vivre l'impatience de l'attente,

    Celle du bébé pour le sein de sa mère

    Celle de l'enfant à la veille de Noël

    Celle du premier rendez-vous

    Celle du père juste avant la naissance

    Celle du mourant à son dernier soupir :

    Vivre l'impatience de l'attente par

    Ces choses qui font battre le cœur

     

    Se souvenir qu'on a été enfant

    Chaque fois qu'on pense à sa mère,

    Chaque fois qu'on sent l'odeur des confitures,

    Chaque fois qu'on casse quelque chose,

    Chaque fois qu'on embête le chien,

    Chaque fois qu'on demande pourquoi :

    Se souvenir qu'on a été enfant par

    Ces choses qui font battre le cœur

     

    Etre vivant, être impatient, être toujours un enfant

    C'est garder en soi dans la sagesse de l'âge toutes

    Ces choses qui font battre le cœur

     

     


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  • J'ai récemment fait la connaissance d'une petite troupe théâtrale, non pas petite, mais microscopique, puisque composée de Florence, la fille d'une amie, de Christophe, un ami de celle-ci et d'une troisième personne que je n'ai pas vue, mais qui assure le rôle ô combien important de régisseur, agent artistique, et de tout ce qui est matériellement nécessaire pour qu'un spectacle soit réussi et que les artistes puissent vivre de leur travail. Ce bel ensemble porte un nom qui lui va bien : « La compagnie du spectacle de poche ».

    La mère de Florence, appelons-la Chantal, ayant décidé de faire connaître cette petite troupe, a donc organisé chez elle une représentation privée, à laquelle elle a invité quelques proches et des amis, une trentaine de personnes en tout. Pour l'occasion, la grande salle de séjour avait été débarrassée de tout ce qui l'encombrait : table et petits meubles avaient été évacués, les buffet, desserte et gros fauteuils poussés contre les murs, et cinq rangées de chaises disposées a trois mètres du mur du fond. L'espace restant était divisé en deux par un rideau face aux spectateurs : derrière se situaient les « coulisses », étroit passage où les acteurs faisaient leur sortie ou allaient se changer ; devant restaient trois ou quatre mètres carrés constituant la scène. Tout un défi pour démontrer la capacité d'adaptation de la troupe aux conditions locales !

    Nous avons été accueillis devant la porte par les artistes eux-mêmes, qui nous ont indiqué, après quelques paroles de bienvenue, l'endroit où déposer nos manteaux et la petite salle où un apéritif allait être servi pour chauffer l'ambiance, si nécessaire. Parmi les invités, tout le monde connaissait tout le monde, ou presque, et chacun avait apporté un petit quelque chose pour la collation prévue après le spectacle, qui promettait d'être pantagruélique.

    Quand tout le monde fut arrivé et l'apéritif expédié, on s'installa sur les chaises de cette salle de théâtre improvisée, et la pièce commença. Cette comédie, écrite et mise en scène par les acteurs eux-mêmes, n'a pas vraiment de titre, mais elle pourrait s'intituler : « Quand ce qui est entendu n'est pas dit...et réciproquement ! ». Elle méritait bien son nom, cette pièce dite « amphigourique »1, pleine de gens n'écoutant qu'eux-mêmes, plus soucieux d'exposer leurs problèmes que d'être ouverts à ceux des autres. Une comédie fort drôle, et restant drôle malgré le cheminement dramatique vers une incommunication totale ! Nous avons eu droit au défilé de la famille Gratiné, la bien nommée, où chacun a un projet qui lui tient à cœur pour le mois de juin : la mère Barbara, psy de son métier, prépare son anniversaire de mariage ; le fils, Enguerran, écrivain, doit se fiancer ; la fille, Calypso, réalisatrice, a un projet pour le festival de Dublin ; le père, Raoul, artiste peintre, est censé préparer une grosse exposition...Chacun voit midi à sa porte, et dans le feu de l'objectif à atteindre, en arrive à laisser échapper des révélations sur de petits secrets et de gros mensonges qui, sans cela, n'auraient jamais été révélés. Tout le monde a bien ri, mais parfois jaune, dans le déroulement de ce festival d'égoïsmes qui, au-delà de la comédie de boulevard et des situations évidemment caricaturales qui vont avec, montre avec une certaine acuité la dérive de notre société de communication technologique où, dans le bruit de fond ainsi généré, personne n'arrive plus à s'entendre.

    Ce fut donc une excellente surprise : une comédie bien écrite et bien menée, jouée par des auteurs-acteurs excellents dans leur jeu, leurs mimiques, leurs hésitations, leurs onomatopées indescriptibles. Je m'attendais à un spectacle d'amateurs éclairés méritant un succès d'estime que tout le monde leur aurait accordé ; ce fut au contraire une comédie presque parfaite, avec des acteurs très professionnels, dignes de se produire dans un cadre plus large, mais aussi plus traditionnel.

    Ils furent très applaudis, puis on installa le buffet. Tout le monde y participa, et les conversations allèrent bon train jusqu'à une heure assez avancée. On parla de la performance à laquelle on venait d'assister, de la vie difficile des intermittents du spectacle, du spectacle de rue, du spectacle vivant, du travail épuisant à accomplir pour distraire un moment quelques personnes d'une manière différente de la facilité télévisuelle quotidienne. Les deux acteurs nous racontèrent une parcelle de leur vie, faite de passion et de plaisir, et de leur envie de faire partager cela à tout le monde, avec leur répertoire d'une demi-douzaine de pièces originales dont quelques unes spécialement écrites pour les enfants.

    J'ai vécu ce soir là un moment réellement festif, où la joie d'assister à un spectacle de qualité s'est vue augmentée par la possibilité de côtoyer de près les artistes, de comprendre ce qu'est leur vie, leur passion pour leur métier, dans une atmosphère de convivialité qu'on ne rencontre jamais lorsqu'on se contente de s'abonner au cycle conventionnel du théâtre de la ville où on habite.

    1« Qui consiste à écrire un texte de manière volontairement burlesque, obscure ou inintelligible »

     


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  • Faire le portrait de trois personnages ayant quelque chose en commun.

     

    Dans cette brasserie du centre ville, au premier étage, Rafik, Marie-Ange et Alain se retrouvent deux fois par mois pour boire un thé à la menthe, un café ou une bière, et surtout pour discuter avec d'autres, sur un sujet choisi en commun la fois précédente.

    *

    Rafik est un homme jeune, d'origine marocaine, né en France et plus français que les français dits « de souche ». Parfaitement intégré, il a suivi des études de droit et il vient de commencer une carrière d'avocat. Cheveux bruns ondulés, visage allongé, grand et plutôt mince, joues parfaitement rasées fleurant bon une eau de toilette de prix, il porte toujours veste et cravate, et, si ce n'est son teint légèrement basané, rien ne révèle ses origines maghrébines. Il a des manières apprêtées et un langage châtié, qu'il accentue par une attitude d'une nonchalance étudiée frôlant l'arrogance voire la condescendance. On le prendrait à première vue pour un riche bourgeois du seizième imbu de sa supériorité .

    Mais il ne faut pas se fier aux apparences. Rafik exprime toujours des idées fortes, inclassables sur l'échiquier politique, mais qui ont toutes une caractéristique évidente : elles sont extrémistes. Tantôt d'extrême gauche ou anarchistes, tantôt d'extrême droite, elles attirent rarement l'approbation d'une assemblée constituée de personnes en majorité plus âgées, qui se méfient des sauveurs péremptoires. A presque trente ans, et malgré son métier d'avocat, il parle comme s'il en avait encore dix-huit, s'enflammant spontanément pour des idées généreuses ou critiquant de manière définitive toute initiative politique hors de ses convictions. Cela pourrait le rendre sympathique, cette fougue de la jeunesse, s'il essayait au moins d'expliquer de temps en temps le pourquoi de ce qu'il pense, et acceptait d'assumer ses contradictions autrement qu'en déroulant des phrases interminables dans lesquelles tout le monde et lui-même finissent par se perdre.

    Prenons quelques exemples. Il qualifie les nations occidentales de pseudo démocraties où la justice n'a pas cours, livrées au jeu des lobbies de toutes sortes, dans lesquelles le citoyen moyen est toujours le dindon de la farce ; mais il prend la défense des dictateurs sanguinaires renversés par les « printemps arabes », car eux, au moins, comme De Gaulle, « avaient de la personnalité et de la poigne ». Il se veut le défenseur du peuple, il n'a que le mot « peuple » à la bouche, et pourtant il estime normales les inégalités dans la société, car « seuls les riches ont les moyens et le temps nécessaire pour pouvoir penser ». Pour lui, l'Union Européenne n'est rien d'autre qu'un quatrième Reich ou un état stalinien, rien de moins. Il défend la cause des femmes, dit-il, mais estime « stupides » et inutiles les mouvements féministes, y compris ceux défendant les femmes battues. A l'entendre, les solutions aux problèmes du monde moderne seraient simples et évidentes, mais, quand on le pousse dans ses retranchements, jamais il n'explique concrètement comment il faudrait faire : pour lui, tout est d'abord une question de « volonté politique ». Quand il a dit cela, il a tout dit, car on se rend vite compte qu'il n'a pas d'idées claires sur le reste, qui ne l'intéresse pas, comme la crise climatique, l'environnement, les progrès de la science, les grandes questions philosophiques, ou encore les difficultés de la vie quotidienne.

