• L'apéro du vendredi soir

    Ecrire un texte à l'image de "La première gorgée de bière" de Philippe Delerm

    L'apéro du vendredi soir

    Il est là pour montrer que la semaine est finie. C'est à cela qu'il sert d'abord : ponctuer le rythme du temps qui passe. Avant, quand on travaillait, il concluait dignement la fin de cinq jours d'un labeur en principe harassant, et signalait en même temps que la détente du week-end pouvait commencer. Aujourd'hui, le rite demeure, mais il ne marque plus la coupure entre le travail et le repos, puisqu'un retraité, bien sûr, se repose tout le temps alors qu'en vrai il est en permanence débordé.

    Cela commence par une interrogation, toujours la même : « Comme d'habitude ? »

    Mais la réponse peut varier, selon l'humeur du moment, la saison, le temps qu'il fait, l'état de l'estomac selon ce qu'on a mangé à midi, si on a pris le thé à cinq heures ou pas. « Oui » veut dire un verre de vin rouge, mais quand on dit « Non », il faut toujours ajouter quelque chose derrière, pour savoir ce qu'il faut faire. Parfois, c'est un pur malt hors d'âge, dont on savoure ensuite la saveur tourbée qui vaut bien celle des bordeaux, sans le vocabulaire descriptif qui va avec ; parfois c'est le mojito, qu'il faut confectionner avec soin, en commençant par aller vérifier qu'il y a du citron vert dans le bac à légumes, puis cueillir quelques feuilles de menthe fraîche dans le jardin, à la lueur d'une lampe de poche les soirs où il fait noir. On écrase les feuilles odorantes au fond du verre en se servant d'une cuillère en bois, et le rhum vient ensuite, en quantité raisonnable, additionné d'un trait de sirop de sucre de canne. Le citron s'ajoute naturellement, on presse une moitié de ce fruit d'un vert saisissant au dessus du rhum, blanc bien sûr, et agricole comme il se doit. On ajoute beaucoup d'eau gazeuse, on a ainsi l'impression qu'on boira moins mais en plus grande quantité, et on laisse un espace suffisant pour quelques cubes de glace qui viennent conclure le chef-d’œuvre. Avant de boire la première gorgée, on agite ce nectar avec la cuillère, une longue cuillère qui va jusqu'au fond.

    Pour la dégustation, l'hiver, cela se passe dans le clair-obscur du salon, près du feu qui ronfle dans la cheminée ; l'été, souvent c'est au jardin, dans les chaises longues, en priant pour que l'air reste doux et le vent inexistant. Au début, la conversation est languissante, on teste le breuvage, on ne se rappelle plus bien le goût, évidemment, la dernière fois c'était il y a une semaine, on se concentre, on fait claquer ses lèvres quand c'est trop fort. Puis on se raconte sa journée, ou bien n'importe quoi d'autre, on écoute, on répond, on se fait écouter aussi, parfois c'est difficile. Et si on se dispute, alors le verre se vide plus vite, si bien que, l'incendie une fois éteint :

    « Une petite resucette ? »


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment



    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :