• Rencontre sur un pont

     

    Il était tard, mais il me fallait sortir pour respirer, après cette journée épuisante. Je marchais vite dans l'air chaud du soir, il n'y avait personne, et mes pas me menèrent rapidement à la sortie du bourg, vers le dernier pont, le vieux pont, sur lequel passait une voie étroite peu utilisée.

    Soudain, je me fige : debout, me tournant le dos, une silhouette gracile et féminine oscille doucement sur le parapet de pierre, chantonnant sur un rythme lent une mélodie syncopée que je ne peux m'empêcher de trouver triste et angoissante. En un instant, j'imagine que le pire va se produire, et je me demande ce qu'il me faut faire. M'approcher en silence, puis me précipiter et la saisir dans mes bras avant qu'elle ne se jette dans le vide ? Trop aléatoire, trop dangereux. M'en aller, et laisser le destin décider de son sort ? Pas possible, trop lâche. Sortir mon portable et appeler la police ou les pompiers ? Trop long, elle n'allait sûrement pas rester des heures à bouger comme ça, et puis ce serait une manière de se dérober.

    En fait, rien de tout cela ne fut formulé dans mon esprit, car je me mis spontanément à lui parler, presque comme si toute cette situation était normale, sans réfléchir à ce que j'allais dire, simplement parce que je sais que la parole rapproche :

    « Hello ! (un temps). Vous n'avez pas le vertige ? Moi, en vous voyant bouger comme ça, j'en ai les jambes tremblotantes, et des frissons jusqu'en bas du dos. Si j'étais là-haut, j'aurais une frousse de tous les diables, à en tomber dans les pommes...! (d'un air implorant) S'il vous plaît, descendez, vous me faites peur...! »

    Au moment où je commence à parler, elle s'arrête de chanter, se retourne et s'immobilise, en équilibre sur un pied nu. Cela me fait frissonner, car je vois l'étroitesse du parapet, et je sais que l'eau, à dix mètres au dessous, n'est pas profonde.

    Tendre la main, voilà ce que vais faire, et que je me décide à faire, plein d'appréhension. Tout va se jouer maintenant, le temps s'étire et s'arrête, un instant en suspens, infiniment long. Elle repose lentement son pied, me regarde fixement, puis soudain s'accroupit et étend les bras. Les mains s'agrippent, je pousse intérieurement un soupir de soulagement, elle descend de son perchoir avec une incroyable agilité, et au moment où je m'apprête à lui faire une leçon de morale, ne voilà t-il pas qu'elle sourit, se recule et me dit :

    « Ah, si vous voyiez votre tête ! Vous êtes tout pâle, mon pauvre monsieur, je vous ai fait peur à ce point ? Ne craignez rien, j'aime bien bouger tout le temps, grimper n'importe où, travailler en permanence mon équilibre : je suis trapéziste dans le cirque qui vient de s'installer ! »



     


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