• Mauvais départ

    Interview de Mehdi Monnier, chef du groupe GJ au Parlement européen, le 2 juin 2019

    Cnews :

    Monsieur Monnier, vous voici depuis la semaine dernière élu au Parlement Européen, et qui plus est, chef de file à 28 ans des 23 députés de votre mouvement, qui n'existait pas encore il y a six mois. Comment expliquez-vous cela ? Comment le vivez-vous ?

    Mehdi Monnier :

    C'est une grosse surprise et un grand bonheur. Mais aussi une grande responsabilité. Car nous voici maintenant en mesure de pouvoir changer des choses au sein de cette Europe qui ne fonctionne pas et que nous avons tant critiquée, voire rejetée, il n'y a pas si longtemps. Sans parler d'un autre challenge, celui de démontrer à ceux qui nous ont élus et soutenus malgré leur méfiance et même leur opposition à toute forme de représentativité, que la discussion et la lutte dans le cadre d'institutions existantes qu'on peut améliorer, vaut mieux que la simple expression d'une colère certes légitime, mais inefficace en raison de sa désorganisation et de son absence de vision à long terme. J'ajouterai que cela me fait une drôle d'impression que vous m'appeliez « Monsieur » alors qu'il y a si peu de temps je manifestais encore sur les Champs Elysées, que j'ai été brièvement emprisonné à cause de cela, et qu'en octobre dernier je venais de perdre mon emploi...

    CN :

    Justement, avant de parler des actions que vous comptez mener à Bruxelles et à Strasbourg, dites-nous qui vous êtes, comment vous en êtes arrivé là, car on vous connaît peu en France et encore moins en Europe, puisque votre campagne a été très courte et sans leader déclaré.

    MM :

    Je ne sais pas si cela est très important. Je fais partie d'un mouvement dont la principale caractéristique est d'être avant tout l'expression collective d'un mal-être profond, qui couve depuis des années en France et au-delà dans tous les pays d'Europe. Si j'ai été élu chef de file par mes collègues, ce n'est pas en raison de mes qualités propres ni d'une quelconque ambition personnelle, mais surtout parce que ma personne symbolise bien les difficultés auxquelles se heurtent les plus démunis.

    CN :

    C'est à dire ?

    MM :

    Vous voulez absolument que je parle de moi, et cela m'ennuie, car je ne souhaite pas personnaliser ma fonction au-delà de ce qui est juste nécessaire. Sachez simplement que mon histoire concentre les difficultés que beaucoup de gens rencontrent dans notre société. J'ai eu de la chance de m'en sortir, ce qui n'arrive pas à tout le monde.

    Je suis né à Grigny la Grande Borne, un « quartier » comme on dit, où la vie n'était pas facile et ne l'est toujours pas aujourd'hui. Alors, sans insister, voici la liste des choses que j'ai vécues et que, dans un monde idéal, il faudrait pouvoir changer.

    Mes parents étaient pauvres et sans instruction. Ma mère a eu cinq enfants et ne travaillait pas. Elle était maghrébine, et cela ne lui a pas facilité la vie. Mon père n'avait pas de qualification, il faisait des petits boulots manuels qui ne suffisaient pas pour nourrir sa famille, alors il a plusieurs fois été arrêté pour des petits trafics illégaux. Moi j'étais l'aîné, et j'ai dû très rapidement aider ma mère pour m'occuper de mes frères et sœurs. Cela s'est fait au détriment de mes études, je manquais souvent l'école et je traînais à ne rien faire avec d'autres.

    J'avais dix ans quand le feu a pris dans le logement vétuste qu'on occupait. Mes parents sont morts ainsi que mes deux frères. Nous n'avions pas de famille, et on nous a mis à l'assistance publique. Mes deux soeurs on été placées dans des familles d'accueil qui se préoccupaient plus de leur chèque mensuel que d'elles. Quant à moi, j'ai eu beaucoup de chance, je suis tombé sur un éducateur extraordinaire qui m'a vraiment fait avancer, même s'il n'était pas tendre, simplement en m'inculquant quelques valeurs de base que j'ai eu l'intelligence de conserver et de mettre en application.

    CN :

    Pour un départ dans la vie, c'était en effet du concentré, si je puis dire ! Mais quand même, cela ne suffit pas pour avoir fait de vous un leader politique...

    MM :

    Je vois que vous n'avez pas écouté ce que je viens de vous dire. Je ne suis pas un leader, je suis juste représentatif d'une certaine catégorie de personnes dont il existe des millions d'exemplaires en France, avec peut-être une langue un peu mieux pendue que la moyenne. Je ne prendrai jamais seul des décisions, je serai le porteur de la parole du groupe, car je crois à la force du collectif. Je vais vous dire pourquoi.

    D'abord, encore une fois, si je n'avais pas été aidé par cet éducateur, j'aurais sans doute mal tourné, comme on dit. Avec lui, j'ai appris ce que c'était que l'abnégation et l'ouverture aux autres. Il m'a écouté, m'a parfois conseillé, mais surtout il m'a fait réfléchir pour que je puisse prendre seul les décisions concernant ma vie.

    Ensuite, je me suis remis aux études, avec beaucoup de retard. J'ai travaillé dur, mais pas seul. En classe, j'avais quelques camarades, pas forcément les mieux lotis, mais on s'entraidait, ce qui nous a permis de réussir au bac, presque tous. Cette fois encore, c'est le groupe qui nous a fait gagner. Puis, comme nous nous estimions trop vieux, pas très motivés par des études supérieures et surtout sans le sou, nous avons décidé ensemble de créer une société de fabrication de tee-shirts personnalisés. Et là, on a galéré, car personne ne voulait nous aider pour démarrer, surtout pas les banques, qui empilaient les exigences de garanties et multipliaient les obstacles avant de nous accorder le moindre euro. Je vous passe les détails, mais soyez sûr qu'on a déployé une énorme énergie pour développer cette activité. Cela a duré deux ans et commençait à bien fonctionner, quand notre stock a été emporté par une crue lors des orages de l'automne dernier, et nous avons été obligés de déposer le bilan.

    Pole Emploi ne nous a pas fait de cadeau, accumulant les tracasseries administratives et les radiations provisoires ou définitives, et là nous avons vu rouge. Nous nous sommes joints au mouvement des gilets jaunes pour exprimer notre colère, mais j'ai vu rapidement que cela ne déboucherait sur rien si le mouvement restait dispersé et ne faisait que répéter semaine après semaine l'expression d'une colère multiforme qui ne s'organisait pas. C'est pourquoi, avec d'autres, nous avons lancé l'idée de créer un mouvement européen dont je peux maintenant vous exposer le contenu.

    CN : ….l'interview continue...

     


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