• Dans mon adolescence, vers mes dix sept ans, j'avais un ami très proche qui s'appelait André. Il avait deux ans de plus que moi, nous étions dans la même classe de première d'un internat situé dans le Vexin français. Il habitait Paris, ou plus exactement Vincennes, si bien qu'une fois par mois il pouvait rentrer chez lui passer un week-end, alors que mes parents résidaient en Allemagne où je ne me rendais que tous les trois mois.

    Quand il revenait de ses week-ends, il me racontait par le menu tout ce qu'il avait fait. Il était intarissable sur ses petites amies, dont il me faisait une description détaillée, laissant entendre qu'elles étaient toutes folles de lui et qu'avec certaines d'entre elles les choses allaient très loin. « Ah ! Qu'est ce que j'ai mal aux lèvres, me disait-il, on a passé des heures à se bécoter ! » Moi, c'est à ses lèvres que j'étais suspendu, mais il me traitait de puceau quand je lui posais des questions précises auxquelles il répondait rarement. Il était pour moi une sorte d'idole, celui qui savait y faire avec les filles, et j'essayais de retenir les recettes que je croyais déceler dans ses récits, afin de pouvoir enfin « passer à l'attaque » avec quelques chances de succès et perdre enfin cet horrible statut de « puceau »...

    Il était bien de sa personne, de taille moyenne, avec une belle chevelure blonde dont il soignait les mèches avec beaucoup d'attention. Il souriait rarement, et l'air sévère qu'il arborait en permanence faisait, paraît-il, partie de son charme : les filles, me disait-il encore, aiment les hommes mystérieux, et si on rit et plaisante trop, le mystère disparaît, et avec lui les chances de succès. Alors, je m'entraînais à avoir l'air revêche quand nous sortions en ville le dimanche après-midi et que nous croisions des groupes de filles qui nous lorgnaient en catimini tout en pouffant. Je comptais sur lui pour les aborder, mais cela ne s'est jamais produit. Il ne les regardait pas,  gardant un air hautain que j'essayais d'imiter alors que j'avais envie de sourire en croisant leur regard.

    Après le bac, nous nous sommes perdus de vue, jusqu'à une date récente. J'ai fait une recherche sur « Copains d'avant » et nous avons pu ainsi renouer le contact, qui s'est concrétisé par un bon déjeuner un peu plus tard. Il n'avait plus sa mèche enjôleuse, il était d'ailleurs presque chauve, et il souriait beaucoup plus qu'autrefois. Nous nous sommes évidemment raconté nos vies, et rappelé nos souvenirs communs, jusqu'à ce que je l'interroge sur ses conquêtes d'adolescent. Il s'est esclaffé, puis est redevenu sérieux, me regardant attentivement, d'un air que j'ai jugé hésitant. Après un long silence, il m'a dit enfin :

    - Tu vas sûrement me trouver hypocrite ou bizarre, mais il faut que je te dise deux choses. D'abord, je ne m'appelle pas André, mais Bernard. Personne ne l'a jamais su, je trouvais que Bernard faisait ringard, alors qu'André sonnait mieux. J'avais honte de mon prénom, j'en ai pris un autre. Ensuite, tout ce que je t'ai dit sur mes conquêtes, c'était des bobards. Je n'avais pas de petite amie, je m'ennuyais chez mes parents, je tournais en rond dans la maison en imaginant des histoires qui m'arrivaient avec les filles que je voyais passer devant ma fenêtre. Et comme tu buvais mes paroles, j'en ai rajouté, c'était bien d'être admiré, de passer pour quelqu'un qui savait y faire ! Mais j'étais comme toi, en fait, timide et...puceau, moi aussi.

    D'ailleurs, pour tout te dire, la première fille avec qui je suis sorti, c'est la femme que j'ai épousée. Je lui ai tourné autour très longtemps, trop sans doute, car au bout d'un certain temps, comme je n'agissais pas, c'est elle qui a pris les choses en mains. Moi, je croyais que je ne pourrais jamais y arriver !


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  • Vous n'allez pas me croire, mais pourtant c'est vrai : je viens de gagner le gros lot à Euromillions, et ce coup-ci, cela se monte à un peu plus de 100 millions d'euros ! Je suis complètement chamboulé, moi qui n'avais du hasard qu'une conception lointaine, qui ai toujours pensé que c'était quelque chose qui n'arrivait qu'aux autres, comme les accidents de voiture ou le cancer des testicules.

    Figurez-vous qu'en apprenant la nouvelle, la première chose qui me soit venue à l'esprit c'est de savoir combien cela faisait en billets de 10 euros ! Aussi, après avoir raccroché mon téléphone avec la Française des Jeux, je me suis précipité sur un billet et j'ai calculé à toute vitesse. Cent millions d'euros, en billets de 10, c'est facile, cela fait 10 millions de billets. Avec une épaisseur de 0,1 mm, on arrive, croyez-moi sur parole, à 1 km de billets empilés les uns sur les autres ! Trois fois la tour Eiffel ! Ensuite, j'ai mesuré la longueur et la largeur, soit 12,8 cm et 6,7 cm, donc une surface de 85 cm². On arrive ainsi à une superficie totale de 8,5 hectares... ! Vous vous rendez compte ? À la fin, je crois que j'ai un peu perdu les pédales, car j'ai imaginé que j'achetais une maison de plusieurs centaines de m², dont je couvrais les murs et les plafonds de billets de 5, de 10, de 20, de 50, de 100 et pourquoi pas aussi les toilettes en billets de 500 pour ce précieux endroit. C'était bien sûr un fantasme, j'aurais eu trop peur des voleurs, et plus encore des tagueurs venant barbouiller mon trésor. Tout comme j'ai caressé le projet de me faire livrer mon dû en petites coupures usagées...

    L'incongruité de cette pensée m'a fait redescendre sur Terre, et après avoir souri jaune, j'ai commencé à avoir peur. C'est une chose de créer une entreprise, de la faire prospérer peu à peu, en travaillant, en organisant, en la développant, pour être riche à millions quelques années plus tard. C'en est une autre de passer du jour au lendemain de l'état de smicard à celui de gros richard en train d'étouffer sous un tombereau de billets sans avoir rien fait d'autre que cocher quelques chiffres sur un ticket. Quelque part, ce n'est pas normal. Passe encore de gagner quelques centaines ou milliers d'euros, mais cent millions ! Non, c'est indécent, presque obscène. Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire de ce fric ?

    Deux jours plus tard, après de mauvaises nuits, j'en suis toujours au même point, ou presque. Comme l'aurait fait n'importe qui, il me semble, je commencerais par éponger mes dettes pour être tranquille, je prélèverais deux ou trois millions pour faire des cadeaux à la famille proche, m'acheter ou faire construire une maison à énergie zéro, parce que je suis écolo et que je veux faire travailler des entreprises françaises, mais sûrement pas le palais de Versailles. Et quelques autres trucs pas très coûteux juste pour me faire plaisir sans exagérer. Pour le reste, c'est à dire en gros 98 millions, je n'ai aucune idée.

    En fait, cette histoire démesurée commence vraiment à me courir sur le haricot, comme on dit encore. J'étais bien tranquille, avec mon petit salaire, un boulot pépère, mon tiercé du dimanche, ma copine pas farouche et pas collante, mon petit tour sur les ronds-points avec les gilets jaunes quand c'est la saison. Alors que maintenant tout le monde va savoir que je suis un sale capitaliste et me coller au train pour me soutirer un maximum de pèze, sans parler des nénettes qui ne me regardaient même pas et pour qui je vais devenir l'amour de leur vie.

    Oui, plus j'y pense et plus l'idée fait son chemin : il va absolument falloir que je me débarrasse de ce fardeau qui me pourrit la vie (à part la maison écolo). Pas jeter mes billets de 10 euros dans les poubelles du quartier, j'aurai des ennuis. Refiler ça à des tas d'organisations caritatives ? Possible, mais c'est d'un banal ! En plus elles voudraient sûrement me remercier et me refiler une médaille ou une plaque commémorative. Créer une « fondation » ? J'ai entendu ça quelque part, mais je ne sais pas comment ça marche,  faudrait que je m'y mette. Et puis d'abord, une fondation pour quoi faire ? La maladie ? La faim dans le monde ? Les nouvelles technologies ? Les vaccins futuristes ? Ou alors me payer un petit tour dans l'espace ? Ou acheter un club de foot ? Ou payer un café à 67 millions de français ?

    Non tout ça ne va pas. Je suis obligé de me mettre à penser sérieusement, ça va me changer de mes habitudes. Je vois bien maintenant qu'avoir de l'argent, c'est avoir du pouvoir, et plus tu en as, et plus tu es puissant.  Enfin je crois. Et j'ai pas envie d'être puissant, c'est la porte ouverte aux ennuis., et puis c’est fatigant


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  • Jean, organisateur d'un colloque scientifique en Italie, est revenu brièvement à Paris pour assister à l'accouchement de sa femme. De retour à Turin, il lui écrit plusieurs lettres, dont celle-ci, une semaine après la naissance de sa fille.

    Turin, 19 octobre 1970

    Mon amour,

    Tes dernières lettres, ma chérie, sont je crois les plus belles que j'ai reçues de toi et m'ont profondément ému : j'ai vraiment l'impression, la certitude maintenant, que cette petite fille qui nous est venue est un lien plus puissant que tout ce qui pouvait exister auparavant entre nous. La première nuit après mon retour forcé en Italie, j'ai dormi comme une pierre, épuisé par cette nuit si douloureuse et si émouvante où notre fille est née. Mais la deuxième nuit, j'ai rêvé de toi et d'elle. Je la voyais, dans son lit en osier pourvu de petits barreaux entre lesquels passaient ses jambes minuscules, essayant en vain de descendre en rouspétant, et toi la calmant et la remettant dans ses draps en lui faisant une leçon bienveillante. J'étais très heureux en me réveillant. Je me souviens très bien de son visage rose, et du tien, si détendu.

    Il est bientôt 21h et je pense à toi qui dois bientôt t'endormir, ayant à ton côté notre petite fille d'une semaine déjà. Il y a sept jours, à cet instant, tu passais par des alternances de sérénité et d'angoisse, de sourires radieux et de larmes. Je nous revois tous deux seuls dans la salle d'accouchement, les douleurs se faisaient de plus en plus fréquentes, tu respirais à chaque fois comme on t'avait appris à le faire, tu crispais ta main dans la mienne, tu avais mal et je ne pouvais rien faire sinon t'encourager, caresser tes cheveux, ayant moi aussi mal de te voir souffrir. Mon Dieu, si tu savais combien j'aurais voulu alors être à ta place et endurer pour toi, ou plutôt partager avec toi tes souffrances ! Peut-être, vas-tu dire, que cela est facile à dire, puisque je ne pouvais le faire – tu l'as dit d'ailleurs, sous le coup de la douleur – mais tu dois savoir combien cela est sincère et vrai. Et puis bébé est arrivée, et cela est quelque chose de tellement beau et émouvant, la venue au monde d'un petit être nouveau, d'une étincelle de vie qui ira chaque jour en se raffermissant, se développant, et croissant en beauté, en force et en intelligence. Et toi, si tu avais pu voir ton visage, te voir tout entière à ce moment là, ton visage pur, débarrassé de tout ce que les conventions ont pu y mettre et l'éducation y cacher, et où ne subsistaient plus que les sentiments vitaux, primitifs, vrais et nus : la douleur, l'attente, l'effort, la joie et le soulagement enfin...Ma petite femme était à ce moment là si pure, si vraie, si « elle-même », dégagée de tout ce qui nous entourait ! Je crois que c'est dans ces instants là que peut réellement apparaître la vraie beauté, dans ces moments où l'émotion vitale au paroxysme ne laisse plus rien subsister en dehors d'elle-même. Amour des époux qui conduit à la naissance d'une vie, beauté de ce moment qui crée un petit être neuf et vierge, beauté de l'effort et de la douleur qui conduisent à cette création. Mon amour, je t'assure que j'ai vécu là, par toi et avec toi, un moment extraordinaire de grâce, d'émotion et de justification. Pourquoi justification ? Parce que j'ai maintenant l'impression d'avoir vraiment créé avec toi quelque chose qui justifie notre vie ici bas, qui lui donne du sens ; émotion, parce que des liens nouveaux et puissants se sont créés entre toi et moi qui te rendent encore plus chère à mon cœur.

    Mais j'ai hâte de savoir ce que devient notre fille, ce qu'elle fait, bien qu'elle ne doive pas faire grand chose en dehors de ses fonctions essentielles : manger, dormir, salir ses langes et ...pleurer (mais cette dernière fonction n'est sûrement pas essentielle !). J'ai toujours et souvent à l'esprit son visage de petit être pas encore réveillé, et cela avec une acuité étonnante, ainsi que ton beau visage au moment où bébé était presque au monde et que tu faisais les derniers efforts en me demandant : « Dis, ça y est ? Il est là ?... » d'une voix entrecoupée, en me serrant très fort le bras. Cette image de toi est maintenant gravée au plus profond de mon âme, comme celle de la magie liée au mystère de la naissance et de la vie.

    Je n'arrive pas à me faire à l'idée que je suis papa, et toi une jeune femme maintenant maman. J'ai hâte de vous voir toutes les deux, et je compte les heures en attendant ce moment avec une impatience que tu n'imagines pas.

    Je vous embrasse, mes deux amours.

     


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  • Julien rentre très tard chez lui, sa femme l'attend, furieuse, et le prend à partie dès son arrivée. Il tente de se défendre.

    Ecoute chérie, on ne va quand même pas se fâcher pour ça ! Tu sais bien que je t'aime, je te le dis chaque jour depuis plus de trente ans, et je ne fais pas que le dire, je te le montre aussi ! Alors pourquoi tu m'en veux pour ce qui est arrivé ? Je te l'ai dit, j'ai été pris par surprise, et ça m'a laissé sans réaction. Je n'ai rien pu faire d'autre que laisser se dérouler le cours des choses.

    Quoi ? ?? Résister ? Résister, oui, on peut toujours le dire, mais résister ce n'est pas si facile, surtout dans des circonstances particulières...Non, je n'essaie pas de me justifier, je n'ai pas à le faire, ça devait arriver, c'est tout, c'était écrit quoi que je fasse, donc je ne me sens pas coupable. D'ailleurs, je ne me souviens plus vraiment des événements exacts, c'est comme si ça n'avait jamais eu lieu.

    Ecoute chérie, arrête donc de crier, ce n'est pas la fin du monde, on a déjà eu des périodes difficiles dans le passé, non ? Et là c'était toi qui avait à te justifier, avoue que je ne t'ai pas embêtée, non ? Alors que c'était pire !

    Mais oui, bien sûr, la meilleure défense c'est l'attaque ! Sans doute, mais ce n'est pas le cas ici, je ne t'attaque pas, je ne fais que dire la vérité, et si tu continues comme ça je vais finir par m'énerver pour de bon. J'aimerais bien que tu te calmes, qu'on discute tranquillement et qu'on n'en parle plus.

    Là... C'est mieux...Je vais te raconter ce qui s'est passé, enfin ce dont je me souviens. D'ailleurs, j'aimerais bien savoir comment tu l'as su, on n'était que quatre, c'est sûrement l'un d'eux qui a mangé le morceau, sans doute Michel, je sais bien qu'il a des vues sur toi depuis longtemps, ce saligaud, il a dû penser qu'il se ferait bien voir. La prochaine fois que je le vois, je lui casse la figure.

    Comment ça ce n'est pas lui ? Tu cherches à le protéger ? Bravo ! Oui oui cause toujours, ce n'est pas parce que je suis rentré tard, complètement à l'ouest et les vêtements en désordre, que tu as deviné avec autant de détails.

    Ah oui, bien sûr, le coup de l'intuition féminine ! Et que tu me connais mieux que moi-même ! Elle est bonne celle-là ! Arrête de pleurnicher, tu ne m'auras pas comme ça, tu sais que c'est mon point faible et tu en profites une fois de plus.

    Oui, c'est vrai, j'avais promis de ne plus recommencer, mais c'est dur, tu ne peux pas savoir ! Cette fois-ci, c'est juré, c'est fini, fi-ni !

    Tout ça parce qu'avec mes vieux copains qui m'ont relancé on s'est payés une soirée sympa, avec juste un petit joint, une ligne de coke et une bouteille de whisky ! C'était écrit, je te dis, j'ai pas pu résister...

     


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  • Je viens de me réveiller. J'ai les yeux ouverts. Pourtant je ne vois rien. Il doit faire nuit. Ou alors je suis aveugle. Non, je ne suis pas aveugle, je le saurais. Comment ça ? Attends. D'abord, où suis-je ? Quelque chose ne va pas. Quoi ? Je me souviens de … De quoi ? Je cherche, mais rien ne vient. Ça m'est déjà arrivé quand j'étais petit, quand je me réveillais, pendant un moment je ne savais plus où j'étais. Tiens, je me souviens quand même de ça. Donc ça va passer. Mais je ne suis pas dans mon lit, ici, il y a des trucs durs dans mon dos. Je tâtonne. Des cailloux. Je suis donc dehors ? Oui, sûrement, car j'ai froid, je m'en rends compte maintenant. Je bouge un peu, mais ça me fait un mal de chien, au bras et à la tête. Je touche ma tête, il y a du liquide qui coule. Du sang ? Je ne sais pas. Je suce mon index, ça a bien le goût ferrugineux du sang. Donc je suis blessé à la tête, et aussi à mon autre bras, que je ne peux bouger sans hurler. Si je hurle, quelqu'un va peut-être venir. J'essaye. « Au secours ! ». Je recommence « Au secours ! ». Mais c'est faible,ce ne sont pas des hurlements, plutôt des râles ou des croassements. Personne ne va m'entendre. En plus, ça me fatigue. J'arrête de bouger. Il faut que je réfléchisse. Que s'est-il passé ? Je ne me souviens pas. Et avant ? Rien non plus. L'angoisse m'envahit. Je suis qui ? Je cherche, ça ne vient pas. Mon père, ma mère, à quoi ressemblent-ils ? De vagues images me traversent, des visages, des lieux. Mais je ne peux rien dire à leur sujet. Ça va revenir, c'est en n'essayant pas de se souvenir à toute force que ça revient, tout seul. J'ai quel âge ? Encore du flou. Mais je ne suis plus un enfant, mon corps me le dit. Et puis je ne raisonnerais pas ainsi. Je reste tranquille, même si l'affolement est tout près. Je récapitule vite fait. Il m'est arrivé quelque chose qui m'a blessé. Je suis dehors et il fait nuit. Je suis seul a priori. Je ne me souviens de rien, en dehors du langage et de tas de choses générales. Par exemple, je sais ce que c'est qu'une voiture, une maison, la mer, le ciel. Mais rien sur les gens. C'est comme quand on cherche le nom de quelqu'un et qu'on l'a sur le bout de la langue sans qu'il sorte. Des idées me traversent l'esprit. C'est sans doute un accident de voiture, je ne vois rien d'autre. Ou plutôt cela pourrait être bien des choses, sur lesquelles je ne peux rien dire, car je ne me souviens pas des gens qui m'entourent. Je pense aux romans policiers, où plein de gens veulent du mal au héros. Il faut que je fasse quelque chose. J'essaie de me soulever, mon bras gauche est inerte, ou plutôt je ne peux le bouger sans qu'une douleur insoutenable le traverse. Il doit être cassé. J'arrive à m'asseoir. Je halète comme pour un accouchement sans douleur, ça diminue la souffrance. Je veux me mettre debout, mais je retombe. Je ne peux pas. Le mieux c'est d'attendre qu'il fasse jour. Mais je vais crever de froid, déjà je tremble. Quelque chose me serre le cou, je le touche de mes doigts. C'est une corde. Je la desserre pour mieux respirer, elle entoure ma gorge qui, elle aussi, me fait mal. Que s'est-il donc passé ? On a voulu me pendre ? J'ai essayé de me suicider ? Ce n'est pas possible, je suis dans un thriller ou alors je suis désespéré. Non, je ne suis pas désespéré. Si c'était ça, mémoire ou pas, je le serais toujours, alors que là, j'ai vraiment envie de m'en tirer vite fait. Mais si on a voulu me pendre, « ils » ont raté leur coup, ce sont des andouilles, quand on pend quelqu'un on le laisse pas ensuite par terre sans vérifier qu'il a bien trépassé. Ah, la lune sort un peu des nuages. Je jette un coup d'oeil à droite et à gauche, mais la lueur est trop faible. Il y a bien quelque chose sur ma droite, une forme oblongue indéfinissable. Je vais aller voir ce que c'est. Je me déplace, centimètre par centimètre, je souffre, mais je ne vais pas rester là à me morfondre. J'arrive au tas, je tâte avec précaution, c'est du tissu. C'est un homme. Ou une femme ? Allongé là sans bouger. Je secoue autant que je peux. Aucune réaction. Mes doigts explorent, je touche une masse molle qui me fait penser à un sein. C'est donc une femme. Mais qu'est-ce qu'elle fout là ? Et moi, qu'est ce que je fous là ? C'est quoi cette histoire à dormir debout ? Ma main arrive au visage, je ne sens aucun souffle. Le visage est froid, mais ça ne veut rien dire. Je suis complètement paumé, je ne sais pas quoi faire. Sauf que j'ai oublié que je dois disposer d'un portable, et je fouille dans ma poche. Oui, la mémoire doit me revenir, sinon j'y aurais pensé dès mon réveil. Mais au moment de l'allumer, je n'ai aucun numéro en tête. La liste de contacts ne me dit rien. Je fais le 18.

    • Caserne de pompiers de Houdan, j'écoute.Houdan ? Ce nom me dit quelque chose. Ma voix tremble quand j'éructe d'une voix faible :
    • Allô ? J'ai dû avoir un accident, j'ai le bras cassé et il y a une femme morte près de moi. Venez-vite, j'ai mal.
    • Calmez-vous Monsieur, dites-moi où vous êtes, on va venir vous chercher.
    • Je sais pas.
    • Dites-moi votre nom.
    • Je sais pas.Un bref silence
    • Vous allez bien ?
    • Oui, oui, mais venez vite !
    • Que pouvez-vous me dire sur vous ?
    • Rien. Je crois...je crois que j'ai eu un accident et j'ai perdu la mémoire. Un silence un peu plus prolongé. Enfin :
    • On va essayer de vous localiser avec votre portable, mais ça n'est pas précis et ça va être sans doute un peu plus long. Je reste avec vous, parlez-moi de tout ce que vous pouvez vous rappeler. L'équipe est partie, tout va aller bien.

    À suivre...

     


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