• Le voyage en train

    Le 9 janvier 2013

    Sujet proposé :

    "Je m'en souviens parfaitement..."

    Racontez un souvenir heureux de votre enfance. Donnez les circonstances, le cadre de l'époque, livrez vos émotions, les réactions des uns et des autres, et les conséquences éventuelles sur le reste de votre vie.

    S'appliquer  à faire de longues phrases, éviter le style plat.

    Texte :

    Je me souviens parfaitement de mon premier voyage en train, ou plus exactement de celui que j’ai fait seul pour la première fois, juste avant Noël 1953.

    Mon premier trimestre à l’Ecole Militaire Préparatoire des Andelys venait de s’achever, coïncidant presque avec l’anniversaire de mes onze ans, et chacun regagnait le domicile de ses parents pour une dizaine de jours de vacances. Nous étions tous en uniforme, béret et chaussures noirs, vareuse et pantalon bleu marine mal coupés, grosse valise à la main. Rares étaient ceux que leurs parents étaient venus chercher sur place, aussi le gros de la troupe a pris en fin d’après-midi le train à Gaillon pour la gare Saint Lazare où tout le monde s’est séparé.

    Comme mes parents habitaient alors en Allemagne, près de Baden-Baden, j’avais pour ma part encore un long voyage à faire. Après avoir dit au revoir à mes copains, j’ai pris le métro pour aller rejoindre la marraine de ma sœur à la porte d’Orléans. Seul dans Paris pour la première fois, je n’étais pourtant pas particulièrement inquiet : n’avais-je pas en mains le papier avec tous les renseignements nécessaires qu’il suffisait de suivre ? Au contraire, j’étais content de me débrouiller tout seul, d’admirer les affiches dans les stations, de voir les gens qui se bousculaient et qui me regardaient,  et…les Dubo, Dubon, Dubonnet sur les parois des galeries obscures dans lesquelles s’enfonçait le train. Il n’y avait que ma valise qui était lourde à trimballer pour le petit bonhomme que j’étais, me faisant transpirer surtout pour monter les escaliers. Dieu sait qu’il y en avait, des escaliers, et des couloirs, et des trottoirs boulevard Brune avant d’arriver chez cette marraine !

    J’ai passé la nuit chez elle, mais je ne la connaissais pas. C’était une gentille vieille dame, qui a pris soin de moi, m’a fait raconter la vie aux Andelys, m’a donné à manger et m’a mis au lit, un peu trop tôt à mon goût. J’ai bien dormi pourtant, et elle m’a réveillé assez tôt, car il me fallait aller maintenant prendre le train à la Gare de l’Est. J’ai donc repris le métro, mais ce fut cette fois plus facile, car il n’y avait pas de changement à la station Strasbourg Saint Denis comme la veille au soir. Je suis arrivé avec beaucoup d’avance, et je me suis promené dans le hall, devant les voies où stationnaient déjà des trains crachant et soufflant vapeur et fumée, jusqu’à ce que je tombe en arrêt devant les kiosques à journaux où j’ai tout regardé, les magazines, les revues, les livres, feuilletant beaucoup sous l’œil soupçonneux du vendeur. L’un d’eux m’a même demandé si je comptais acheter quelque chose, car je bouchais le passage aux autres clients. J’avais un peu d’argent, 400 ou 500 francs, et j’ai hésité longtemps avant d’acheter un livre, mon tout premier livre de science-fiction, cela s’appelait « La guerre des soucoupes » dans la collection Anticipation du Fleuve noir, numéro 44…Il y en avait un autre qui s’appelait « Métal de mort », la couverture bariolée me fascinait, et j’aurais bien acheté les deux, mais chacun coûtait 245 francs, baisse comprise, et je devais encore acheter mon casse-croûte…

    Lorsque mon train est arrivé, je suis monté dans la cohue, cherchant une place en 3ème classe, que j’ai facilement trouvée. Les banquettes étaient en moleskine qui collait à la peau, et le compartiment sentait le vieux mégot et le graillon. Le sol était sale, et dans les toilettes il n’y avait que du papier journal. Je n’ai pas pu hisser ma valise dans le filet, mais quelqu’un m’a aidé. Les gens étaient très gentils, plusieurs m’ont demandé où j’allais, s’étonnant de me voir seul. J’ai tout de suite attaqué mon roman, oubliant presque où j’étais tellement j’étais plongé dans l’histoire de ces méchants martiens qui attaquaient bêtement la Terre sans se douter qu’ils allaient perdre…

    Cela a duré ainsi un bon moment, jusqu’à ce qu’arrive le contrôleur.  J’avais soigneusement rangé mon ticket, un petit bout de carton gris bien épais, dans ma poche de veste, mais je ne le trouvais plus. J’ai fouillé partout, rien à faire : ce fichu ticket avait bel et bien disparu ! Le contrôleur m’a posé quelques questions, m’a dit de ne pas bouger, a continué sa tournée, puis est revenu s’occuper de moi. J’étais un peu inquiet, mais pas trop, persuadé sans doute que ma bonne foi était évidente et qu’il n’y avait donc pas à m’en faire. J’avais d’ailleurs repris la lecture de mon livre en l’attendant. Il m’a fait sortir du compartiment, m’a emmené dans sa cahute exiguë au bout du train, et m’a cuisiné un bon moment. Je lui ai montré ma permission (oui, j’étais déjà militaire, avec une feuille de route, et 75% de réduction… !). Je suis resté ainsi à bavarder avec lui assez longtemps, à lui raconter ma vie à l’école, ce que faisaient mes parents, où j’allais et chez qui, si je n’avais pas peur de voyager seul, et lui me recommandant plusieurs fois de faire attention au prochain voyage. Je devais avoir l’air innocent et angélique, si bien qu’il m’a même fait un billet de remplacement qu’il a lui-même mis dans mon portefeuille. Puis je suis retourné m’asseoir dans le compartiment.

    J’avais fini mon livre bien avant l’arrivée à Strasbourg, où m’attendait une autre épreuve : changer de train et de quai pour monter dans un train allemand. Ce fut long, il faisait froid sur le quai, même s’il n’y avait pas de neige, et je grelottais en montant dans ce wagon si différent du précédent. J’ai demandé plusieurs fois si c’était le bon, combien il y avait de gares avant l’arrivée, où je pouvais m’installer. Enfin le convoi s’est ébranlé, et j’ai surveillé de près les stations qui défilaient. Après Kehl venait Appenweier, et j’ai eu des sueurs froides quand le train a manœuvré, repartant en marche arrière avant de reprendre le cours normal !

    Enfin, je suis arrivé à Baden-Oos, la gare de Baden-Baden, et mon cœur a bondi de joie en voyant sur le quai ma mère qui scrutait les fenêtres depuis le quai, avec mon père un peu plus loin, pour être sûr de ne pas me rater…Je suis descendu pour bondir dans leurs bras, les étreindre et me faire serrer tout contre eux, puis répondre à leurs questions sur le voyage. Ma mère avait dû se faire un sang d’encre toute la journée, sans doute beaucoup plus inquiète que moi, et mon père aussi sans vouloir l’avouer, ce qui ne l’a pas empêché de me passer un savon quand je lui ai raconté l’histoire du billet perdu…

    A Noël, j’ai eu un Meccano, mais aussi une angine, et j’ai passé une partie de mes vacances au lit, avant de refaire, début janvier, le même parcours en sens inverse.

    Le voyage en train


  • Commentaires

    1
    bla-bla-bla
    Mardi 15 Janvier 2013 à 13:44

    c'est vraiment un grand plaisir de découvrir ... un écrivain ! et le récit du voyage est tout à fait intéressant, voir émouvant (le billet perdu, l'attitude du contrôleur, inimaginable aujourd'hui). un grand merci pour ce partage et félicitation pour le site - très clair et facile d'accès me semble-t-il ; mais ce n'est là qu'une très courte première visite, j'y reviendrai certainement.

    Elisabeth

    ps : mon vrai prénom et quatre pseudos me sont été refusés, donc je mets n'importe quoi comme 'laissez passer' !

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