• Griffes oniriques d'un tigre terrifiant

    Griffes lacérant la chair tendre et offerte

    Griffes d'un rêve d’Œdipe découvrant sa mère nue

    Griffes de tigre aux vertus aphrodisiaques

    Griffes qui s'enfoncent dans le dos au moment fatidique

     

    Griffe de l'abeille à l'instant de piquer

    Griffes des baïonnettes œuvrant dans les tranchées

    Griffes du machairodus, dents de sabre déchiquetant sa proie

     

    Griffes de l'amour et de la guerre

     

    Griffe de l'asperge étendant son rhizome

    Griffes des éléphants, arachnéens échassiers incongrus

    Griffe d'un couturier sur une robe de Gala

    Griffe de l'artiste sur la toile achevée

     


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  • Bagarre

    Au début de cet été là, j'avais dix-huit ans et je prenais le train de nuit pour aller en vacances dans le midi. Dans mon compartiment de troisième plongé dans l'obscurité, il y avait une vieille dame et une jeune fille, tout le monde essayant en vain de dormir assis sur la moleskine verte et collante des banquettes. A la gare de Dijon, deux militaires sont venus s'installer dans le compartiment. Ils sentaient l'alcool et parlaient fort. Ils se sont assis de part et d'autre de la jeune fille, qu'ils ont commencé à entreprendre avec des plaisanteries douteuses. Elle leur a demandé de la laisser tranquille, ils ont ri et ont continué de plus belle. Je me suis énervé et je leur ai dit, en termes fleuris, qu'on avait envie de dormir et pas d'entendre les propos avinés de dragueurs minables. Ils m'ont sauté dessus illico et j'ai pris une belle raclée. Mais après, ils sont sortis.

    A l'arrivée, je me suis aperçu que j'avais un œil au beurre noir, mais je n'ai rien regretté.

     

    C'est qui ?

    Il est toujours embarrassant de rencontrer quelqu'un qui vous accoste comme si vous étiez une vieille connaissance, et sur le visage duquel vous n'arrivez décidément pas à mettre un nom, ni même parfois un souvenir. Et de peur de paraître idiot, vous faites semblant de le reconnaître, à grand renfort de phrases aussi creuses que possible, du genre : « Alors, qu'est-ce que tu deviens ? » ou « Décidément, tu n'as pas changé ! »...Toujours poser des questions et flatter l'interlocuteur pour qu'il parle de lui, afin d'avoir des indices et que votre mémoire revienne, mais ne jamais se lancer dans des tirades dangereuses qui pourraient dévoiler votre imposture.

    Si ça marche, vous poussez un « ouf » de soulagement quand il s'éloigne. L'ennui, c'est que vous ne savez toujours pas qui c'est, et il est alors devenu très difficile de lui avouer que vous ne l'avez pas reconnu, ce vieux copain....

    Oui, j'oubliais : parfois, il arrive quand même que vous le reconnaissiez, et là, vous pouvez enfin redevenir vous-même !

     

    Johnny s'en va t-en guerre

    C'est le nom d'un film qui raconte l'histoire d'un homme revenu de la guerre sourd, muet, aveugle et tétraplégique. Il est seul avec lui-même, sans aucune communication possible avec l'extérieur, avec les autres, si ce n'est la nourriture qu'on lui fait avaler, et quelques sensations quand on lui touche le visage. Etre prisonnier dans son corps, ne pas pouvoir bouger, ni crier, avec juste la pensée qui tourne en rond et qui finit par disparaître dans la folie...

    C'est une des choses les plus effrayantes que je puisse imaginer, et à laquelle j'essaie de ne pas penser, surtout la nuit.

     

    Les choses dans la cave

    Dans mon sous-sol s'accumulent des tas de choses qui ne sont plus bonnes à rien, sinon à faire ressurgir les souvenirs du passé, du moins si on se décide un jour à y mettre le nez. Ce vieil appareil photo d’avant guerre, au soufflet crevé, tout déglingué, gainé de cuir, ayant appartenu à mon père, que je n’osais pas toucher quand j’avais huit ans... Ou ce Méphistopheles en plâtre, d’un rouge agressif, qui me terrifiait, que j’ai cassé un jour en plusieurs morceaux (était-ce vraiment par inadvertance ?)

