• Retrouvailles

    Ce matin-là, après une nuit de bon sommeil, tout allait bien. Un rayon de soleil entrait par la fenêtre ; je me réjouissais des rendez-vous prévus dans la journée qui allaient enfin résoudre quelques problèmes, et je m'enchantais de la rencontre avec mon frère que je n'avais pas vu depuis un an. Mais un coup de téléphone allait tout changer...

    Je finissais de me raser en chantonnant, quand la sonnerie retentit. Qui pouvait bien m'appeler en cette heure matinale ? J'essuyai rapidement le reste de mousse qui couvrait mon visage, et je me précipitai au salon décrocher le combiné.

    • Allô, dis-je comme il se doit
    • Salut frangin, répondit Julien d'une voix tendue. Je suis dans le pétrin, je t'expliquerai, mais il faut que je vienne chez toi tout de suite. Ne pars pas et attends-moi s'il te plaît. Je suis là dans un quart d'heure.
    • Qu'est-ce qui se passe qui ne peut attendre ce soir ? Dis-moi ça en deux mots...On devait dîner ensemble à l'Archestrate et se raconter autour d'un repas succulent ce qu'on avait fait depuis tout ce temps.
    • Non, non, je n'ai pas le temps, il faut que je vienne tout de suite, attends moi je t'en prie, c'est important.Sa voix était altérée et semblait refléter une grande préoccupation, mais moi aussi j'avais des choses importantes à faire en ce jour qui commençait si bien. Je tentai un compromis.
    • Bon, viens vite, mais je ne pourrai pas te garder longtemps, j'ai deux rendez-vous ce matin, et je déjeune avec Camille. (Camille, c'est ma copine)Je n'avais pas fini ma phrase qu'il avait déjà raccroché. J'étais en train de prendre mon petit déjeuner quand on sonna. Il avait fait vite en effet. J'ouvris la porte rapidement, prêt à lui tomber dans les bras...et je me trouvai subitement devant un gars grand et costaud qui m'empoigna et me repoussa pour entrer dans la pièce sans attendre que je l'invite. Derrière lui suivit un autre homme plus petit mais à l'air vraiment mauvais qui tenait solidement mon frère le bras tordu dans le dos et claqua la porte d'un méchant coup de pied.Les deux individus, bruns et basanés, avaient des têtes d'indépendantistes corses. En fait ils étaient corses, comme je l'appris peu après, mais pas indépendantistes. Suffoqué, j'élevai la voix pour leur demander ce qui leur prenait de s'introduire comme ça chez moi et de brutaliser mon frère, mais je n'en menais pas large. J'essayais juste de fanfaronner pour reprendre mes esprits et tenter de dominer la situation. Le premier me regarda de travers, s'assit sur mon canapé et, d'un ton comminatoire, m'intima l'ordre de m'asseoir aussi, pendant que l'autre, le patibulaire, après avoir lâché mon frère, restait près de la porte au cas où nous aurions eu des velléités de fuite. Julien, livide, s'écroula sur une chaise, me jetant en coin un regard penaud. Il avait l'air coupable.Le grand balaise prit la parole, s'adressant à moi.
    • Voilà ce qui se passe mon gars (il avait bien l'accent corse). Ton frère, il a séduit notre sœur, et ça on n'est pas d'accord. Te trompes pas, on n'est pas des attardés du siècle d'avant, avec les histoires d'honneur et tout ça, mais il y a quand même des règles à respecter : le mec avec qui elle sort, il ne doit pas lui causer du tort, et ton frangin, eh bien il a pas été correct. Il lui a promis le mariage, on a même commencé les préparatifs des fiançailles, et puis un beau jour il s'est tiré sans rien dire à personne. Nous on laisse les gens libres de faire ce qu'ils veulent, mais on doit être correct. Et lui, il s'est mal conduit. Ma sœur elle pleure, elle a perdu sa réputation, et nous on a engagé des frais. Tu me suis ? On veut des réparations.Je tombais des nues. Je rétorquai :
    • Mais qu'est-ce que j'ai à voir là-dedans ? Je ne connais rien de la vie privée de mon frère, je ne l'ai pas vu depuis un an, on ne s'est même pas téléphoné ! Fabien, c'est quoi cette histoire ?Fabien avait l'air très gêné. Il répondit en regardant le sol :
    • J'ai rencontré Carmen l'année dernière, et au début j'ai vraiment cru avoir trouvé la femme de ma vie, au point de la demander en mariage. Mais c'était trop tôt, j'aurais dû réfléchir un peu plus longtemps. Quand je suis parti, ça n'allait plus très bien avec elle, elle s'en rendait compte mais elle s'accrochait, elle n'osait pas revenir en arrière : avec les mœurs des corses, même modernes, ça lui aurait coûté cher.En entendant ces mots, les deux frères renâclèrent, mais Fabien continua.
    • Je ne savais pas quoi faire, si on se mariait ça aurait vite mal tourné, si on rompait nos vœux officiellement, elle en aurait pâti. Alors oui, j'ai sûrement été un peu lâche, et je me suis tiré sans rien dire, je ne pensais pas qu'ils me suivraient sur le continent pour régler leurs comptes avec moi, et d'ailleurs je ne pensais pas qu'ils pourraient me retrouver. Maintenant je suis dans la mouise, si tu pouvais faire quelque chose...
    • Elle est bonne celle-là ! Qu'est-ce que tu veux que je fasse dans cette affaire qui ne me regarde pas et que je ne connaissais pas il y a cinq minutes ?Le grand frère reprit la parole :
    • C'est pas difficile. On veut qu'il rembourse les frais des fiançailles, et pour le préjudice moral, on estime que ça vaut 10000 €. Il allonge ça, et tout va bien. Sinon, je ne sais pas, mais mon frangin ici présent il n'est pas aussi conciliant que moi, je te dis que ça.

    Le frangin se fendit d'un sourire carnassier, exhibant des dents d'un blanc éblouissant.

    Je compris soudain pourquoi Fabien avait repris contact avec moi quelques jours auparavant, après une aussi longue période sans aucun signe de vie, même pas un SMS. Il n'avait pas d'argent et comptait sur moi pour rembourser sa dette « morale ». Ou alors ils étaient de mèche pour m'extorquer de l'argent.

    Une partie de la matinée se passa ainsi à palabrer, à négocier, avec des moments d'énervement, des coups de gueule, mais aussi des questions sur la sœur et des digressions sur la mentalité corse. J'en tirai la conclusion que mon frère était vraiment en mauvaise posture, et qu'il fallait en effet que je fasse quelque chose pour lui. De mauvaise grâce, après un âpre marchandage, je fis un chèque de 8000 € fiançailles comprises, me promettant d'y faire opposition dès que les bandits corses seraient partis.

    Quand ce fut terminé, j'avais perdu une belle somme, raté mes rendez-vous d'affaires avec le profit juteux qui s'annonçait, décommandé le déjeuner avec Camille qui me fit la tête pendant quelques jours. J'avais en compensation sauvé la mise à mon frère, mais c'était une piètre consolation car, à peine étions nous enfin seuls qu'il se comporta comme si rien ne s'était passé, à peine me remercia t-il avant de s'installer comme s'il était chez lui. De plus, le soleil s'était caché, l'orage grondait et la pluie frappait mes carreaux. J'étais d'humeur calamiteuse. Je me vengeai en annulant le dîner à l'Archestrate et en commandant des pizzas par téléphone.

    Comment une journée qui s'annonçait aussi bien avait-elle pu se transformer en un tel cauchemar ?

     


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