• Claire et la peur

    Claire claque la porte et tourne les clés. Elle habite un appartement muni d'une porte blindée équipée d'une serrure de sécurité cinq points, d'un verrou supplémentaire intérieur et d'un entrebâilleur. Elle pense être ainsi à l'abri de toute intrusion, car elle a peur, une peur viscérale depuis qu'un jour, alors qu'elle était absente, elle a retrouvé sa porte de bois éventrée et ses affaires dans un désordre indescriptible. « Et si j'avais été là ? » a t-elle pensé immédiatement, dans un frisson de terreur.

    Depuis cet incident qui l'a marquée, elle ne se sent en sécurité nulle part. Dans le supermarché où elle travaille, elle prend bien soin d'aller se changer dans le vestiaire quand elle est sûre que s'y trouvent plusieurs autres femmes. Quand elle a fini son travail, elle rentre chez elle le plus vite possible. Dans le métro, elle souffle un peu, car avec le monde qui s'y presse, elle ne craint rien, enfin rien de plus grave qu'un homme un peu trop proche qu'elle s'empresse de fusiller du regard. Finalement, c'est chez elle que c'est le plus angoissant, malgré la porte blindée, car c'est là qu'elle est vraiment seule.

    En rentrant ce soir, elle a regardé au moins dix fois derrière elle si personne ne la suivait entre la bouche de métro et la porte de son immeuble. Dans le hall, elle a ouvert sa boîte aux lettres en attendant l'ascenseur, tout en trépignant car il était au sixième étage et tardait à venir. Chaque soir, sa plus grande crainte est que la porte s'ouvre sur un seul occupant, et là, Dieu seul sait ce qui pourrait se passer. Dans la cabine, elle a été soudain saisie d'une bouffée d'angoisse, en pensant que peut-être quelqu'un l'attend sur le palier de son étage, celui ou ceux qui s'étaient déjà introduits chez elle ?

    La porte de l'ascenseur s'ouvre. Le palier était désert, et l'éclairage s'allume lorsqu'elle sort. Vite elle fouille dans son sac pour en extirper ses clés, mais ne les trouve point. Prise de panique, elle vide toutes les poches les unes après les autres, mais rien à faire, les clés n'y sont pas. Dans sa précipitation, son sac tombe à terre et son contenu hétéroclite se répand à ses pieds. À ce moment, elle entend l'ascenseur se mettre en marche : quelqu'un monte. Elle remet la plupart des objets à l'intérieur du sac, oubliant dans sa panique tube de rouge à lèvres et bombe lacrymogène, et ouvre la porte de l'escalier de secours. L'ascenseur s'arrête, un jeune homme en sort, qui jette des regards autour de lui. Voyant la porte du palier se refermer doucement, il l'ouvre et aperçoit Claire qui prend le premier virage en courant.

    - Mademoiselle ! Attendez ! crie-t-il

    Cet appel ne fait qu'augmenter l’affolement de Claire, qui se met à enjamber les marches deux par deux. Bien sûr sa course se termine peu après contre le mur sur lequel elle s'assomme.

    Quand elle reprit ses esprits, le jeune homme était penché sur elle et la secouait doucement tout en soulevant délicatement la mèche de cheveux qui cachait une entaille au front d'où le sang commençait à couler. Elle le repoussa vigoureusement en criant « Laissez-moi ! Ne me touchez pas ! Au secours ! Au secours. »

    - Calmez-vous, lui dit-il en levant les bras, paumes ouvertes. Je ne vous veux aucun mal. Vous avez pris un sacré choc, vous savez.

    - Pourquoi me suivez-vous ? rétorqua t-elle, sur la défensive. Qu'est-ce que vous me voulez ? Je ne vous connais pas. Allez-vous en ! Allez-vous en !

    Elle voulut se lever pour s'enfuir, mais tout tournait autour d'elle, elle s'agrippa à la manche du jeune homme pour ne pas retomber.

    - Là, vous voyez, je ne suis pas méchant, vous avez juste besoin de reprendre vos esprits et de vous soigner. Vous allez rentrer chez vous. Je vais vous aider si vous voulez.

    Tout en disant cela, il sortit de sa poche un trousseau de clés.

    - Ce sont les vôtres. Je les ai trouvées sur votre boîte aux lettres où vous les avez oubliées. Je montais pour vous les rapporter, et je vous ai fait peur, pardonnez-moi.

    Bouche bée, elle le regarda, indécise, se trouvant soudain stupide. Ce type lui racontait-il des bobards, ne cherchait-il pas plutôt à pénétrer dans son appartement pour être seul avec elle, et ensuite...Cette idée à peine évoquée la fit frémir, et par réflexe elle tâtonna dans son sac pour y chercher sa bombe, mais elle ne la trouva pas. Elle n'allait quand même pas accorder sa confiance à quelqu'un qu'elle ne connaissait pas. Pourtant, il semblait sincère, et de plus elle le trouvait maintenant plutôt mignon. Elle répondit, d'un ton plus sec qu'elle ne l'aurait voulu :

    - Je vous remercie pour les clés. Je suis étourdie et j'ai eu peur. Mais ne vous en faites pas, je peux me soigner seule, ce n'est rien.

    - Comme vous voulez, répondit-il. Mais si vous avez besoin de moi, j'habite au rez de chaussée, n'hésitez pas.

    Il se redressa, lui fit un petit signe de la main en souriant et prit l'escalier pour descendre.

    Elle remonta sur son palier, ramassa son rouge à lèvres et sa bombe avant de retrouver son appartement avec plaisir. Elle se passa un peu d'alcool sur son entaille au front qui se transformait maintenant en petite bosse. Curieusement, pour la première fois depuis longtemps, elle se sentait plus sereine en s'enfermant chez elle. Les gens ne sont pas tous des voleurs ou des violeurs, se dit-elle. Ce garçon m'a aidée sans arrière pensée.

    Mais ses pensées à elle divaguaient. Elle se surprit à chercher un stratagème pour le revoir, en tout bien tout honneur, bien sûr...

     


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