    Malgré leur inutilité, toutes ces choses sont des repères, des « activateurs de mémoire », en quelque sorte, des jalons sur la route du temps qui passe…

     

    La nuit face au ciel

    Un soir d'été, à la campagne, nous avons décidé, ma fille et moi, d'aller dormir à la belle étoile, dans les champs alentour. Tout le monde a trouvé cette idée ridicule, mais nous l'avons fait quand même. Munis d'une couverture et d'un coussin, nous nous sommes allongés dans les sillons, et nous avons regardé le ciel. Je lui montrais les étoiles et les constellations, et leurs noms sonnaient dans ma bouche comme des poèmes : Aldébaran, Bételgeuse, Rigel, Deneb, Sirius, Persée, Cassiopée, Orion, les Pléiades...Ensuite, nous sommes allés nous étendre sur les balles de paille empilées un peu plus loin, plus confortables. Nous avons mal dormi, mais nous étions bien.

    Au matin, nous avons regardé le soleil se lever, assis l'un à côté de l'autre, sans rien dire.

    Il y a ainsi de doux souvenirs du passé, des moments uniques que nous aimerions bien revivre, mais qui n'auraient certainement plus le même goût...


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  • Un jour, quelqu'un m'a confié que le meilleur moment de sa journée était le matin. Comme il ne m'a pas dit pourquoi, et qu'à vrai dire, cela ne m'intéressait pas beaucoup, je ne le lui ai pas demandé, et nous en sommes restés là.

    Quelque temps plus tard, cette remarque anodine m'est revenue en tête, et je me suis posé la question pour moi-même : quel pouvait bien être le meilleur moment de ma journée ? J'ai été surpris d'avoir à chercher, et surtout de ne rien trouver. Il n'y a pas de moment privilégié dans une journée, pour la bonne raison qu'il n'y a pas deux journées qui se ressemblent, sauf si on les réduit aux actes quotidiens nécessaires à la vie biologique : manger, boire, dormir, excréter, se laver, s'habiller. Et encore, tous ces actes ne se ressentent pas de la même façon selon qu'on a dix ans, vingt ans ou soixante, ou selon notre état de santé ou d'esprit du moment.

    J'ai quand même voulu essayer de répondre, même partiellement, à cette question que personne ne m'avait posée, ne serait-ce que pour en savoir un peu plus.

    Lorsque j'étais en activité, je prenais le train tous les matins pour me rendre à mon bureau, et cela a duré plusieurs années. Le trajet durait environ une heure, et c'était un vrai moment privilégié de solitude au sein d'une foule anonyme. Pas de téléphone indiscret, pas de collègues venant me parler, pas de dossier urgent à traiter, pas d'épouse pour me houspiller, pas d'enfants à surveiller. Une parenthèse heureuse, un moment de tranquillité où j'étais libre de ne rien faire ou de faire ce que je voulais : observer au lieu d'agir, lire, somnoler, laisser ma pensée dériver sans but, griffonner parfois dans un cahier des aphorismes définitifs et des pensées forcément profondes. Une sorte de « rendez-vous avec moi-même ».

    Aujourd'hui, cela est plus difficile. Il y a plutôt les moments que je n'aime pas, et par soustraction s'en déduisent ceux qui restent, mais qu'on ne peut honnêtement qualifier de « meilleurs moments » de la journée. Ce sont généralement les transitions entre une activité entreprise par obligation vers une autre plus appréciée, qui donnent cette impression de bien-être éprouvée fugitivement. Par exemple, lorsque je fais mes comptes et que mon épouse m'appelle pour déjeuner avant que j'en aie terminé, j'éprouve un certain bien-être à pouvoir quitter cette activité sans éprouver de culpabilité...

    Il m'est revenu aussi une autre réflexion, faite par la même personne à la suite de la première : « Ma saison préférée est le milieu de l'été », m'avait-il dit, sans plus d'explication. Si j'avais pris la peine de m'intéresser à la question, je lui aurais sans doute répété ce que je viens de dire à propos des meilleurs moments de la journée.

    Cependant...

    Cependant, toutes les saisons ont leurs charmes et leurs désagréments, mais j'aime bien l'hiver, comme je l'ai dit récemment à ma petite fille au cours d'une conversation au coin du feu, car, alors qu'on peut penser que tout est mort, la vie est là, sous-jacente, et prête à exploser dès le premier rayon de soleil : la beauté de l'hiver n'est pas de même nature que celle des autres saisons, car l'hiver les contient toutes. L'exubérance du printemps, la maturité dorée de l'été, le flamboiement de l'automne, tout cela existe déjà, à l'état latent, dans le sommeil de l'hiver.




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