    En bref, c'est un révolutionnaire de bistro, approximatif et brouillon, qui manipule la rhétorique avec une certaine virtuosité, croyant ainsi dominer de très haut un peuple qu'en fait il méprise. Ses idées sont superficielles, simplistes et contradictoires, déconnectées de la vie courante. On se demande parfois si cela n'est pas simplement dicté par le besoin d'affirmer sa différence au travers de la provocation et de la contradiction : en somme, être soi en étant contre les autres.

    **

    Marie-Ange est infirmière à la retraite. Elle est petite, plutôt mince, se teint en blond, porte des lunettes à montures roses, et n'a pas la langue dans sa poche. Elle est aussi pleine de contradictions, qu'elle assume dit-elle. Par exemple, elle est féministe à outrance, tout en assimilant ce « statut » à un célibat permanent, à une sorte de rejet de l'autre sexe, et c'est tout juste si elle ne nous a pas dit explicitement que toute sa vie affective était résumée dans son prénom. Sur un autre plan, elle abhorre la religion, mais milite dans des associations laïques d'aide aux plus démunis, tout en affichant des opinions tranchées vis à vis des musulmans et des migrants. « Il ne faut pas les laisser venir chez nous, clame t-elle régulièrement, et tous les renvoyer chez eux ! ». Enfin, et très curieusement, elle possède une culture étendue sur de nombreux sujets philosophiques et scientifiques : à une réunion récente, elle a fait un exposé magistral sur la mécanique quantique, juste pour démontrer que même dans les sciences dites « dures », la vérité est cachée, la réalité voilée, et que le monde, finalement, est inaccessible à notre compréhension.

    ***

    Mais la personnalité la plus atypique de cette bande de coupeurs de cheveux en quatre, c'est sans nul doute Alain. Contrairement aux deux autres, il n'a pas fait beaucoup d'études et pour cette raison il souffre d'une sorte de complexe d'infériorité, ce qui le conduit à renoncer à défendre ses convictions pour peu que quelqu'un, qu'il estime plus qualifié ou plus diplômé que lui, affiche des opinions contraires aux siennes. Il cherche la rationalité en toute chose, mais il est toujours d'un pessimisme morbide, qu'il dit souvent être de la lucidité ; il sourit rarement et porte sur son visage lugubre toute la tristesse du monde. Pourtant, c'est un homme qui a le cœur sur la main, prêt à faire des efforts incroyables rien que pour faire plaisir à une personne qu'il estime. Pour sa mère, atteinte de la maladie d'Alzheimer, il a demandé à être mis en préretraite prématurément, rien que pour s'occuper d'elle ; une semaine après avoir quitté son métier, elle décédait.

    Cette ambivalence aurait pu le rendre inexistant ou inodore, et pourtant, quand il s'exprime, c'est souvent avec beaucoup de conviction et de justesse, bien que son élocution laisse à désirer. Depuis la crise de 2008, il s'est entiché d'économie, il lit tout ce qu'il trouve, cherchant désespérément à appréhender ce qui se passe, et se trouve fort malheureux de se rendre compte, peu à peu, qu'il n'y arrivera jamais, car il n'y a pas grand chose de rationnel à comprendre sur ce sujet.

    Il est un domaine cependant où il s'exprime de manière franche et directe alors que tout un chacun, dans une société civilisée, parlerait ici à mots couverts ou simplement se tairait : il s'agit bien sûr du sexe, et de la place qu'il occupe dans notre vie, nos actions, nos pensées. Il dit les choses crûment, ne s'embarrasse pas de circonlocutions, et assène des vérités que beaucoup se cachent à eux-mêmes, ou n'osent pas dire. Il fait rire, bien sûr, comme si cela se limitait à des plaisanteries graveleuses, alors qu'il a en ce domaine une vison cohérente des choses, même si on peut ne pas être d'accord avec lui. L'homme n'est qu'un animal évolué, dit-il, et sa pensée et son intelligence ne le hissent pas pour autant au-dessus de la bête quand il s'agit de l'acte de reproduction et de tout ce qui l'entoure. Son credo de base peut s'exprimer ainsi : l'amour n'est que le moyen trouvé par la nature afin que l'espèce se reproduise, et les histoires romantiques se terminent toujours en faisant la bête à deux dos, parce que l'instinct prime toujours sur l'intelligence.

    Il a une femme et deux enfants, mais il ne s'exprime jamais sur la relation qu'il peut y avoir entre ce qu'il dit dans nos discussions et sa manière de se comporter chez lui. Je le soupçonne de rêver à une vie plus conforme à ses aspirations et ses pensées, alors que dans la vie courante il doit se fondre dans la masse, être invisible dans le système tout en sauvegardant sa liberté de penser autrement.

     


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