• Elisabeth Barnaud

    Nous sommes en 1960.

    Elisabeth Barnaud est née en 1931 au Creusot. Fille unique, elle s'est mariée le 20 mars 1955 avec Louis Fourier, propriétaire d'un grand magasin de vêtements dans cette ville et président du syndicat des commerçants. Il a 18 ans de plus qu'elle. Son père, Jean Barnaud, est fonctionnaire municipal, secrétaire général de la mairie du Creusot depuis près de dix ans. Il a 55 ans. Sa mère, Laetitia, 55 ans elle aussi, s'occupe de son foyer et n'a jamais travaillé. Les parents de Louis Fourier ne sont plus de ce monde ; il a deux frères qui n'habitent pas la région et qu'il voit rarement.

    Les Fourier et les Barnaud sont des notables locaux, connus de beaucoup de monde en ville. Laetitia Fourier participe activement à beaucoup d'activités sociales et charitables, auxquelles Elisabeth contribue parfois pour faire plaisir à sa mère.

    Elisabeth a reçu une bonne éducation dans une institution privée, mais n'a pas voulu aller au-delà des deux premières années d'université à Dijon, section littéraire. Demandée en mariage par Louis quelque temps après, elle a hésité longtemps avant d'accepter, poussée par ses parents. Depuis, comme sa mère, elle est femme au foyer, et n'a pas d'enfant. Elle n'arrive pas à s'intégrer dans le milieu bourgeois qui est celui de sa famille et de son mari. En fait, elle se sent seule et s'ennuie dans cette petite ville de province, elle se compare souvent à Madame Bovary, mais pense qu'elle est plus lucide que celle-ci.

    En 1960, à l'approche de la trentaine, c'est une femme qui, sans être un canon de beauté, dégage cependant un certain charme. De taille moyenne et de corpulence plutôt fine, elle a des cheveux bruns très courts, taillés presque « à la garçonne » ; son visage rond, encore un peu poupin, est racheté par de beaux yeux verts cachés dans leurs orbites et par une petite fossette au coin des lèvres. Elle sourit rarement, et pas avec n'importe qui, elle est parfois glaçante quand elle observe une personne avec attention derrière des lunettes teintées qu'elle porte souvent mais qui cachent une myopie importante. On a ainsi l'impression d'être en présence de quelqu'un d'autoritaire et de caractère difficile, mais c'est une attitude, en fait Elisabeth est un être indécis, qui est toujours sous l'influence d'un père volontaire à qui on ne résiste pas. Elle s'habille de manière élégante, elle suit la mode grâce à son mari, et sa mère lui donne des conseils qu'elle ne sollicite pas forcément mais qu'elle suit très souvent. Elle porte en général des robes, car elle déteste être en pantalons, elle trouve qu'ils lui donnent trop l'aspect d'un garçon.

    Claude est un ami d'enfance d'Elisabeth, issu d'un milieu moins favorisé. Il est marié et il a deux enfants, ce qui ne l'empêche pas de voir souvent son amie chez elle ou chez ses parents. Ils se connaissent bien et discutent beaucoup, surtout de la guerre d'Algérie qui fait rage et qui soulève l'indignation d'Elisabeth, anti-colonialiste avant l'heure. Claude est bien reçu, car il a fait des études de médecine et a ouvert un cabinet à Monchanin, à quelques kilomètres. Quand il est avec elle, il se dit qu'elle aurait mérité mieux que de s'enliser dans ce milieu conventionnel, avec ses rituels, ses manières d'être et ses idées toutes faites. Car il aime beaucoup son amie, et souffre de la voir dépérir dans ce confinement bien pensant, alors qu'elle a beaucoup de qualités de cœur et d'intelligence qui pourraient s'exprimer. Néanmoins, il ne peut s'empêcher en lui-même de lui reprocher sa passivité et une sorte de soumission aux modes de vie imposés par ses parents et son mari.

    -oOo-

    L'été est là depuis deux jours, l'après-midi a été brûlant. Elisabeth revient de la plage aménagée au bord du joli petit étang qui sert de piscine au Creusot. Il est cinq heures, elle va prendre une douche avant de se faire un thé, ou bien non, plutôt boire une orangeade bien fraîche à l'ombre du grand tilleul qui borde sa terrasse. Elle n'a pas grand chose d'autre à faire en attendant le retour de son mari qui ferme boutique à 19h30. Elle se demande ce qu'elle va préparer pour dîner, elle n'a pas très faim et se contenterait bien d'un en-cas vite fait, mais il n'en va pas de même pour Louis, doté d'un solide appétit. Elle soupire devant la soirée morose qui va suivre l'après-midi solitaire qu'elle a vécu une fois de plus. Au bord de l'étang, elle a passé le temps en lisant, en se dorant au soleil, se retournant régulièrement pour ne pas cuire, en se trempant de temps à autres, mais elle n'a parlé à personne. Néanmoins, elle n'était pas seule, la plage était envahie par un groupe de jeunes gens de la classe de terminale qui, en attendant les résultats du bac, venaient maintenant chaque jour se baigner, jouer au ballon et tourner autour des filles pour passer le temps. Elle n'a pas pu s'empêcher de les regarder d'un œil envieux : après tout, elle est à peine plus âgée qu'eux, elle aimerait bien elle aussi, s'amuser et rire au lieu de maintenir cette distance, cette barrière attachée à « son rang », comme le lui serine souvent sa mère. Elle se dit qu'il va falloir que cela change.

     


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment



    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :