• La musique adoucit les moeurs

    Ecrire un texte avec un "Incipit" imposé.

    On se serait cru au cœur d'une sous-préfecture tranquille, endormie dans la quiétude et la chaleur de la fin de l'été, lorsque tous les habitants sont encore en villégiature sur les plages du midi ou les hauteurs fraîches des Alpes ou des Pyrénées. Les rues désertes et silencieuses exhalaient l'odeur forte de l'asphalte sur le point de se liquéfier, et parfois, une voiture remontait la Grand'Rue, troublant à regret la tranquillité des lieux, levant un peu de poussière qui lentement retombait en miroitant dans l'air sec qu'aucun souffle de vent n'agitait.

    Pourtant, derrière les façades bourgeoises, le feu couvait et la pression montait : ce soir, pour la première fois, allait s'ouvrir dans les champs, à la lisière des dernières habitations, un festival de musique techno. Les notables locaux, les simples habitants ordinairement paisibles et même les commerçants, ne voulaient pas que le « bruit », comme ils disaient, vienne troubler leurs habitudes, ni que les hurlements attendus de la foule déchaînée, les gesticulations des jeunes chevelus et les pétarades des motos ne dérangent la quiétude compassée de leurs certitudes bien-pensantes.

    Tous les recours contre cette manifestation ayant échoué, ces bourgeois si tranquilles et si bien élevés, d'ordinaire si respectueux de la loi, tapis derrière leurs rideaux dans la fraîcheur de leurs demeures, étaient en train de se transformer lentement et en toute bonne foi en bêtes sauvages, sous couvert de légitime défense. Certains sortaient leurs fusils de chasse de leurs étuis de cuir et, l’œil injecté de sang, les astiquaient jusqu'à l'usure ; d'autres exhumaient de leurs caves ou de leurs panoplies les épées, piques et hallebardes de leurs glorieux ancêtres et en ôtaient toute trace de rouille ; les plus calmes, suant et soufflant, taillaient dans les arbres de leur jardin de solides gourdins dont ils arrondissaient les extrémités. Plus l'après-midi avançait, et plus la chaleur faisait bouillonner les esprits. Les provocations supposées devenaient peu à peu des certitudes inévitables, rendant anodines et justifiées les rétorsions terribles qu'ils préparaient. « Simple application du principe de précaution », disaient-ils, ne voyant pas dans l'excitation de leurs esprits échauffés la disproportion grandissante entre la nuisance imaginée et l'exagération de la riposte prévue.

    La ville paisible, soudain transformée par la puissance de l'imagination en citadelle de la civilisation assiégée par les barbares, se devait de réagir à ses agresseurs, d'autant plus terrifiants que personne ne les avait encore aperçus.

    La soirée s'annonçait animée...




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