• Le nouveau monde

    Le 14 novembre 2012

    Sujet proposé :

    D'après le tableau de Tiepolo "Le Nouveau Monde", écrire un souvenir personnel que ce tableau vous inspire. Pas de commentaire du tableau, ni de récit inventé.

    Le nouveau monde

     

     

     

     

     

     

     

    Texte :

    Le 9 juin 1980, après dix sept ans de service, j’ai tourné le dos à la Marine Nationale pour entamer une deuxième carrière « dans le civil ». Je ne connaissais rien de ce nouveau monde qui s’ouvrait devant moi, ce qui peut paraître surprenant pour un homme dans la force de l’âge, mais qui s’explique facilement quand on sait que depuis l’âge de 10 ans j’ai été en pension, qui plus est dans une école militaire, déjà en uniforme, ne sortant que le dimanche pour la promenade dominicale au Château Gaillard, et tous les trois mois chez mes parents à des centaines de kilomètres de là.

    Donc, en ce début de matinée du lundi 9 juin, frémissant d’impatience et nerveux de l’imminence de la découverte, je me suis présenté à 8h30 à Paris au numéro 35 de la rue Saint Dominique, pour prendre mon poste à la Délégation à la Recherche Scientifique et Technique, où j’avais été embauché comme chargé de mission pour les économies d’énergie. Pour la première fois, j’allais travailler habillé comme tout le monde, et j’éprouvais la sensation bizarre, sans mon uniforme, d’être toujours en vacances. J’avais d’ailleurs passé un certain temps à réfléchir à ma façon de me vêtir, et j’avais, les jours précédents, fait des emplettes avec l’aide précieuse et absolument nécessaire de mon épouse. En effet, quand on a passé plus de vingt cinq ans en tenue militaire, on ne se pose pas la question de l’harmonie des couleurs, de la forme des cols de chemise ou des tendances générales de la mode : la tenue c’est la tenue réglementaire, un point c’est tout.

    Je me souviens qu’il faisait beau, mais frais, en ce début de journée. J’étais en avance, aussi bien par habitude que pour m’imprégner doucement de l’atmosphère  de ce lieu où j’allais passer plusieurs années. Le porche d’entrée donnait accès à une cour pavée sur laquelle s’ouvraient plusieurs portes et deux passages. Je suis monté au premier étage pour m’annoncer, mais il n’y avait encore personne, j’étais vraiment très en avance. Le long des murs du couloir s’empilaient des centaines de dossiers qui n’avaient pas trouvé place dans les armoires et les étagères ; l’ensemble avait l’aspect d’un fouillis foisonnant dans lequel, pensais-je, se cachaient les milliers d’idées qui formaient la pointe la plus avancée de la science d’aujourd’hui. Je lisais des noms plus ou moins mystérieux, que j’allais avoir à connaître et qui me faisaient frémir d’une jouissance anticipée : « Récupération assistée du pétrole » ; « Stockage thermique de l’énergie » ; « Electrolyse sous pression » ; « Générateurs électrochimiques » ; « Gazéification souterraine du charbon », et bien d’autres sujets aussi excitants qu’inconnus.

    Ne voulant cependant pas rester seul dans ce lieu qui n’était pas encore le mien, je suis redescendu dans la cour où j’ai flâné. Les portes donnaient sur des salles de réunion, fermées. Un coup d’œil au travers des fenêtres me montra un décor banal de tables et de chaises dépareillées. L’un des deux passages conduisait à une autre cour plus petite où je ne me suis pas aventuré. Le second ouvrait sur un jardin où je me suis promené un moment, les mains dans les poches de ma veste pour les réchauffer. Je me sentais bien dans l’air du petit matin qui annonçait une belle journée, à l’image de mon attente qui semblait contenir la promesse d’un avenir radieux.

    Un bâtiment assez majestueux, tout en pierres, dans le style du Baron Haussmann, s’élevait au fond de ce jardin. Quatre portes-fenêtres laissaient entrevoir de vastes pièces dotées d’un mobilier cossu. Dans l’une d’elles, une lampe allumée sur un bureau éclairait la silhouette d’un homme grand, aux cheveux gris, qui me tournait le dos, penché sur un journal qu’il feuilletait rapidement. Alors que je l’observais, il  se leva et se mit à aller et venir dans ce bureau, et je repris moi-même ma promenade, ne voulant pas paraître indiscret. C’était la première personne que j’apercevais, et je me demandais qui cela pouvait bien être ; plus tard, j’appris que c’était le Secrétaire d’Etat à la Recherche, qui avait l’habitude d’arriver avant tout le monde pour lire les nouvelles en buvant son café.

    Petit à petit, le personnel a commencé à affluer, et quelques minutes avant l’heure prévue, je suis remonté au premier étage, où j’ai dû patienter encore une bonne demi-heure, assis sur une chaise de fer dans le couloir, entre les piles de dossiers, buvant un café que m’avait offert la secrétaire du patron qui me jetait de temps à autre des coups d’œil curieux.

    Quand celui qui devait être mon chef est enfin arrivé, le temps jusqu’alors en suspens a repris son cours, et je suis entré de plain pied dans ma nouvelle vie.


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