• Moments uniques

    L'autre jour, sans réfléchir, j'ai dit devant quelques amis de mon âge :

    « Quand on se retourne sur sa vie, on a l'impression qu'il ne s'est rien passé d'important, rien de notable : ce qu'on a vécu aurait pu arriver à n'importe qui, cela aurait été pareil. »

    Maintenant, y repensant, je crois que j'avais tort, et je me suis dit à moi-même :

    « Chaque instant, chaque moment est unique, et personne ne le vivra comme tu l'as vécu, toi et toi seul. »

    Alors, rappelle toi, et n'oublie pas :

    • à la lisière de la forêt, le bruissement du vent dans les arbres, qui t'a rappelé le moment où, dans les rues désertes de « L'éclipse » d'Antonioni, le temps est comme suspendu avant le rendez-vous de Delon avec Monica Vitti qui ne viendra jamais,

    • le sentiment de faire partie de la Terre quand, adolescent, tu t'es couché face au sol une nuit d'été, les mains dans la poussière et l'herbe qui te caressait la joue,

    • la compréhension de l'infini qui t'envahit à chaque fois que tu lèves les yeux, la nuit, avec ces milliards d'étoiles, et le jour, quand passent, silencieux, les nuages dans le bleu du ciel, et qui t'abandonne quand tu reviens sur Terre,

    • la prose de Julien Gracq, dont la beauté hérisse ta peau, mais que tu n'arrives pas à lire plus de quelques minutes,

    • la dernière fois que tu as été ivre, à la suite d'un pari stupide avec tes camarades. Tu as été tellement malade que tu n'as jamais plus recommencé,

    • l'espèce de jubilation qui t'a saisi quand tu as lu la première fois les « Fictions » de Jorge Luis Borgès, et qui te saisit encore un peu à chaque fois que tu en relis des passages,

    • quand tu as dit à un copain qui t’avait bousculé dans la file devant le réfectoire, que « tu l’attendais à la sortie ». A la sortie, tu avais oublié, pas lui. Il t’a collé un gnon avant que tu puisses dire ouf,

    • le premier livre de science-fiction que tu as acheté à la gare de l'est à 11 ans, c'était « La guerre des soucoupes » de B.R.Bruss, et tu l'as lu au moins cinq fois,

    • ton professeur de français en seconde, qui t'a traité d'esprit fort et de monsieur je sais tout quand, à la première dissertation, tu as voulu lui démontrer que la science c'était important et la littérature de la foutaise,

    • quand tu t'es attablé à la terrasse d'un café à Aix en Provence, un jour de juillet, et que tu as ressenti un pur bonheur rien qu'à regarder passer les filles dans leurs robes d'été qui voletaient,

    • le jour de l'année de tes seize ans où tu as frémi de la tête au pied en écoutant pour la première fois l'ouverture de Tristan et Isolde,

    • quand, dans le compartiment de troisième classe tu as senti la cuisse de ta jeune voisine frôler la tienne et l'y laisser un moment alors que tu faisais semblant de dormir, et l'escarbille que tu as reçue dans l'oeil quand, après son départ, tu as baissé la vitre.


  • Commentaires

    1
    Vendredi 28 Juin 2013 à 10:48

    Ce pourrait être le début d'une série? Car il y a sans doute eu des dizaines, que dis-je, des centaines d'autres moments uniques à toi, oui? J'aime beaucoup ce genre de "listes", c'est rafraîchissant, c'est ténu, c'est tout petit et très grand à la fois ...

    2
    Jean-Jacques Profil de Jean-Jacques
    Vendredi 28 Juin 2013 à 11:26

    Oui, de ces listes à la Prévert ou à la Pérec, on peut en faire plein.

    La consigne ici était de ne pas trier, et de ne pas ordonner ce qui venait à l'esprit. Sans doute peut-on alors y voir une signification cachée, mais personnellement je n'y crois pas trop : ce qui vient d'abord doit beaucoup plus au hasard qu'à l'importance consciente ou non qu'on accorde à tel ou tel souvenir.

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