• Une étrange rencontre

    le 12 décembre 2012

    Sujet proposé :  l'une de ces premières phrases de romans célèbres emballe votre imaginaire, vous amène à développer votre réflexion ou simplement éveille un souvenir. Construire un récit vivant dans lequel on introduira si possible un ou deux dialogues.

    Patrick Modiano : "Jeunesse"
    Les enfants jouent dans le jardin et ce sera bientôt la partie d'échecs quotidienne.
    .
    Charlotte Brontë : "Jane Eyre"
    Impossible de se promener ce jour là. Le matin, nous avions erré pendant une heure dans le jardin sans feuilles, mais depuis le déjeuner, la bise avait amené les nuages si noirs et une pluie si importante qu'il fallait renoncer à sortir.
    .
    Albert Cohen : "Le livre de ma mère"
    Chaque homme est seul et tous se fichent de tous et nos douleurs sont une île déserte.
    .
    Paul Ulmann : "L'ami retrouvé"
    Il entra dans ma vie en février 1930 pour ne jamais en sortir.
    .
    Gérard de Nerval : "Aurélia"
    Le rêve est une seconde vie.
    .
    Nicolas Gogol : "Journal d'un fou"
    Il m'est arrivé aujourd'hui une aventure étrange.
    .
    Françoise Sagan : "Bonjour tristesse"
    Sur ce sentiment inconnu, dont l'ennui et la douceur m'obsèdent, j'hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse.

    Texte

    Sur l'incipit de Nicolas Gogol :  Une étrange rencontre

    Il m’est arrivé aujourd’hui une aventure étrange. Il était neuf heures, et je venais de sortir de chez moi pour promener mon chien, quand je fus hélé par le conducteur d’une voiture qui s’arrêta près de moi.

    « Bonjour Monsieur », me dit-il avec un fort accent italien, « je cherche un magasin de matériel agricole dans les environs, pouvez-vous me renseigner ? »

    J’habite dans une région agricole, certes, mais où les paysans sont rares et les magasins de ce genre encore plus, car il n’y a que de grandes exploitations.

    « Non, lui avouais-je, il n’y a rien dans le coin, allez donc à Houdan, c’est la ville la plus proche, et renseignez-vous là-bas. Ou alors, allez à Monsieur Bricolage, ils ont aussi ce genre d’articles. »

    J’étais quelque peu surpris de ce questionnement, car trouver en début de matinée un individu apparemment italien, conduisant une voiture immatriculée en Allemagne, se renseignant à propos de matériel agricole au fond d’une impasse dans un coin reculé d’Eure et Loir, excitait quelque peu ma curiosité.

    Ce sentiment se transforma ouvertement en méfiance quand il me répondit :

    « Non, en fait, euh,…Enfin, je n’ai pas besoin de matériel agricole, au contraire je cherche plutôt quelqu’un pouvant m’acheter du très bel outillage que j’ai dans mon coffre, c’est du matériel d’exposition que j’ai montré à Rouen à un salon. Il faut que je m’en débarrasse au plus vite car j’ai un avion à prendre à Roissy vers 13 heures et je ne peux pas l’emporter avec moi. Vous-même, ça ne vous intéresse pas ?»

    Tout en prononçant cette dernière phrase, il descendit de sa voiture et se dirigea vers l’arrière pour ouvrir son coffre, malgré une futile tentative de ma part pour l’assurer qu’en tant que retraité de l’industrie, je n’avais pas besoin de pioches ni de bêches et qu’il perdait son temps.

    « Mais ce n’est pas vraiment du matériel agricole, me répondit-il, regardez ! »

    Et ne voilà t-il pas qu’il me déballe sur la route trois ensembles d’outillages en effet magnifiques, entièrement neufs : une tronçonneuse à moteur, un caisson contenant une cinquantaine de clés plates, clés à douille, tournevis, empilés sur plusieurs niveaux, et un groupe électrogène de 10 kW !

    Tenté malgré tout, je le questionne :

    « Et vous me vendez tout ça combien ? »

    Il me sort des chiffres incroyablement bas…Dommage que je n’aie vraiment pas besoin de ce genre de matériel, bien que cette affaire commence à me paraître tout à fait louche. Aussi, je l’attaque frontalement :

    « Monsieur, je ne sais pas qui vous êtes, vous venez proposer à un homme promenant son chien, dans une impasse d’un petit village qui n’est pas sur la route de Rouen à Roissy, du matériel neuf, de qualité allemande, à des prix incroyables, tout ça parce que vous avez soi-disant un avion à prendre ! Vous me prenez pour qui ? A qui voulez-vous faire avaler une  histoire pareille ? » 

    Il me sort alors un tas de papiers pour démontrer sa bonne foi, je n’y jette qu’un coup d’œil car ma décision est prise, je n’achèterai rien à cet individu, tout cela est beaucoup trop tiré par les cheveux.

    Je veux alors continuer ma promenade avec mon chien qui s’impatiente, mais il me prend par le bras, m’assure encore de sa sincérité, m’explique qu’il me donnerait bien l’ensemble pour rien, mais que son patron lui demandera au moins le prix coûtant du matériel, et qu’il ne sait pas comment faire autrement. Il me parle à moitié en français, à moitié en anglais, il a le bagout du vendeur de foire internationale. Pour m’en débarrasser je vais sonner chez mon voisin au bout de l’impasse, que je sais tremper parfois dans des transactions pas toujours claires, qui saura  certainement mieux que moi démêler le vrai du faux dans cette histoire et sans doute envoyer paître l’importun. Quand je les laisse, ils discutent sur le pas de la porte, de manière très animée, et moi j’entame enfin la promenade ainsi retardée, à la grande joie de mon molosse.

    Plus tard, mon voisin m’a remercié, disant qu’il avait fait une affaire très juteuse. Il a acheté l’ensemble encore moins cher que prévu, avec une facture tout à fait régulière, et il l’a revendu ensuite à des particuliers avec un bénéfice confortable…

    L’individu louche, finalement, ne l’était pas tant que cela, et son histoire étrange était sans doute vraie…


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment



    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :