• Oui...ou non ?

    14 février 1971. Un grand jour !

    Ça y est ! J'ai osé ! J'ai hésité, mais je l'ai fait ! Yes I can I can I can ! J'ai dit non ! Je lui ai dit non ! Fallait voir sa tête... Je l'avais prévenu, il ne m'avait pas crue. Il avait pris ça pour une lubie, un mouvement d'humeur passager, c'est vrai que je change souvent d'avis, mais aussi il est toujours tellement sûr de lui, à me dire toujours ce que je dois faire, penser, dire, ne pas dire, et j'en passe. Il faut toujours que je sois à l'image de son idée de la femme parfaite. Pourtant, il n'est pas idiot, mais si autoritaire, si conventionnel à sa manière, on le croirait pas qu'il était trotskyste il n'y a pas si longtemps. Il devrait pourtant savoir qu'une femme à sa botte ça doit être invivable, super ennuyeux. Qu'avait-on besoin de cette cérémonie, juste pour légaliser et pour le montrer ! Ça fait trois ans qu'on vit ensemble, qu'on travaille ensemble, bref qu'on fait tout ensemble. On s'aime, mais bien sûr, ça crie, ça casse parfois, je l'insulte même quand il me met en rage avec ses allures de jeune cadre bien mis, ses mots doux, ma chérie par ci, calme toi, viens me faire un câlin, ça ira mieux après, et gnan et gnan et gnan...Alors j'ai dit non quand le maire a sorti son verbiage sur l'amour, la fidélité, le soutien, les enfants, pour finir sur l'inévitable « Voulez-vous prendre pour époux Monsieur Machin ? » Là je pouvais pas, je m'étais obligée déjà à accepter de venir vu son insistance, mais j'imaginais pas que ce serait comme ça, convenu, plein d'eau de rose et de vaseline, alors j'ai dit non. Fallait voir la tête de Jean ! J'en aurais presque rigolé, la bouche béante on lui voyait la glotte, les yeux exorbités, les mains tremblantes qui tenaient l'anneau, les épaules tombantes. Pas beau à voir ! Mais je n'ai pas ri, fallait quand même pas exagérer, sous la cendre couve la braise, il aurait pu me refiler une torgnole, une bonne, méritée éventuellement car j'aurais pu lui dire avant plus fermement que je ne voulais pas, mais il aurait pu s'en douter vu qu'il me connaît bien et qu'on a fait les barricades ensemble en 68. « Non ? » a dit le maire, estomaqué lui aussi. Je lui ai répété « Ben non, c'est lui qui veut, pas moi » et je lui ai souri.

    Puis j'ai regardé mon amour, mon Jean, mon Jeannot comme je l'appelle, parce qu'il faut pas croire que « non » ça veut dire que l'amour est fini, que la guerre commence, que la méchanceté va tout envahir. « Non », ça veut dire juste arrêter ces simagrées, tout juste bonnes à faire plaisir à beau papa et surtout belle maman, ils avaient déjà mis la veille une annonce grosse comme ça dans le Figaro.

    Alors je lui ai caressé la joue, je lui ai fait mon plus beau sourire, et je lui ai dit que je l'aimais et que je le suivrai jusqu'au bout du monde mais qu'ici ce n'était pas le bout du monde, et je lui ai serré les doigts, on s'est retournés, il s'est laissé faire et on est sortis la main dans la main sous l'oeil médusé de l'assistance, pas nombreuse c'est déjà ça, et comme je n'avais pas voulu de robe blanche à fanfreluches, je me suis pendu à son cou sur le perron, il m'a soulevé dans ses bras en soupirant, mais j'ai vu qu'il ne m'en voulait pas trop, on est montés dans le taxi prévu pour aller au restaurant, et on a ordonné au chauffeur de nous emmener au bout du monde il a demandé où c'était et comme on savait pas on lui a dit de rouler et qu'on verrait après.

    Et c'est là qu'on a éclaté de rire, car en démarrant ça a fait un bruit d'enfer, pardon de casseroles, des rigolos avaient attaché des ustensiles au pare-choc arrière, et on est partis vers on ne sait où sans le dire à personne et on se murmurait des choses mais on n'a rien entendu même pas les vociférations de la famille qui croyait qu'on avait manigancé tout ce tintouin rien que pour les embêter et leur faire dépenser des sous.



    Post scriptum : après, longtemps après, on n'est toujours pas mariés, mais on a vécu très heureux ensemble et on a eu beaucoup d'enfants.

     


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment



    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :