• Mes premières lectures

    Je me souviens, comme si c'était hier, du premier livre que j'ai lu. Je parle bien sûr d'un livre, d'un vrai livre, pas des bandes dessinées ni des fascicules écrits en grosses lettres destinés aux enfants, qui, d'ailleurs, n'existaient pas là où j'habitais. Cela se passait au Maroc, dans une petite bourgade du Moyen Atlas où mon père était gendarme. En face de la brigade, de l'autre côté de la route allant de Meknès à Ifrane, se trouvait un hôtel, l'hôtel des Peupliers, qui proposait au rez de chaussée, dans un local minuscule, des journaux, du tabac, quelques livres et tout un bric à brac dont je n'ai pas gardé le souvenir.

    En octobre de cette année là, j'avais six ans, et je venais d'entrer en cours préparatoire. Il n'y avait pas eu de maternelle, et mon seul contact avec la chose écrite était le journal qu'achetait mon père, dont je ne faisais que regarder les images. Je lui demandais parfois de me lire ce qu'il y avait écrit, mais il avait toujours refusé, expliquant que « ce n'était pas intéressant pour les enfants », ce qui décuplait ma curiosité. Je ne perdais jamais une occasion de l'accompagner quand il allait à la librairie, et je lorgnais avec concupiscence les couvertures bariolées des livres, avec leurs images et leurs titres que je ne pouvais pas encore déchiffrer.

    Quand j'ai commencé à apprendre l'alphabet, puis les mots et les phrases, tout est allé très vite tellement j'étais impatient. Après six mois d'école, je me débrouillais déjà très convenablement, et j'ai commencé à réclamer de la lecture. Mes parents voulaient m'acheter des journaux pour enfants, comme « Fripounet et Marisette », auquel, ils m'ont abonné, mais vraiment cela ne m'intéressait pas. « Tu n'arriveras pas à lire tout ça, c'est trop long, c'est écrit petit » me disaient-ils. Mais moi je voulais des vrais livres, tout de suite, surtout ceux où sur la couverture figuraient des cow-boys avec de gros pistolets sur les hanches et des chapeaux à large bord sur la tête...

    A force d'insister, ils ont fini par céder. A la petite librairie, il y avait le choix entre des westerns, des policiers et des romans d'amour à quatre sous. Les westerns se réduisaient à la série des « Catamount » d'Albert Bonneau, et je me suis décidé, après une longue hésitation, pour « L'enquête de Catamount ».

    C'était de la littérature populaire. Catamount, un « ranger » du Texas, ancien « outlaw », pourchassait les voleurs et toutes sortes de bandits avec son cheval King. Il était le défenseur de la veuve et de l'orphelin, se battait comme un beau diable pour faire respecter les lois et la morale, ne pensait jamais aux femmes. Il était pur et sans reproche, l'incarnation de la justice parfaite. Dans cette première histoire (j'ai lu par la suite toute la série qui devait comporter une vingtaine de volumes), il y avait un riche fermier nommé Winter, prêt à tout pour agrandir son domaine, et les Wenden, de la ferme voisine, plus pauvres et beaucoup plus sympathiques, qui trimaient pour survivre et pour résister aux appétits des Winter. De plus, le fils Wenden aimait la fille Winter, ce qui n'était pas simple pour eux. Le combat des bons contre les méchants, sans beaucoup de nuances ! Je trépignais quand les Winter faisaient un sale coup aux Wenden, et j'étais content quand les Wenden arrivaient à s'en sortir, avec l'aide du chevalier blanc Catamount. Bien sûr, les gentils gagnaient à la fin, cela va de soi. Je racontais l'histoire à mes parents au fur et à mesure, jusqu'à ce qu'ils me disent de me taire. Mais il a dû en rester quelque chose, car je sais que mon père s'est mis plus tard à lire mes bouquins...

    L'auteur, pour faire couleur locale, utilisait sans cesse des locutions anglaises ou espagnoles que je ne comprenais pas, mais qui, par leur caractère mystérieux, accentuaient l'intérêt que je portais à l'histoire. Catamount portait des « chaparejos », sortes de jambières de cuir protégeant le devant des cuisses et les tibias ; son chapeau était un Stetson ; il s'exclamait à chaque page à grand renfort de « God almighty ! » ou de « By Jove » ; il disait « adelante » pour faire avancer son cheval. Il y avait encore beaucoup d'autres termes que j'ai maintenant oubliés.

    Cette « Enquête de Catamount », je l'ai lue plusieurs fois, je ne m'en lassais pas. Les autres titres de la série ont subi le même sort, puis je suis passé à « Johny Sopper », encore une série de westerns, puis à d'autres et encore à d'autres dont je ne me souviens plus. A la fin du cours préparatoire, j'ai eu un prix parce que je travaillais bien. Bien sûr, c'était un livre, un vrai de vrai celui-là, mais je ne l'ai jamais lu, il me barbait. C'était « Le roi des montagnes », d'Edmond About. Je dois toujours l'avoir à la cave, mais je ne suis jamais arrivé à m'y intéresser.


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