• Chagrin d'amour

    Voilà deux semaines que je ne suis pas sorti de chez moi, à traîner en pyjama du canapé au fauteuil, des toilettes à la cuisine, de la télé sans le son à la radio à fond. Les tables sont jonchées de débris de nourriture et d'assiettes sales pleines de mégots, le tapis regorge de bouteilles vides, bière, whisky, vin, tout ce que j'ai pu trouver pour m'étourdir sans dépérir. Lucette m'a quitté, j'ai mal et je me laisse aller, c'est tout. Pourtant je sais bien qu'à un moment donné il me faudra réintégrer la société et oublier cette fille qui m'a presque rendu fou. Mais ce moment tarde à venir. En attendant je survis comme un ermite dans sa grotte, sans penser et sans agir, sans téléphone, dormant la plupart du temps, écoutant exprès des musiques détestables qui se mélangent dans mon cerveau embrouillé pour calmer la douleur qui m'habite.

    Mais même si je n'ai toujours envie de rien, je dois me décider à faire quelque chose : il n'y a plus à boire que l'eau du robinet, le congélateur et le frigo sont vides, et je pue comme un chacal venant de se délecter d'une charogne. Je me dis que je dois enfin moins souffrir, puisque depuis que j'ai émergé de mon sommeil d'ivrogne j'ai conscience de la faim qui commence à tordre mon estomac et mon palais asséché me pousse vers l'évier pour aspirer goulûment quelques gorgées de liquide insipide.

    Après, j'ouvre une fenêtre pour libérer les miasmes de mon logis. Il fait nuit, l'air est doux. J'entends des grillons, à moins que ce ne soient des cigales, de toute façon je m'en fous. C'est vrai, nous sommes en été, près de la Méditerranée, et j'ai loué ce gîte pour y passer un mois idyllique avec Lucette. Evoquer ce nom me déchire à nouveau et je m'effondre sur l'appui où je reste prostré un moment, le souffle court et les yeux mouillés. Je me reprends peu à peu, en inspirant longuement, puis je me redresse. Je décide que ma période glauque est terminée, mais c'est plus facile à dire qu'à faire, et je mets un certain temps à me traîner vers la douche sous laquelle je m'attarde un long moment. Cela me fait du bien, et quand je sors de la salle de bain je me rends compte avec une certaine honte de l'état de l'appartement.

    Je ne me sens pas très vaillant, mais je décide quand même de sortir pour trouver de quoi manger. A peine dehors, je me rends compte de l'inanité de cette démarche, il est plus de minuit, tout est fermé dans ce petit village, je ne trouverai rien ici. Pour aller en ville je dois récupérer ma voiture, mais je ne sais pas où elle est garée. Ma tête n'est pas encore claire, mes jambes me portent à peine, je m'assois dans l'herbe sur le bas-côté. Je n'ai fait que quelques mètres et je suis déjà épuisé. Il faut que je retrouve cette satanée bagnole, je me souviens que dans la boîte à gants il y a un paquet de biscuits et une barre chocolatée. Je me relève, et je continue de marcher au milieu de la route vers la sortie du village. Des phares s'approchent à grande vitesse, je me demande pourquoi il y a des lampadaires sur la route, je les regarde bien en face, comme si je fixais le soleil en plein midi pour être aveuglé. Mais ce n'est pas le soleil, j'entends le hurlement des freins, et dans l’éblouissement, la pleine lune émerge.

     


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